Chapitre 3 : Sacrements

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Puis je suis revenue à la vie, encore une fois.

Dans un nouveau corps, pour un nouveau monde, auprès d’une nouvelle famille. Avec d’autres possibilités.

J’ai eu peu de temps pour grandir. J’ai appris à travailler tôt, ce fut épuisant, mais j’avais Dieu avec moi. Il me protégeait. Chaque soir, je rentrais me coucher. A l’abri des loups, derrière une porte ; à l’abri de la tempête, sous un toit ; derrière des murs solides, j'ai pu me sentir en paix et protégée. J’ai travaillé dur et bien des soirs je me suis écroulée de fatigue sur ma paillasse. Mais c’est ainsi si l’on veut survivre et vivre. Le jardin était bien pauvre mais je faisais tout mon possible.

À 13 ans, grâce à mon ardeur, à ma jeunesse et à mon visage, j’ai pu me marier à un homme, plus vieux que moi mais travailleur aussi. Grâce également à la vache offerte par mon père. Beau mariage pour une jeune fille non instruite. Ce jour-là, j’étais habillée de beaux habits, je me mis à genoux pour prier Dieu. Je lui demandais que l’amitié de mon mari me reste éternellement, qu’il se comporte toujours bien envers moi. Et de me faire toujours forte et courageuse pour ne jamais lui déplaire.

Ma peau blanche sous la terre, mes grands yeux et mes dents lui ont plu. Ses mains robustes, son dos musclé et son torse velu m’ont séduite. Nous avons pu construire une petite maison dans laquelle j’ai mis au monde sept enfants. Il en avait d’autres ailleurs mais beaucoup étaient morts, les miens se portaient biens, par la grâce de Dieu, je n’en perdis que deux.

Avec le temps, il vint un moment où il cessa de me toucher. Mon corps s’était transformé au fur et à mesure. Je restais tout de même travailleuse. C’était la dernière chose qu’il me restait en tant que bonne femme et pour cela, j’étais respectée.

Un soir, pour la dernière fois, il a daigné poser son regard à nouveau sur moi. C’est comme ça que je suis tombée à nouveau enceinte. Quelques minutes de troussage, trois ou quatre secousses, neuf mois de grossesse et me voici une nouvelle fois dans mon lit, avec les deux matrones qui me posent des linges trempés sur le front et s’agitent dans la pièce. Je ne sais pas bien si c’est vraiment ce que je voulais. Je me sens épuisée, vidée.

Cette dernière me déchire le ventre. Il me manquait quelques plantes pour le bain mais enfin, j’ai déjà mis au monde des enfants, alors je me suis dit que ça irait… Et puis finalement, tellement de douleurs. Je crie, je pleure de souffrance pour la sortir. La sorcière du village est venue, elle me fait avaler des herbes en parlant du médecin qui ne devrait plus tarder. Des chuchotements me parviennent parlant de prêtre aussi. Ma mère quitte la pièce, accompagnée de quelques voisines. Une seule reste à mes côtés, à me parler du feu que l’on fait dehors pour brûler la secondine. Et l’enfant surtout, cette âme toute neuve et pure va très bien, me rassure-t-elle.

Quoique j’ai du mal à boire les décoctions, j’avoue que la douleur s’est apaisée peu à peu. J’ai enfin pu m’endormir. Alors que je ferme les yeux à tout jamais, que la connaissance du monde me parvient, que mes 28 ans pèsent lourd finalement, il semble que ce soit la première fois que je vis aussi longtemps.

Je vois pour la dernière fois mon corps mort, baignant dans les linges ensanglantés. Puis c’est le noir absolu.

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