Partie 3
Quarante-cinq minutes.
C’est le temps que j’ai passé devant le miroir, à tourner sur moi-même, à chercher la bonne posture, la bonne lumière, le bon angle qui pourrait me rendre… tolérable. Mais rien ne va. Rien n’ira jamais.
Je tire sur mon haut, lisse mes cheveux, grimace à mon reflet. Mon nez tordu, mes joues trop pleines, mes yeux gonflés de fatigue. Je fixe la glace jusqu’à en avoir mal au crâne. Peut-être qu’à force d’insistance, quelque chose changera. Mais non. Toujours ce même visage bancal, figé, que je connais trop bien.
On dit qu’il ne faut pas juger un livre par sa couverture. Mensonge. Les gens jugent toujours. Les livres froissés dorment dans les caisses des brocantes, ignorés. Les couvertures lisses et colorées, elles, trônent dans les vitrines.
Et moi, j’ai cette sensation d’être l’un de ces vieux bouquins qu’on feuillette à peine avant de le reposer.
Il faudrait sérieusement penser à faire un régime.
Dans cette guerre contre moi-même, ma mère a toujours l’art de m’enfoncer un peu plus.
Tu serais tellement jolie si tu faisais un effort.
Alors j’ai essayé. Déficit calorique, jus détox, programmes miracles. Elle ne jure que par ça. Mais les kilos restent en place, mes cheveux font toujours des nœuds, mes boutons refusent de disparaître, et mon bec de grive me nargue dans le miroir.
- Alexia, tu vas être en retard ! gronde sa voix depuis la cuisine.
Je prends une grande inspiration. Tant pis. J’attrape un jean, un chemisier trop grand, et je file avant de changer d’avis.
Pas de petit-déjeuner aujourd’hui, juste une tasse de café avalé à la hâte. Le moral est aussi bas que la température du matin.
Dans la voiture, Antoine jette un coup d’œil vers moi sans rien dire. Il sait quand il faut se taire. Les semaines ont fini par s’user en silence, les jours se sont fondus les uns dans les autres, rythmés par les trajets au lycée, les repas mécaniques, les soirées d’études sous la lumière trop blanche du bureau. J’ai fini par m’habituer à cette existence lisse, presque étouffée.
Mais aujourd’hui, quelque chose déraille dans la routine. Le ronron du moteur paraît plus fort, plus lourd. Mon cœur aussi, cogne plus vite. Parce que ce soir, j’ai orchestre.
Ces mots tournent dans ma tête comme une mélodie qu’on n’ose pas fredonner. Je ne sais pas si j’ai hâte ou si j’ai peur. Peut-être les deux.
Je regarde les immeubles défiler derrière la vitre, leurs lumières qui se brouillent dans le reflet de mon visage. Cinq mois depuis l’incendie. Cinq. Et je suis toujours en transit, comme si je vivais dans une parenthèse qui n’en finit pas de durer. Rien ne m’appartient vraiment. Ni la ville, ni la maison, et encore moins ce corps que j’apprends à supporter.
Ce soir, pourtant, j’ai la chance de retrouver une part de l’ancienne moi. Celle qui respirait à travers la musique.
Et si Samuel est là…
S’il fait encore partie du groupe, j’aimerais qu’il me voie autrement. Pas comme cette fille maladroite qu’il a connue, ni comme la survivante qu’on regarde avec pitié.
Je veux qu’il voie que j’existe encore.
- Ce soir je viens te chercher à dix-sept heures précises, rappelle Antoine en se garant devant le lycée. J’ai une réunion de travail jusqu’à vingt heures, alors tu devras m’attendre un peu.
Je hoche la tête, la main déjà sur la portière.
- Alexia.
Je me retourne. Il fouille derrière son siège, en sort un sac en kraft.
- Ne laisse pas les mots de ta mère t’abimer. Et ne saute pas de repas.
Je le prends sans protester. Une pomme, deux tartines emballées, un yaourt à boire. C’est tout lui, ça. L’attention discrète, la tendresse sans un mot.
Je murmure un « merci » trop tard, quand il est déjà parti.
L’emballage reste sur ma table, immobile, comme un rappel silencieux qu’Antoine veille sur moi. Je n’y touche pas tout de suite, reste assise à regarder ses contours froissés, et un petit souffle de gratitude m’échappe. La matinée s’étire, rythmée par les cours, les discussions étouffées dans les couloirs, et le crissement des pas sur le carrelage. Mais une tension constante serre mon ventre. Je n’échapperais pas à la boule d’angoisse que représente mon premier soir d’orchestre.
Les heures passent entre les leçons et les récréations. Je m’accroche aux gestes familiers : griffonner dans mon carnet, ranger mes affaires avec soin, observer les autres sans me faire remarquer. Mais mes pensées reviennent toujours à Samuel. Et s’il ne venait pas ? Et s’il était là et que je me ridiculisais ?
Même dans la routine, je sens le temps s’allonger. Chaque son, chaque mouvement autour de moi semble exagéré. Le claquement des portes. Les rires des camarades. Le froissement des feuilles. Les heures ralentissent, n’en finissent pas. Comme si le temps se distordait, s’étirait pour retarder le moment fatidique. Quand enfin la sonnerie retentit, je sens une bouffée de soulagement. La journée touche à sa fin, mais le stress ne fait que monter. Je me lève, attrape mon sac, et me dirige vers la sortie du lycée.
L’air frais du soir me frappe le visage, et la lumière déclinante joue sur les murs des bâtiments. Mon cœur bat plus vite. Chaque pas me rapproche de ce moment où je devrais affronter mon anxiété, mes doutes. Enfin… si Samuel est là.
Le moteur de la berline d’Antoine gronde au loin sur le parking, fidèle à l’heure convenue. Je prends une grande inspiration, essaye de calmer le flot de questions qui se bousculent dans ma tête. Et si tout avait changé ? Et si Samuel n’était plus le même ?
Je monte à bord de la voiture et le silence s’installe aussitôt. Seul le bruit du moteur et le froissement de la ceinture rompent la torpeur. Mes mains sont moites, mes jambes tremblent. Je sens mon ventre se nouer au fil des virages.
Et si je m’étais trompée ? Et si le garçon n’était pas là ?
Ce serait peut-être mieux. Au moins, je ne me sentirais pas mal à l’aise, pas vulnérable face à lui.
Mais si, au contraire, il était là ? Que dois-je faire ? La jouer cool et détachée, comme si de rien n’était ? Mystérieuse, indifférente ? Je me repasse toutes ces possibilités comme on révise une scène avant le lever du rideau. Sauf qu’ici, je n’ai pas de texte, pas de rôle à jouer. Juste une angoisse brûlante qui me serre la gorge.
Les minutes s’étirent, et plus on s’approche du conservatoire, plus mon cœur bat fort. Je revois nos anciens duos, les éclats de rires après les répétitions, les heures passées à improviser alors que tous les autres rangent leurs instruments. Je croyais ces souvenirs éteints, mais ce soir, ils se rallument un à un, douloureux et lumineux à la fois.
Devant l’entrée du conservatoire, je reste un instant immobile. J’hésite à franchir la porte. Et si nous avions tout perdu ? Si Samuel ne voulait pas qu’on se retrouve ? Si, pour lui, tout cela appartenait à une autre vie ? Je ne suis pas certaine d’avoir la force de supporter une année entière à ses côtés si nous devons agir comme des inconnus.
- Alexia ?
Je sursaute. Une voix familière me tire de ma spirale d’angoisse.
- C’est cool, tu ne m’avais pas dit que tu faisais de la musique toi aussi !
Eishen s’avance vers moi, tout guilleret, un étui de flûte traversière à la main. Il a cette énergie désarmante qui irradie partout où il passe. Au moins, s’il est là, la soirée ne sera pas si terrible.
- C’est mon premier jour, je lui explique en lui emboîtant le pas. J’ai fait de l’orchestre il y a quelques années, et… ça me manquait un peu.
- Ta mère a bien voulu que tu reprennes ?
- Avec plusieurs exigences en contrepartie… mais oui.
Il sourit, satisfait de ma réponse, et m’entraîne à l’intérieur. Ses mots se bousculent, pleins d’enthousiasme. Il me parle des morceaux travaillés l’an dernier, du chef d’orchestre un peu maniaque mais brillant, de la tension avant les concerts, de la fierté d’entendre la salle vibrer sous les applaudissements. J’écoute à moitié, portée par le flot de sa voix et l’odeur familière du vernis et de la résine qui flotte déjà dans le bâtiment. Les murs couverts d’affiches délavées racontent d’anciennes saisons, des visages figés en plein concert, des noms de compositeur que je connais à peine. Le couloir est long et faiblement éclairé. Sous mes pas, le parquet grince. Ce son sec et irrégulier me serre le cœur à chaque craquement. L’air sent le bois ciré et la poussière chaude, un parfum qui me ramène brutalement ailleurs, dans un autre conservatoire d’une autre ville. Je me revois plus jeune, mon violoncelle presque plus grand que moi, courant dans les escaliers avec Samuel à mes trousses. C’est étrange. Tout est différent et pourtant, j’ai l’impression d’être revenue chez moi.
Les échos des voix au bout du couloir se mêlent aux grincements des chaises et aux cordes qu’on accorde. La vibration familière d’une note grave se répercute dans ma poitrine. Mon cœur bat au même rythme que le bourdonnement des instruments. Je sens l’angoisse se fondre un peu dans la nostalgie, et ce mélange confus me serre la gorge.
Plus nous approchons de la grande porte de l’auditorium, plus mes souvenirs s’entrechoquent : les soirs de concert, les rires étouffés dans les coulisses, le trac avant le lever du rideau. J’ai beau me répéter que ce n’est pas le même endroit, que ce ne sont plus les mêmes gens, une part de moi refuse de le croire.
- On pourra s’entraîner dans la salle de musique au lycée ! claironne Eishen en ouvrant la porte.
Sa joie de vivre finit par fissurer ma carapace. Je sens la boule au creux de mon estomac se délier lentement. A l’intérieur de la salle, des musiciens de tout âge discutent, s’accordent, s’échauffent. Ce n’est plus le petit orchestre d’enfants que je connaissais autrefois. Ici, les adolescents côtoient les adultes, les étudiants en musique croisent les retraités. Et pourtant, dans ce brouhaha organisé, tout semble naturel.
Je scrute la foule, le cœur battant. Je cherche une silhouette, un visage familier. Mais rien. Pas de trace de lui. Peut-être que je me suis fait des idées. Peut-être que ce n’est qu’une coïncidence si nous sommes dans le même lycée.
Eishen me fait un petit signe de main avant de rejoindre son pupitre. Je lui rends son sourire et me dirige vers ma place. Deux violoncelles seulement. L’autre musicienne, une mamie à l’allure sévère, marmonne entre ses dents en m’étudiant du coin de l’œil. Super. L’ambiance promet.
J’installe mon instrument, ajuste la pique dans la planche, puis m’assois au premier rang, histoire d’avoir une vue dégagée sur le chef. L’autre violoncelliste recule un peu, comme pour garder ses distances.
Je baisse les yeux, feignant de vérifier la hauteur de ma pique, mais la gêne me serre la poitrine. Pourquoi les gens font toujours ça ? Pourquoi cet instinct de s’éloigner, comme si quelque chose chez moi dérangeait, sans que je sache quoi ? Peut-être mon allure maladroite, ou ce fichu air gauche que je traîne comme un boulet. J’aimerais pouvoir me fondre dans la masse, disparaitre parmi les pupitres et les instruments. Mais même ici, dans cet endroit où tout le monde partage la même passion, j’ai l’impression d’être à contretemps.
Je ressers la pique de mon violoncelle, m’efforce de paraitre concentrée. Autour de moi, les musiciens discutent avec aisance, échangent des sourires, des anecdotes. Tout semble fluide, naturel. L’écart d’âge, les différences de niveau, tout s’efface devant cette langue commune qu’ils parlent sans effort. Celle de la musique. Et moi, je reste là, à essayer de me rappeler comment on fait pour appartenir à quelque chose.
Le chef d’orchestre arrive, les cheveux poivre et sel, l’air concentré. Il distribue les partitions : une musique de film. Les violons dominent la mélodie, et nous, pauvres violoncelles, sommes relégués à la basse. Toujours la même injustice.
Le vacarme des préparatifs emplit la salle : le souffle des cuivres, les pizzicatos maladroits, les cordes qui grincent. Puis le silence suspendu. Le chef lève la main, fait signe aux flûtes de commencer.
Les premières notes s’élèvent, hésitantes. Le thème du morceau se dessine peu à peu, fragile, comme un fil qu’on tisse entre nous. Les violons prennent le relais, sûrs d’eux, les altos suivent avec justesse. Quand vient notre tour, je m’efforce de suivre le rythme, mais la partition est d’une simplicité désespérante. Trois temps, quatre notes répétées, des basses qu’on pourrait presque jouer en somnolant. Pourtant je m’applique, parce que c’est tout ce qu’il me reste à faire.
- Stop, stop, stop ! fait le chef d’orchestre en claquant des doigts.
Il se tourne vers le fond de la salle, là où les trompettes baissent déjà la tête.
- Les cuivres, on reprend à la mesure vingt-deux. Vous devez respirer ensemble, sinon c’est la cacophonie.
Un rire discret traverse les rangs, et je souris malgré moi. C’est ça un orchestre : des erreurs partagées, des reprises collectives, des instants suspendus où tout le monde retient son souffle avant de recommencer.
Le chef compte à nouveau, et cette fois, le son prend forme. Les harmonies se croisent, s’équilibrent. Le cœur du morceau bat enfin à l’unisson. Je sens les vibrations du violoncelle remonter le long de mes bras, résonner dans ma poitrine. Je ferme brièvement les yeux, laissant la musique me traverser. Pendant un instant, je me sens à ma place.
Et puis la porte de l’auditorium claque.
Un souffle glacé s’infiltre dans la pièce, brisant notre fragile cohésion. Quelques têtes se tournent, le chef soupire sans s’interrompre. Je ne lève pas les yeux, trop concentrée à garder le rythme, à ne pas perdre le fil. Jusqu’à ce que ma pique dérape, grinçant contre le bois. Une fausse note, stridente, déchire l’harmonie que nous avions créée.
Je me penche pour resserrer la vis à oreille qui maintient la tige métallique, et ce n’est qu’à ce moment que je remarque deux pieds, tout près des miens, et un violoncelle posé à ma droite.
- Je vois que rien n’a changé, murmure une voix d’un ton amusé. Tu fais toujours la même moue quand tu fais une fausse note.
Je me redresse d’un bond.
Il est là.
Samuel.
Mon cœur se serre, mes joues s’enflamment. Il me sourit. Ce même sourire, un peu insolent, un peu tendre. Tout remonte d’un coup : les fous rires, les concerts, les confidences à la sortie des répétitions. Nos regards se croisent et je ne peux plus les détourner. Pendant une seconde, tout le reste s’efface. La salle. Le bruit. Les gens. La boule qui pesait sur mon estomac disparait tout à coup. C’est comme si le temps avait rebroussé chemin. Comme si on ne s’était jamais quitté. Lui à droite, moi à gauche, au premier rang. Son air espiègle et ses yeux malicieux, ses douces moqueries.
Cinq ans ont passé, mais dans nos cœurs, c’est comme si c’était hier.
- Au moins, moi je remarque quand c’est faux, je lance, un sourire tremblant aux lèvres.
- Aïe… j’espérais que tu avais oublié ce détail.
La vieille dame derrière nous grommelle, et nous retenons un rire complice. Les deux heures qui suivent filent à une vitesse folle. La musique nous enveloppe, les notes s’enchainent sans heurts. Nos instruments parlent à notre place. Comme si, malgré les années, rien ne s’était perdu.
Lorsque nous sortons du bâtiment, le soleil est sur le point de se coucher. L’air du soir a cette odeur d’humidité mêlée au cuivre des instruments. Les derniers élèves bavardent à voix basse sur le parvis, leurs rires se fondant dans la rumeur lointaine de la ville.
Mais à côté de moi, Samuel s’est refermé comme une porte. Il a rangé son instrument dans un silence d’or, sans une parole, le visage impassible. Et même s’il m’a attendu avant de sortir, pas un mot n’a franchi ses lèvres depuis la fin de la répétition.
Je serre un peu plus fort mon téléphone dans ma paume, hésite, puis me décide enfin.
- Ça serait plus pratique d’échanger nos numéros, puisque… on ne se croise pas vraiment au lycée, lui dis-je dans un souffle.
Aussitôt, ses doigts effleurent les miens quand il prend le portable. Ce simple contact suffit à accélérer mon cœur.
- Ouais, ça pourrait être sympa de bosser le morceau tous les deux, répond-il d’un ton calme, presque détaché.
Avant que je puisse répondre, une voix s’élève derrière nous.
- Dites, c’est quand même une sacré coïncidence que vous vous retrouviez dans le même lycée alors que vous n’habitiez pas ici il y a quelques mois, remarque Eishen, un sourire curieux sur les lèvres.
Je sens aussitôt la tension qui s’installe entre eux. Quelque chose d’invisible, mais palpable, qui fait reculer un peu l’air autour de nous. Samuel se passe une main dans les cheveux, soupire.
- Ça faisait quelques années que je me tâtais à rejoindre ma famille éloignée ici, dans le Sud. Alexia avait quitté l’orchestre, j’étais seul, alors je suis parti, dit-il entre ses dents, sans même accorder un regard à Eishen.
- Et tes parents, ils sont venus avec toi ? poursuit celui-ci, les sourcils légèrement froncés.
Le silence s’abat d’un coup. Les traits de Samuel se figent, son regard se perd quelque part où nous ne pouvons pas le suivre.
- Mes parents sont morts, il y a un peu moins de quatre ans, finit-il par lâcher. D’où la nécessité de changer d’air.
Ses mots résonnent longtemps, lourds, irréversibles. Eishen bafouille une excuse maladroite, puis s’éclipse sans même me saluer.
Je reste seule avec Samuel, sans trop savoir quoi dire. Les lampadaires s’allument un à un, dessinant des halos jaunes sur le bitume humide.
- Je… je suis désolé pour tes parents, je murmure, la gorge serrée.
Il détourne le regard, la mâchoire contractée.
- Je doute que tu comprennes ce que je ressens, marmonne-t-il avant de faire un pas en arrière.
Je ne réfléchis pas. Ma main part d’elle-même, s’accroche à la sienne. Peut-être par peur qu’il parte, ou simplement pour lui dire qu’il n’est pas seul. Je ne sais pas. Mais c’est plus fort que moi.
- Mon père nous a abandonné, ma mère et moi, quand j’avais cinq ans, dis-je d’une traite, le souffle court. Alors oui, il n’est pas mort, mais c’est tout comme. Depuis qu’il est parti, ma mère n’est plus la même. Elle est froide, rigide… Elle ne montre plus rien. Pas même à sa propre fille.
Je baisse la tête, honteuse de parler autant.
- Je sais que ce n’est pas comparable, mais… je n’ai aucun souvenir de mon père. Et ma mère est devenue une inconnue.
Samuel me regarde longtemps, sans rien dire. Puis il avance d’un pas et serre ma main dans la sienne. Geste simple, fragile, mais d’une sincérité bouleversante.
- Je ne savais pas… excuse-moi.
Je m’apprête à lui répondre que ce n’est pas grave, que je comprends, mais un klaxon nous fait sursauter. Nous tournons la tête en même temps. Une voiture noire est garée un peu plus loin. Samuel se fige.
Ses doigts glissent brusquement des miens.
- Faut que j’y aille, murmure-t-il.
Il me fait un signe de tête, recule, s’éloigne vers la voiture. Je le regarde ouvrir la portière, le cœur serré. Le conducteur tourne alors la tête vers moi. Impossible de le distinguer clairement son visage dans la pénombre, mais j’aperçois des boucles sombres, une barbe soignée, et ce regard fixe, perçant, presque trop attentif. Il m’adresse un signe poli avant de démarrer.
La voiture s’éloigne dans un grondement sourd, me laissant seule sur le parvis, dans le froid et le bruit lointain de la ville.

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