Prologue
« Les minutes qui précèdent la mort sont imprégnées de vie. Chaque pulsation infime, chaque battement de cils, chaque respiration prennent une place démesurée. Au bord
de la mort, c’est là que nous éprouvons consciemment la vie pour la première fois. »
Auteur immémoré
Esquisse gravée dans le bois d’une cellule à Célian.
La pluie tombait en fines gouttes. Elle provenait d’un ciel chargé de gris et crépitait sur les feuilles des arbres. Leur chant s’étouffait au contact du sol mousseux. À leur touché, les bois se paraient de couleurs nouvelles, plus sombres, plus brunes et plus vertes à la fois.
Dans l’ombre des racines, une truffe moite humait les effluves de la forêt. L’odeur de la pluie s’alliait à celle des pins et plantes sauvages : primevères, pommes de pin, herbe, brousse, framboise… framboise ?
La créature se désintéressa des autres parfums pour se concentrer sur celui-ci, sucré, léger. Elle le suivit. Sous ses pattes, le sol mou absorbait ses déplacements. Elle perdit l’arôme et s’arrêta pour le chercher. Elle reprit sa route dès qu’elle l’eut retrouvé. Bientôt, elle ne perçut que lui.
Il se trouvait là, devant elle, ce fruit rouge aux multiples billes. Ses yeux noirs s’écarquillèrent. Sa salive emplissait sa gorge. De ses pattes avant, elle saisit l’objet de son attention et, de ses dents, le mordit. Le jus glissa sur ses joues et ses paluches, lui collant les poils. Elle le savoura.
Un bruissement stoppa soudain son extase. Elle s’immobilisa. Ses yeux cherchaient le moindre mouvement. Tous ses sens s’embrasaient. De nouveau, le bosquet frémit. Son cœur palpita. Sa respiration s’accéléra. Un chapeau de feuilles brunes surgit du taillis. La silhouette était familière. Elle ne fuira pas.
– J’ai fini Grise-Mine, on rentre.
La mulote n’aurait pas refusée quelques instants supplémentaires de liberté, mais elle sentait son maître harassé. Elle le laissa grimper sur son dos et le ramena docilement au campement. Le retour ne leur prit que quelques minutes. Quelques minutes de trop. La pluie redoubla de vigueur.
Au bivouac, la mulote s’abrita sous un toit de feuille construit pour l’occasion. Son maître prit soin d’elle, la délestant du poids de sa selle. Après l’avoir nourrit, il brava la forte pluie pour rejoindre la solide tente d’écorce qui lui servait d’abri. Il fit vite, évitant les éclaboussures des gouttes.
À couvert, il sortit de sa besace un pull en poils d’écureuil qu’il enfila prestement. À tâtons dans l’obscurité, il saisit une boite d’allumettes et enflamma la dernière bougie de sa lanterne. Il extirpa de son sac une carte qu’il déploya devant lui, une boussole, une plume et un encrier. À l’aide d’un compas, il reconnut les lieux qu’il venait de quitter. De sa plume, il y inscrivit un trait horizontal qu’il relia à ses tracés précédents. Le motif suivait le bord de la forêt, à une distance de deux millimètres sur papier, quatre kilomètres à taille de moussus.
- Toujours rien, murmura-t-il.
De son ballot dépassait un morceau de papier. Il s’empara de l’enveloppe décachetée et en sortit la lettre, qu’il avait reçue une semaine plus tôt de la part d’un éclaireur. Le Sommet demandait le retour de tous les missionnaires avant la prochaine pleine lune. Mais où en était la lune ? Déjà cinq jours de pluie, ou étais-ce six ? Il ne savais plus. De son compas, il envisagea le temps nécessaire pour rejoindre Célian. Il devait rentrer. Prendre des forces et rentrer. Harassé, il se força à manger quelques restes avant de se coucher. Le sommeil le gagna rapidement.
Un courant d’air glacé le réveilla en sursaut. L’ombre de la nuit était toujours présente. Dehors, aucun bruit ne lui parvenait. Ce changement brutal le fit douter : rêvait-il encore ? Il se frotta les yeux et, pour s’en assurer, sortit de la tente. Son corps fut secoué de tremblements incontrôlables.
La « Brume » entourait le campement.
Il se rua instinctivement dans son abris, renversa boussole et encrier. Trop tard. Les nuées mortelles s’infiltraient déjà par tous les interstices. Il était perdu. Jamais il ne reverrait Célian. Une larme coula sur sa joue. La nuit emplie son champs de vision.

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