Au-delà des apparences

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Des ruines, que des ruines. Il n’y avait rien d’autre.

— Cette exploration est voué à l’échec !

Un vieil homme au long manteau vert bouteille tournait sur lui-même. Il secouait la tête, faisant à peine danser une mèche de sa courte chevelure blanche en bataille. Ses yeux vairons, cachés derrière des verres carrés sertis d’argent, brillaient d’une intense déception. L’œil vert flambait davantage que le bleu. Le vieil homme tapait rigoureusement du pied sur un sol rocheux, presque sablonneux.

— Quand je pense que cela fait trois jours – trois jours ! – que nous arpentons ces flans de collines raides, stériles et difficilement praticables.

Il courut en direction de sa monture, saisit de nombreux instruments et les testa un par un. Il ne relevait pas vraiment les mesure, il les enchainait tout simplement comme on enchaîne les cylindres de papier dans lequel se camouffle un additif. Sa respiration haletante traduisait son niveau de nervosité.

— Tout ça, pourquoi ? Hein, pourquoi ?

— Rox, tu es pénible…

À côté de la monture, une autre bête de selle portait un individu sur ses épaules : une femme, beaucoup plus jeune d’apparence, vêtue telle une guerrière sous une cape à capuchon. Sa peau, d’un noir de gris, mettaient ses yeux clairs en évidence tel deux billes lumineuses au cœur des ténèbres. Sa patience s’effritait à mesure des secondes face aux caprices d’un scientifique mondain.

— Nous devrions camper.

— Hors de question !

Un grondement sourd, aussi sec et tranchant que la répartie de Rox, retentit au loin. Au‑dessus de leur tête, un ciel bleu éclatant les recouvrait. Mais depuis le nord, de terrifiants nuages s’avançaient dans leur direction, portés par une brise surchauffée et électrique.

La femme posa pied à terre.

— La tempête nous rattrape. Nous camperons ici, point. Sors la Capsule.

— C’est MOI qui dirige cette expédition ! Nous ne camperons pas ! Avec une allure de 25km/h et si nous passons par les sentiers de terre, nous pourrons…

La jeune femme saisit violement le vieillard par le col et le souleva sans broncher. Son regard vif le fusilla d’un agacement sévère.

— Arrêtes tes conneries Rox ! Tu me fatigues avec cette apparence de vieux rabougri aux airs supérieurs. Ce n’est pas comme cela que tu feras avancer les choses.

Aussitôt, l’œil vert du vieillard s’éteignit peu à peu et le bleu commença à s’illuminer. Ses rides s’effacèrent. La blancheur de sa chevelure se colora d’un blond comme les blés. Son manteau s’éclaircit pour se teindre de turquoise. Ses traits dessinaient désormais le portait d’un candide qui n’aurait pas encore assisté à son vingtième printemps.

— C’est mieux, déclara la femme.

Elle le lâcha. Rox marcha d’un pas maladroit vers sa monture qui aspirait goulument le sable rocheux de sa large trompe. Du siège de bois, il détacha une sorte de grosse malle grise métallique. Il peinait à la porter. La bête de selle de la femme le seconda, agitant ses quatre gros bras musclés, et transporta le colis jusqu’au centre des ruines. Rox caressa la malle d’une certaine manière en récitant des paroles dans un langage que lui seul connaissait. L’appareil vibra avant de se désarticuler. Elle s’élargit, se gonfla, se déforma, pour prendre l’apparence d’un abri cubique en béton du monde moderne, avec sa lamentable porte rectangulaire. À vue de nez, cet abri était juste assez large pour une seule personne. Mais lorsque Rox ouvrit la porte, il donna l’accès à l’intérieur chatoyant d’une grande maisonnée de campagne.

— C’est prêt.

La femme hocha de la tête. Elle claqua sa langue selon un ordre de sons précis. Sa bête de selle fit volte-face, arracha la pauvre monture de son repas improvisé et l’emporta vers l’abri. L’encadrement de la porte, jusqu’à maintenant trop petit pour eux, s’élargit tel un élastique à leur passage avant de rependre sa forme originelle. Rox leur emboita le pas. Il stoppa dans l’entrebâillement lorsqu’il remarqua que la femme ne les suivait pas.

— Viens avec moi, proposa Rox en lui tendant la main.

La femme recula avec un grand sourire.

— Tu sais très bien que je ne peux pas. Elle chercherait à entrer par tous les moyens.

— Cette abomination n’a nul pouvoir sur toi !

— Peut-être… Mais elle reste ma mère. Où je vais, elle me cherchera.

— Viens Nhaka, s’il te plait…

La femme gardait ses positions.

— N’oublie pas, tu ne sors qu’après le troisième chant du coq. Je te rejoindrais plus tard.

— Et si… tu ne reviens pas ?

Rox affichait un air inquiet, presque effrayé. Nhaka éclata de rire, écartant les bras. Une légère brise, plus froide que celle qui venait du nord, l’enveloppa. Sa chevelure indigo se développa pour la recouvrir entièrement. La masse formée se contorsionna et s’opacifia. Une sorte de petit nuage violacé prit forme.

— Je reviendrais toujours vers toi, plana une voix qui semblait venir de partout en même temps. Je t’ai fait une promesse, je la tiendrais jusqu’au bout.

Le nuage s’éleva dans le ciel et disparut. Rox pénétra dans l’abri et referma la porte, le cœur serré. Bientôt, les grondements s’intensifièrent. La tempête et l’obscurité total envahirent les vestiges du lieu. Le vent, fou et incontrôlable, balayait tout sur son passage. Les corps fumeux d’esprits squelettiques léchaient les angles et les parois de l’abri en béton, sans y prêter plus d’attention. Pourtant, ils cherchaient quelque chose, ou plutôt quelqu’un…

Dans l’abri, Fox alluma le feu de l’âtre, tandis que la bête de selle et la monture à trompe se callaient dans le fond de paille d’une petite écurie intégrée à l’intérieure même de la maisonnée. En quelques minutes, des ronflements s’échappèrent de cet humble coin douillet. Rox leva ses yeux désaccordés, l’œil bleu miroitant au bord duquel une larme s’échappa, les pieds tapant nerveusement le tapis qui recouvrait le plancher de bois. Au‑dessus de la cheminée, une pendule cliquetait. Et en son centre, pour l’instant immobile, un miniature coq en bois reposait.

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