Chapitre 6.6 : Ennemi commun

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 – C’est l’heure, constata l’homme en blouse grise.

 Thalie restait prostrée dans un coin de sa cellule. Elle ne releva pas la tête, se recroquevillant plus encore derrière ses jambes enlacées par ses bras frêles.

 – C’est l’heure, reprit-il du même ton monocorde.

 Ce qui terrifiait le plus la jeune femme, c’était sans aucun doute cette apathie chez ses tortionnaires. Elle ne voyait jamais leurs visages, cachés derrière des masques chirurgicaux accompagnés de grosses lunettes de protection teintées. À l’exception de ses têtes angoissantes ne dépassaient de leurs lourdes blouses que de longues paires de gants et de bottes. Elles leur donnaient un air de famille dérangeant avec les technoslaves qui les accompagnaient dans leur basse besogne.

 Constatant qu’il n’obtiendrait rien de Thalie de cette façon, le scientifique s’approcha d’elle en actionnant son aiguillon dans un son crépitant. Elle savait ce qui arriverait. Mais la jeune femme ne pouvait se résigner à suivre docilement ce monstre et ses sbires. Cela revenait à perdre toute lueur espoir. La décharge la laissa à terre. Deux sous-fifres la ramassèrent telle une lourde loque pour la conduire dans la salle adjacente.

 Ils l’installèrent sur une table d’inox comme un vulgaire morceau de barbaque. De ces êtres, aucun respect le plus élémentaire pour la vie ne découlait. Ils l’avaient électrocuté, avaient prélevé son sang, scanné son activité cérébrale, étudié chaque portion de son corps, même sondé ses recoins les plus intimes. Ils lui infligeaient les pires tortures dans un but inexplicable. Tests physiques, psychologiques et intellectuels rythmaient son quotidien quand ces experts en inhumanité ne la traitaient pas avec moins d’égards.

 Ce jour-ci, ils furent brefs et relativement délicats. Quelques prélèvements rapides avant de la redresser. L’un d’entre eux s’approcha de celui qui donnait les ordres.

 – Le programme est quelque peu bousculé.

 – Que doit-on comprendre ?

 – Il veut plus de résultats. Et plus vite.

 Il eut un mouvement de tête mécanique vers son sujet d’étude.

 – On doit d’abord finir ce protocole. On l’ouvrira ensuite.

***

 L’assaut fut étonnamment bref. À la surprise de Novak peu de sang fut versé dans la prise de la base impériale. C’était pourtant un véritable fort situé aux limites de la ville, armé pour encaisser un siège. Mais plus encore que de nombreux avant-postes reculés de l’Empire, les casernes urbaines étaient peuplées de soldats engourdis par une trop longue paix alliée à une décrépitude ambiante. Ces derniers ne savaient plus que patrouiller mollement dans les rues et calmer les petits gêneurs, effectuer quelques manœuvres de base et bien sûr parader de temps à autres.

 La majorité d’entre eux avaient été surpris dans leur sommeil. Les petits virtuoses du piratage sous les ordres de Maddax avaient su les enfermer dans leurs dortoirs et couper tout système d’alerte. Il suffit ensuite de se débarrasser de quelques gardes de nuit, avec l’aide précieuse d’agents discordiens dissimulés parmi les rangs impériaux par dizaines. Novak eut froid dans le dos en constatant le nombre effarant de ses « frères d’armes » passés sous influence hérétique. Combien pouvaient-ils être à travers tout l’Empire et jusqu’à quels échelons s’étaient-ils infiltrés ?

 – Tu vas rêvasser longtemps ? le secoua Heres.

 Le lieutenant grimaça. Novak était bien obligé de tenir son engagement. Il s’approcha du digicode de la lourde porte grillagée et un orbe d’identification se profila devant lui. Il colla une main dessus puis entra son code d’identification personnel de l’autre. Pour finir, sa précieuse puce d’identification militaire identifiée par un système à ondes courtes permis de débloquer l’accès.

 Il attendit nerveusement quelques secondes alors que l’imposant obstacle les séparant de leur objectif restait totalement impassible. La technologie des puces sous cutanée avait ses limites, il était ainsi complexe de retrouver un individu pucé, ou même de savoir s’il était toujours vivant à moins d’être suffisamment proche pour lire les données de la puce. C’était avant tout une technologie d’identification et il était peu probable qu’on est modifié les informations de la puce de Novak dans le fichier général. Alors pourquoi cette maudite porte lui refusait-elle le passage ? Son cœur se serra. Si la porte refusait de s’ouvrir, il mourrait. Il fut finalement soulagé quand, enfin, un bruit sourd et lourdaud grognât en saccade. Agrippant la grosse poignée à deux mains, Novak tira la porte de toute ses forces. Il laissa ainsi apparaître une véritable cache au trésor.

 Maddax s’engouffra le premier dans l’immense caverne de métal, l’œil pétillant comme celui d’un enfant dans un magasin de jouets. Le garde au poste de contrôle sorti de sa cage de verre blindé et le laissa passer en abaissant son arme. Sa mort ne changerait rien et le suzerain se montra clément en le laissant déguerpir. De toute façon, c’est à peine s’il le remarqua. Novak eut un regard méprisant pour ce lâche qui passa devant lui, le nez pointant ses bottes. Les deux hommes s’engouffrèrent plus en avant.

 S’étalait sur plusieurs niveaux imposants des rayonnages entiers pourvus de munitions, d’armements et d’équipements en tout genre. En contrebas se trouvait même un garage foisonnant de véhicules militaires ! Rapidement, le roi émis ses ordres. Ses sbires auraient peu de temps pour vider cet endroit du maximum de ses biens si précieux. Les grandes portes du hangar s’ouvrirent au dernier niveau, là où se trouvaient les engins. Les discordiens s’activèrent à charger les véhicules avant de fuir avec le tout vers les terres désolées.

 Loin de la sphère d’influence des agents de l’Empereur, ils pourraient à loisir dissimuler puis redistribuer leur butin à travers l’Empire. Novak resta déconcerté en constatant avec quelle facilité les véhicules quittaient l’entrepôt, la vitesse à laquelle les innombrables petites mains de Maddax dépouillaient les rayonnages bien fournis de la place forte. Le roi de Béton-Lac se tourna vers son captif d’un air satisfait.

 – Tu as bien travaillé !

 – Je n’ai pas fait grand-chose.

 – Mais tu l’as très bien fait !

 Les deux hommes réalisèrent soudain que tous les yeux étaient tournés vers le poste de contrôle, à l’entrée de l’armurerie. Là, l’un des nombreux écrans étaient réglé sur une chaîne d’information en continu. Le visage de Novak se crispa, sa poitrine battit lourdement. Ses yeux contemplaient à nouveau ce champignon morbide qui avait pris la place de son foyer.

 Il s’élança d’un pas rapide et décidé vers la petite salle vitrée où se rassemblait une demi-douzaine d’individus dont Heres et ses deux amis. Le lieutenant releva la tête vers l’écran qui diffusait ses images sans un bruit. Il crut sentir son cœur s’arrêter en lisant le bandeau d’information. « L’avant-poste de Vaduz, détruit par le terroriste politique Woden Galard ».

 Impossible. Novak trembla, ses poings se serrèrent si fort qu’il crut se briser les doigts. L’Empire l’avait trahi. Lui et toutes les victimes de ce massacre. Il venait en toute conscience de mentir et de couvrir les traces des meurtriers de sa femme et de ses enfants. L’Empereur tout puissant était le commanditaire de cette mission, selon les propres mots de Tarkon. Alors le dieu que Novak avait toujours vénéré et admiré était donc prêt à écraser ses propres enfants, lui que tous considéraient comme le protecteur des faibles et des sans défenses ? Lui, qui était si puissant, il en était réduit au mensonge afin de masquer les actes ignobles de ses meilleurs agents ? À moins qu’il ne fût plus faible qu’on ne le disait. Assez pour que ses propres soldats puissent lui mentir sans se faire démasquer ?

 Non. En fin de compte il n’avait que faire de ses milliards de sujets. L’Empereur culminait au-dessus même des Hauteurs d’Éminence, sacrifiait selon son bon vouloir ses « enfants » tels des cloportes. Novak se retrouvait pris d’une violente crise de nausée. Ses dernières convictions et le maigre espoir de justice auquel il s’était jusqu’ici raccroché pour ne pas perdre la raison venait de se faire piétiner par la réalité. Les puissants, quels qu’ils soient, n’ont que faire des masses qu’ils contrôlent. Ce mensonge qui servait de ciment au bon fonctionnement d’une civilisation extrêmement inégalitaire et profondément malade n’avait plus d’emprise sur lui. Le réveil était brut, cruel, Novak cru défaillir. Mais une main ferme vain se placer sur son épaule et le ramena quelque peu à la froide réalité.

 – Viens avec nous, le soutenu Heres. On les écrasera. On les écrasera tous.

 Novak reconnu la détermination haineuse du jeune homme. Un ressentiment persistait entre eux, mais ne restait plus que deux hommes à la rage bouillonnante. Prêts à déchaîner toute leur fureur sur les responsables de leurs malheurs.

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