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Anton s’était réveillé bien avant le lever du soleil. Les cauchemars qui l’assaillaient depuis son accident ne lui avaient pas laissé de trêve cette nuit encore.
Devant son miroir, il ramena ses cheveux en un chignon irréprochable. Cette coiffure accompagnait une chemise blanche dont les manches bouffantes se refermaient sur ses poignets. Il endossa, par-dessus, une combinaison, brune brodée d’or, au pantalon bouffant. Le haut de son vêtement était dépourvu de manches et le serrait au niveau du torse. Il ne s’habillait jamais de telle sorte. Pour cause, l’accoutrement n’était pas utilisé pour s’aventurer dans la forêt. Il réajusta son col, s’assurant que la broche en bronze représentant une anémone sylvie était fixée du bon côté. Il rassembla les carnets et cartes dans lesquels il avait copier, de mémoire, les résultats de sa mission. Quelqu’un frappa à la porte.
– Gamin, tu es près ?
Il enfila en vitesse ses bottes et alla ouvrir.
– Bon pour moi, Major.
Ce dernier était vêtu du même accoutrement que le sien. Sur lui cependant, le tissu était plus tendu qu’à l’accoutumée. Malgré ses nombreux déplacements, le moussu gardait une certaine corpulence. Il possédait une carrure peu commune, dépassant de deux têtes ses camarades de taille moyenne. A l’instar d’Anton, ses dreadlocks poivrées étaient rassemblées dans une harmonieuse queue de cheval.
Il escorta Anton à l’extérieur du bâtiment des chercheurs-cueilleurs. Leur bâtisse se trouvait au cœur d’un arbre, perché sur la colline. Ils pouvaient apercevoir, en contrebas, l’Endormie, entourée de constructions comme la leur ainsi que de propriétés privées, beaucoup plus rares. Les pins se dressaient au-dessus de leurs têtes et semblaient tutoyer le ciel.
Ils s’engagèrent sur le chemin pavé et traversèrent le ruisseau. Anton n’était pas né la nuit tempétueuse où une branche monumentale fut arrachée d’un arbre. Il avait tout de même appris à l’école comment leurs ancêtres avaient transformé ce bout de bois en un pont majestueux. Les bords avaient été taillés afin qu’il aborde la bonne longueur et des menuisiers l’avaient gravée a but esthétique. Dessous, l’eau poursuivait sa route, étrangement calme au vu des averses récentes. L’affluent était le fruit d’une déviation d’un cours d’eau en amont. Son débit restait le même, peut importe le temps qu’il faisait. On l’avait donc nommé d’Endormie.
Ils atteignirent l’entrée de la ville et prirent la direction de la place principale qu’ils traversèrent à grands pas. Les ruelles étaient silencieuses, les habitants commençaient seulement à ouvrir les volets. Les rayons du soleil perçaient petit à petit les branchages. La présence des arbres ne leur donnaient jamais un accès total à cet astre mais leur accordaient une ambiance feutrée, tachetée tantôt de lumière, tantôt d’ombre. Quelques minutes de marches leur furent nécessaire pour atteindre leur destination.
À l’écart du centre-ville, entre les racines d’un majestueux pin, se dressait une splendide bâtisse, véritable prouesse d’architecture. Des escaliers en pierres menaient à une haute porte de bois voûtée. Les étages, graciles, formés sur une base ronde étaient en partie construits dans l’arbre même et en partie taillés dans la pierre. Des colonnes soutenaient des toits de mousse qui s’élevaient au-dessus de leurs têtes. Le tout était entouré de magnifiques jardins. Anton et Major avaient pour habitude de s’y rendre au retour de leurs missions mais ils ne pouvaient s’empêcher d’avoir le souffle coupé en l’apercevant. Les semaines à dormir sous une tente leur faisaient constamment oublier les beautés de leur cité.
Tous deux grimpèrent les marches de grès, montrèrent leurs insignes aux gardes qui se trouvaient à l’entrée et furent autorisés à pénétrer dans le bâtiment. L’intérieur était tout aussi impressionnant. Des statues, formant des colonnes de pierre et de bois, se côtoyaient dans le hall au plafond de verre qui laissait passer la lumière du jour enfin levé.
Les cueilleurs connaissaient le chemin par cœur et empruntèrent un dédale de couloirs. Anton tentait de suivre le rythme de son chef mais ses blessures étaient encore vives. Cette marche constituait son premier véritable effort depuis qu’il fut remis sur pied. Le vêtement n’aidait pas. L’habit le cintrait et frottait sur ses plaies bandées. Il exprima son soulagement à la vue d'une nouvelle porte.
L’amphithéâtre dans lequel ils pénètrent était complètement constitué de bois. Il se situait au plus profond de l’arbre. Des statues représentant des nymphes en faisait le tour. Piliers de la salle, elles n’en restaient pas moins les piliers de la vie des moussus. Au fond de la pièce, une estrade, composée d’un siège principal et de quatre bureaux plus petits, se dressait. Sur le siège prédominant était assis un moussu, plus petit que Major, aux longs cheveux bruns à l’aspect poussiéreux. Il avait le teint grisâtre et d’épais favoris cachaient la maigreur de ses joues.
Anton retient un sourire. L’empereur ne changeait jamais. Il essayait de compenser tous ces manques en quelques détails qui pouvaient le rendre particulièrement absurde. De ses favoris à ses vêtements larges rembourrés aux épaules en passant par sa manie de se mettre sur la pointe des pieds pour discuter avec un moussu droit dans les yeux, il n’avait point de chose qui ne le rendait pas pittoresque.
S’il occupait la place qu’il tenait à présent, il ne le devait qu’à son esprit et son talent oratoire. Un homme prudent et méthodique, qui avait su ouvrir la main à ceux qui n’avaient rien. Cet homme-là avait fait la promesse d’aider chaque citoyens, par des discours élogieux et justes, suivit d’actes concrets.
À ses côtés se tenaient deux hommes et deux femmes vêtus de la même couleur rouge que son costume.
Anton et Major s’avancèrent au pied de la scène et s’inclinèrent de concert.
– Votre empereur, nous voici, Anton et Major l’Honnête pour vous servir.
L’homme du centre se leva de son siège sur lequel apparu son nom gravé, « Charles ». Il leur fit signe de se redresser.
– Je suis soulagé de vous revoir sains et saufs cueilleurs, tout particulièrement vous Anton. Comment vas votre santé ?
Le chercheur inclina la tête au moment de prendre la parole.
– Elle va en s’améliorant vôtre honneur, merci de vous en soucier.
Charles opina d’un air grave.
– Vous êtes mes missionnaires, c’est moi qui vous envoie en service, il est de mon devoir de prendre soin de chacun d’entre vous. À ce propos, vous n’avez toujours pas reçu de lettres du chercheur Corbin ?
Major secoua négativement de la tête.
– Le messager qui aurait dut atteindre le campement de Corbin n’est pas allé au delà du village le plus proche. Les habitants avaient déjà fuit vers le centre. Il ne restait personne. Il n’a pas souhaité prendre plus de risque.
– Toutes mes condoléances, murmura Charles en joignant ses mains et entrelaçant ses doigts.
Un silence de recueillement suivit son annonce. Tous les dirigeants imitèrent le signe de piété.
– L’ensemble des chercheurs cueilleurs vous en remercie, empereur, répondit Major, l’unique à ne pas avoir réalisé le geste.
Lorsqu’il reprit place sur son fauteuil, Charles désigna de la main les sacoches des deux cueilleurs.
– Quels sont vos rapports ?
Major commença et déroula ses cartes et documents. Il pointa du doigt la ligne rouge qu’il avait tracée d’un bout à l’autre d’un côté Nord de la forêt.
– Toute cette zone ne rapporte encore aucune présence de la brume. Elle n’est malheureusement pas plus éclairante quant à l’existence de l’échinacée.
L’empereur fronça les sourcils. Cette plante se faisait de plus en plus rare et les stocks s’épuisaient rapidement. Elle était principalement utilisée pour traiter les rhumes et toutes autres maladies qui affectent les voies respiratoires supérieures. Cette fleur pourpre était devenue vitale pour l’ensemble de la société car on soupçonnait que ces caractéristiques puissent aider à combattre les effets de la Brume.
– J’ai pu également constater que les animaux fuis, à notre instar, ce phénomène, reprit Major. J’ai repéré la présence d’oiseaux et de rongeurs deux fois plus élevée que ce que Cadence avait rapporté lors de sa dernière mission. Je pense que la Brume aura atteint cette partie dans quelques mois. Il ne faut plus compter sur les excursions dans la zone nord.
Charles secoua la tête d’un air navré et remercia le cueilleur. Il fit ensuite signe à Anton d’avancé. Ce dernier déplia à son tour sa carte et fit son rapport.
– Au nord-ouest, pas de trace non plus de l’échinacée. Tout du moins, la seule preuve que j’ai pu relever était un pied mort. Le froid s’y faisait plus insistant à mesure des jours, plus la Brume approche, plus le temps se refroidit. Elle ne peut donc pas fleurir correctement et ses racines ne peuvent être replantées. Dans le cas de celles que j’ai trouvées, elles étaient gelées.
L’une des moussue prit la parole.
– Et quand est-il des observations de votre informateur ?
Anton se souvint à la personne âgée qu’il avait quittée peu de temps avant de rentrer à son campement, lors de son dernier jour. Il doutait qu’il ait survécu à la Brume. Il repoussa cette sinistre pensée et déroula un parchemin aux annotations hasardeuses. Il était aussi piètre écrivain que dessinateur.
– Cela faisait presque trois mois que la plupart des animaux avaient déserté les lieux, résuma-t-il. Tous les plants d’échinacée se sont mis à pourrir deux mois plus tôt mais cela n’a pas affecté toutes les flores. Pas les framboisiers ou les pissenlits par exemple.
Charles hocha de nouveau de la tête, d’un air songeur.
– Anton, vous souvenez-vous de quelque chose en particulier lorsque la brume s’est abattue sur votre campement ? Demanda un dirigeant.
Le silence devint pesant. L’assemblée était pendu à ses lèvres. Il fit le point sur ses souvenirs.
– Je… Je ne me souviens que de vagues détails. J’ai eu froid, d’abord, puis je l’ai entendu…
– Vous avez entendu la Brume ?
– Non, plutôt le silence qui vient avec elle. Puis j’ai eu…
– Qu’avez vous eu ?
Peur. Il avait eu peur. Il avait vu ses minutes compter mais il n’osait l’avouer. Ses membres se mirent à trembler. Il avait froid. Ses blessures le faisaient souffrir. Charles intervint.
– Ce n’est rien Anton. Nous n’insistons pas. Si un souvenir important vous revient, faite nous signe mais prenez votre temps. Cela viendra quand vous en aurez la force.
Le garçon s’inclina en signe de remerciement et essaya de contenir ses tremblements. L’empereur désigna le trait rouge que le jeune cueilleur avait tracé à son retour.
– Ce qui est sûr, c’est que nous ne pourrons plus compter sur cette partie-ci dans le trajet de votre prochaine mission. Merci à vous deux, rentrez et reposez-vous. Vous en aurez besoin pour la suite.
Les deux compagnons replièrent leurs effets sans poser plus de question et quittèrent l’amphithéâtre. À l’extérieur, Major tira Anton sous un rayon de soleil, retira son veston et le passa par-dessus les épaules du chercheur.
– Ça va passer gamin. Tu as fait du bon boulot.
Le corps d'Anton se réchauffa progressivement. Au bout d’une dizaine de minutes, il tendit sa veste à Major, tout en le remerciant.
– Tu veux que je t’accompagne jusqu’au pavillon ?
– Merci Major mais je dois me rendre au bureau d’Orion.
– L’alchimiste... Je t’y conduis. Mais je ne reste pas.

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