Chapitre 4 : Prison dorée

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Dieu merci, ça n’a pas été ma dernière vie. J’ai eu la chance de renaître et vivre, à nouveau. Une vie plus longue et plus remplie.

Dans celle-ci j’ai pu apprendre à lire et à écrire ainsi que quelques rudiments de mathématiques. J’ai eu une éducation plus large sur la couture et surtout comment tenir une maison. Je devins très vite une jeune fille accomplie.

Mon maintien était parfait, ma bouche toujours souriante, mes yeux possédaient cette petite étincelle qui me permettait d’être demandée dans beaucoup de réceptions.

J’y ai appris la musique. Tout d’abord à travers les quelques morceaux que mes hôtesses se plaisaient à jouer. Puis j’ai senti que ce n’était pas tout, qu’il pouvait, qu’il devait y avoir plus. Étant quelqu’un de fort sage, on m’amena au spectacle. La première représentation me laissa pantelante. La voix de femmes s’entremêlant à des violons... C’était merveilleux. J’en ressortie les yeux brillants de larmes, les joues rouges et sans voix. Je fus si émue qu’on me força à garder le lit une journée.

Concernant l’amour, on ne m’en appris rien. Les livres en parlaient quelquefois mais rien ne me prépara à celui qui allait être mon époux. Et encore moins à celui qui serait mon amant.

Tout d’abord mon époux bien entendu. Je le rencontrais à une réception. L’homme parle bien lorsqu’il faut séduire. Celui-ci m’enveloppa de mots, de cajoleries et de caresses tels que je n’en avais jamais reçu. Si bien que je tombais fatalement amoureuse de lui.

Et puis il était beau. Un beau et grand jeune homme, un peu plus âgé mais guère trop, brun, les yeux d’un marron décidé et de magnifiques cheveux. Oh oui, sa chevelure était sans nul doute la plus garnie et épaisse. De plus, il possédait de belles rouflaquettes brunes. Il me semblait intelligent. Et j’aimais toutes ces histoires que sa bouche me contait.

Le mariage fut vite décidé. Après tout, nous nous aimions et nous ne pouvions attendre trop longtemps… L’amour nous tenait !

Puis je découvris la vie d’épouse. S’il m’avait semblé que ma mère était une femme respectable et que notre maison un modèle d’ordre et de bien-être, je n’avais pas compris à quel point cela pouvait être pesant et ennuyeux. Bien entendu, je ne me risquais pas à ces commentaires en public mais tout de même.

Peu importe l’ennui, je tombais vite enceinte. Théodore en fut ravi. Il voulait absolument un garçon. Ce fut une fille.

Qu’à cela ne tienne, nous recommencerons ! Assura-t-il, point trop mécontent.

À partir de ce moment, je passais de l’ennui à l’agacement. Un bébé avec moi, moi dans une maison, certes une jolie demeure mais une demeure d’où je ne sortais quasiment pas, mon caractère autrefois si avenant s’égratigna un peu. Si j’aimais toujours Théodore, je n’arrivais pas à lui faire comprendre ma peine. Il ne pouvait envisager que je puisse être malheureuse alors que j’avais tout ce que notre époque nous permettait.

Ma seconde grossesse le rassura. Cela m’occuperait sainement.

Je lui parlais de la musique qui me manquait.

Il me répondit de chanter des chansons à nos enfants.

Je lui parlais de sorties…

Il me répondait que ce n’était plus de notre âge et que nous devions être chez nous, en famille.

Lui, en revanche, se le permettait. Cela me rendit vite acerbe.

Puis je rencontrais Paul. Paul était un ami de Théodore, il avait été présent à notre mariage et venait de temps à autres à la maison pour travailler sur des « dossiers importants ». Chose que j’avais cru au début de notre vie maritale. Au fil du temps je me rendis compte qu’il s’agissait davantage de soirées entre amis que de rendez-vous professionnels.

Avec Paul, je me sentis revivre. Il ranima la flamme dans mon regard, il réveilla la femme qui s’était endormie en moi. Au début, nous n’échangions que quelques regards et paroles, un jour un frôlement, le lendemain une étreinte à la taille. Puis il m’emmena à l’opéra. À partir de ce moment, il devint mon amant. Il n’était pas aussi intelligent que Théodore mais lorsque ses grandes mains calleuses se posaient sur moi, je me sentais frissonner de la tête aux pieds. Et puis il était bien plus vigoureux, plus endurant que Théodore.

Je tombais alors enceinte pour la troisième fois. Paul me quitta. Ma grossesse fit monter une colère en moi que je n’avais pas soupçonné si violente. Tout recommençait. Je me retrouvais seule, un troisième enfant bientôt sur les bras et puis plus d’amour. Dieu merci, je n’eus pas de difficulté du côté de Théodore. Ayant eu en deuxième enfant une seconde fille, il fonda tous ses espoirs en ce troisième enfant.

Mais mes sautes d’humeur l’inquiétèrent et le médecin dût venir pour m’ausculter.

Hystérique.

Voilà la conclusion, j’étais un cas d’hystérie supplémentaire. Apparemment beaucoup de femmes en souffraient. "32 ans, enceinte, il ne fallait pas s'attendre à mieux avec ses antécédents de caractère". Ce mot, ces commentaires me rendaient folle de rage et je devins infernale. « Hystérie », quel mot ignoble, mon père était médecin, je savais pertinemment que ce terme se relier à l’« hystero » soit l’utérus. Donc une maladie de femme, sur un éventuel problème d’utérus que nous ne savons comment gérer… De pauvres folles sans cervelle incapable de contrôler leurs hormones.

Bien que je sois consciente de mes colères et de mes caprices, je ne me contenais que difficilement. Ma vie m’horripilait, mon avenir m’horrifiait.

Pourtant, lorsque la nuit venait et que je fermais les yeux après avoir longuement prié Dieu en regardant les étoiles, je me retrouvais pleine d’amour à donner. Je rêvais d’un homme, même mon mari aurait pu convenir, qui m’emmènerait loin de tout cela. Nous recommencerions, nous sortirions, pour aller au spectacle ou au concert, ou encore à l’opéra… Oui, là, je pourrais l’aimer sans hystérie.

Mais ce soir, je n’ai guère à m’inquiéter de tout cela. Il faut déjà que j’expulse cette charge en moi. Lorsque le moment arrive, on envoie chercher l’accoucheuse. Le temps qu’elle arrive, le travail a déjà commencé et mon humeur peu amène. L’accouchement se présente mal. Le bébé est mal placé, il faut absolument que le médecin vienne au plus vite.

Ce qu’il ne fait pas. Des envies de vulgarité à exprimer montent en moi mais je me contiens. Je suis déjà suffisamment infecte, j’arrive au moins à retenir ça en moi.

L’accoucheuse réussit tout de même à sortir le bébé en échange d’une violente déchirure. Quoique je ne puisse voir l’intérieur de mon corps, je me sens tout de même mal ordonnée, comme si il y avait eu un ouragan en moi saccageant tout sur son passage. Je me sens terriblement douloureuse mais le bonheur de la délivrance était tel que je ne me rends pas immédiatement compte qu’il peut y avoir un problème grave.

C’est le visage du médecin qui, lorsqu’il se décide à passer la porte, me fait prendre conscience qu’un souci plutôt important se présente. Pourtant, j’ai l’impression d’aller de mieux en mieux. Mon corps ne me fais quasiment plus mal, et pour cause, je ne le sens plus. En revanche, un état de torpeur m’assaille. J’ai tellement soif.

Quoique l’on me répète de ne surtout pas me laisser aller à dormir, ils ne me parlent quasiment pas et mon intérêt pour ce qu’il se passe s’éloigne. Ils ne me donnent pas d’eau non plus. Je ne vois nul intérêt à lutter et je me laisse glisser tranquillement dans les limbes de la mort.

Mon mari sera bien un peu triste mais un bonheur efface un chagrin, j’ai mis au monde un fils.

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