Chapitre XI : Le flux et le reflux, ça me fait marrer
Nous approchons du campement au cœur des marécages. Il est établi sur une surface hors d'eau. Il est constitué de tentes de branchages et de peaux. Ces tentes sont de diverses tailles mais assez peu élevées. Dès qu'ils nous aperçoivent, les enfants s'enfuient en criant pour regagner l'abri des huttes. Des archers accourent se poster face à nous, à l'entrée du campement. Ils nous mettent en joue. Ce sont des petits humanoïdes à la peau bleue et à la bouche déformée par deux petites défenses. Leur nez retroussé est entouré de deux petits yeux ronds. Aucun doute possible, ce sont des gobelins. Les adultes ont un tatouage en forme de vague sur le front. Comme mes compagnons, j'ai laissé mes armes au fourreau. Nous mettons tous en avant les paumes de nos mains pour leur montrer que nous ne sommes pas hostiles. Nous sommes obligés de nous arrêter à l'entrée du campement. Les archers deviennent nerveux avec leurs arcs bandés. Les femmes et les enfants se sont cachés dans les tentes, seuls les guerriers sont visibles. Balak et Ombre Dansante commencent à parler une langue que je ne connais pas. Un gobelin leur répond dans le même langage guttural. Décidément, j'en apprends tous les jours.
Trois semaines plus tôt. Nous avions quitté la cité cachée de Synmoria pour aller à Millebornes. Je restais avec mes questions au sujet d'Eliodys. Le valet de la Reine des elfes ne nous faisait pas assez confiance pour nous permettre d'entrer dans son intimité. Mais, pour l'instant, je préférais laisser en suspend mes interrogations. Il sera toujours temps de connaître les intentions de la Reine de Synmoria, plus tard.
Durant le voyage, je repensais à ces derniers jours. Lorsque j'avais rencontré la Reine, elle avait répondu à mes questions. Mais, elle en avait soit trop dit, soit pas assez. Elle m'avait laissée avec plus de questions qu'auparavant. Elle savait qui étaient mon père et ma mère. Elle m'avait confirmée qu'ils se connaissaient avant que nous ne quittions l'archipel. Ma mère était partie pour Eauprofonde pour me protéger (mais de quoi ? De qui ?) ; mon père était parti vers des contrées peuplées de géants si j'en croyais une chanson qu'il avait laissée au peuple d'Ombre Dansante.
Nous avions contourné les marais des Hommes-lézards par le nord. La piste traversait des collines escarpées, mais elle était praticable. Après douze jours de marche, nous sortions enfin de cette partie accidentée sans avoir subi d’incident. Nous étions entrés, ensuite, dans la plaine qui s'étendait entre Phantom et Thurmestre. Cette partie du chemin nous fit traverser une prairie très humide. Le sol était spongieux. Six jours après, nous arrivions à la petite cité de Millebornes.
Sur la place centrale, nous assistâmes à un spectacle curieux.
- Que se passe-t-il ? Demanda Ombre Dansante à un quidam qui regardait la scène.
- C'est une vente aux enchères ! Répondit-il.
- Quel type de vente aux enchères ? Renchérit Balak.
- C'est un couple de fermiers qui vend sa ferme et les terres qui en dépendent.
Même si la bourse qui changeait de main semblait conséquente, le prix que ces paysans avaient obtenu pour la vente de leurs terres semblait dérisoire. Balak se dirigea vers le fermier :
- Pourquoi vendre vos terres pour un prix aussi faible ? Je ne comprends pas !
Le paysan avait les épaules affaissées, comme s'il portait le monde entier. Il tenta de se redresser et essayait de se contrôler, mais sa voix était légèrement chevrotante. Il répondit au nain :
- Les marais, au sud-est du bourg, n'arrêtent pas d'avancer depuis deux ans environ. Aujourd'hui, nos terres ne sont plus exploitables.
Le paysan prit une grande inspiration pour de nouveau se contrôler et continua :
- Il ne nous reste plus qu'à partir vers le sud. Nous irons près de Phantom, où ma femme a de la famille.
Derrière lui, un enfant dans ses bras, un autre accroché à ses jupons, sa femme restait droite, pleine de gravité. Mais je ressentais, derrière la façade de ce regard, la désespérance de ceux qui avaient tout perdu. Je me sentis impuissante lorsque je lui demandais s'ils avaient besoin de quelque chose. Ce « non, merci ! », trop fier pour être contredit, résonnera longtemps dans ma tête.
Eliodys, de son côté, s'était écarté pour se renseigner auprès des rôdeurs de la région. Mais personne n'avait retrouvé la trace de la jeune fille enlevée depuis plusieurs semaines.
Nous nous étions, ensuite, dirigés vers l'auberge pour passer la nuit. L'ambiance était morose. Je demandais au patron l'autorisation d'organiser une soirée, afin de remonter le moral des habitants. Il accepta lorsque je lui proposais de ne pas demander de cachet. Et puis, j'avais besoin d'extérioriser ce que j'avais ressenti en voyant cette femme dans l’après-midi. Je commençais par jouer de l'harmonica pour permettre à quelques personnes de danser. Puis, je chantais une chanson gaie et très populaire. Un autre barde présent décida de m'accompagner avec sa cithare. Sur les dernières notes, nous fûmes, tous les deux, applaudis avec ferveur. Excitée par l'ambiance, j'allais retrouver Balak :
- Maître nain, vous m'avez un jour demandé de vous apprendre à mieux danser. Mais avant, je veux savoir ce que vous avez dans le ventre...
Je tirais Balak au centre de la piste. Je lui demandais :
- Choisis ta danse !
Il choisit une danse naine que, heureusement, je connaissais. Me retournant vers le barde à la cithare, celui-ci me confirma qu'il savait même jouer la mélodie. Alors, je regardais le guerrier nain dans les yeux sur les premières mesures :
- Maître nain, je veux voir votre âme dans vos yeux !
Après quelques pas de danse, je pris les choses en main : je laissais la musique porter mon corps. Les spectateurs frappaient dans leurs mains avec de plus en plus de ferveur. Petit à petit, je poussais les codes de la danse de plus en plus loin. Balak était à la peine mais il réussît une prestation remarquable... pour un amateur ! Le final déclencha dans l'auberge un tonnerre d'applaudissements. Je m'inclinais devant le public. Puis, je remerciais Balak et le barde pour la qualité de leur prestation. Je me précipitais vers Ombre Dansante et je l'embrassais avec fougue :
- Tu as vu ! Balak est presque aussi bon danseur que toi !
Regardant vers le patron, je continuais :
- Donnez-nous votre meilleure chambre ! Gardez la monnaie, dis-je en lui lançant une pièce d'or.
J'entraînais Ombre Dansante dans la chambre...
Le lendemain matin, pendant le petit-déjeuner, le patron de l'auberge vînt nous trouver. Il nous annonça en nous montrant un jeune héraut :
- Je pense que ce jeune homme veut vous parler.
Je me tournais vers le messager. Il était bien habillé et parfumé. Ce fut Ombre Dansante qui, le premier, s'approcha de notre visiteur. Ce dernier nous dévisagea. Il prit une grande inspiration pour se donner une contenance et nous demanda :
- Mon maître, le Baron Darien Carment m'a demandé de quérir un groupe d'aventuriers : deux elfes, un nain et une jolie demi-elfe... Je pense que c'est de vous dont il s'agit.
Balak fit mine de nous détailler et railla :
- Ah ! Nous avons affaire à un futé...
Ombre Dansante enchaîna pour empêcher le malaise d'envahir notre interlocuteur :
- Comme l'a souligné notre ami, c'est bien de nous qu'il s'agit. Que nous veut ce baron ?
- Il vous prie d'accepter son invitation à dîner ce soir. Je pris la parole sans regarder mes amis :
- Combien de temps à pied pour rallier la demeure du baron Carment ?
- Euh... une heure de marche vers le sud-ouest !
- Nous acceptons l'invitation du baron. Nous serions heureux d'être à sa table ce soir. Laissez-nous quelques heures pour nous préparer. (Je me tournais vers le patron pour lui lancer une pièce d'or) Un bain bien chaud, s'il vous plaît !
Balak se tourna vers moi :
- Dites donc, donzelle ! Nous aurions peut-être notre mot à dire...
- Tu veux te faire connaître, le coupais-je, pour tes travaux de verroterie et notre chaperon de la cité elfe cherche aussi à se faire des relations... Tu as un commentaire ?...
Balak manqua de s'étouffer dans sa barbe.
- Annoncez que nous venons, continua Ombre Dansante en riant. Revenez nous chercher en début d'après-midi.
Le bain me fit un grand bien, je me sentais courbaturée. Je m'habillais avec une tenue de voyage plutôt jolie. J'aurais préférée une robe mais l'heure de marche me dissuada. Je me maquillais de façon sobre, je mettais mes yeux verts en valeur. Je me coiffais pour appuyer mes traits humains.
En fin d'après-midi, nous arrivâmes à un modeste château. C'était une motte avec une palissade en bois. Au centre, trônait un grand bâtiment contre lequel se trouvait une dépendance en dur. Nous fûmes reçus sans délai par le Baron Darien Carment. Il était d'âge moyen avec un léger embonpoint. Sa barbe et sa moustache étaient parfaitement entretenues. Il portait des vêtements de bonne facture, parfaitement ajustés. Il nous dit :
- Soyez les bienvenus dans ma modeste demeure. Je suis le Baron Darien Carment.
- Bonjour, je m'appelle Ombre Dansante, répondit l'elfe, chantelameur.
- Je suis Balak Tyrim, enchaîna le nain, guerrier de la cité de Thorndyke.
- Je m'appelle Eliodys, cavalier de Synmoria. (Le salut elfique du cavalier mettait toujours les humains mal à l'aise).
A chaque fois, le baron répondit d'un signe de tête souligné par un « enchantez » très poli. Puis, il se tourna vers moi :
- J'avais entendu mes sujets parler de la traversée sur mes terres, il y a quelques temps, d'une jolie demi-elfe. Mais, ils étaient bien loin du compte : vous êtes très belle, mademoiselle ?...
- Shen, messire, barde-marchebise, dis-je avec une révérence. Je suis confuse, vos compliments me touchent.
- Le Sénéchal m'a vanté vos exploits, continua-t-il. Aussi, j'ai eu besoin de vous rencontrer pour connaître ceux qui ont mis à mal les trafiquants qui opèrent dans nos îles... Mais, je manque à tous mes devoirs : entrez donc en mon château !
Nous fûmes installés dans une grande salle à manger. La table était en U et couverte d'une belle nappe blanche. Le baron et sa famille s'assèyèrent au centre, Sa maisonnée était sur son aile droite et nous sur sa gauche. Après quelques banalités, le baron s'adressa à nous :
- Les marais à l'est de nos terres familiales nous posent un problème. Ils ne cessent de s'étendre depuis deux ans. Ce qui n'était qu'une plaine humide va désormais devenir un bourbier inexploitable ! Les paysans partent les uns après les autres. Si cela continue, Millebornes deviendra une ville fantôme abandonnée par ses habitants.
- La situation est si grave ? se risqua Eliodys.
- Oui, je le pense. Mais vous arrivez à point. J'ai entendu parler de vous. Le Sénéchal dit que vous êtes loyaux et efficaces. J'aimerais, si vous acceptez, que vous alliez enquêter sur les raisons de cette progression des marais. Je vous en supplie ! Aidez les habitants de cette région.
Alors que le baron nous parlait, je me rappelais le visage de cette femme qui avait tout perdu. Je n'hésitais pas un instant :
- J'accepte, messire !… et je pense que mes amis aussi.
Mes compagnons furent tous d'accord. Le baron nous remercia et nous demanda de faire le plus vite possible. D'autres exploitations étaient en danger. Le Baron nous invita à rester dans son château pour la nuit.
Nous partîmes le lendemain matin à pied vers les marais. La journée fut calme alors que nous traversions les terres agricoles du Baron. Le soir, nous avions bivouaqué en lisière des marécages. Cette zone humide n'avait rien à voir avec les marais des Hommes-lézards. Il y avait très peu de plantes caractéristiques de ce type de terrain. La terre commençait à devenir spongieuse, comme si elle était saturée d'humidité.
Les deux jours suivants, nous sommes entrés dans les marécages. Ils ressemblaient à une plaine inondée. Notre progression fut de plus en plus difficile. L'eau montait parfois jusqu'aux genoux. Le terrain était boueux, mais l'eau était claire. Le troisième jour, Eliodys fut le premier à repérer un vieil homme qui semblait ramasser des plantes. Il était vêtu d'une robe et s'appuyait sur un bâton noueux. Nous décidâmes d'aller à sa rencontre. Son visage buriné était percé de deux yeux perçants, un nez légèrement épaté et des cheveux en bataille. Ombre Dansante nous présenta chacun à notre tour. Le vieil homme répondit :
- Je m'appelle Arvehn. Je suis druide du cercle de Caer Corwell.
- Alors, vous avez dû entendre parler de nous, relance Ombre Dansante. Nous enquêtons au nom du baron sur l'évolution des marais.
- J'avais aussi remarqué ce changement, reprit-il en se grattant le tête dominée par une calvitie à son sommet. Elle a commencé il y a deux ans environ. Mais, je n'ai aucune idée des causes de la montée de ces eaux. Suivez-moi, je vais vous mener en un endroit plus approprié aux discussions et au sommeil. La nuit va bientôt tomber. Il nous emmena sur un lieu sec afin de pouvoir parler plus confortablement. Il y avait établi sa tente. En chemin, grâce aux pouvoirs que me conférait Akkadie, la déesse des vents, je sondais discrètement le vieil homme.
Ô Dame des Airs
Par la pureté de l'air que j'inspire
Et par les six vents
Ton humble servante
Te prie de répondre à son souhait
Souffle à mon esprit
L'harmonie intérieure de cette âme.
Je ressentis qu'il n'était ni bon, ni mauvais. Ombre Dansante fit tout aussi discrètement une détection de la magie sur le vieil homme. Il découvrit que son bâton était magique et que lui-même était nimbé d'une forte aura. Ombre Dansante fut le premier à parler :
- Est-ce que tous les druides sont comme vous ?
- Que voulez-vous dire ? Questionna le druide.
- Vous luisez la magie comme un phare éclaire la mer, insista Ombre Dansante.
Le druide sourit. Il regarda l'elfe dans les yeux :
- Tout comme vous, mon cher, ainsi que la demi-elfe. Quoique, dans son cas, c'est un peu différent. Je sens que les vents lui parlent.
- Vous avez raison, intervins-je. Je suis une marchebise.
- Alors, vous êtes aussi une aimée de la Déesse. C'est dans cet archipel que son pouvoir est le plus grand. Notre cercle est puissant et plusieurs grands centres de prière lui sont consacrés.
Après nous être restaurés, le druide nous offrit une mixture de sa composition. Je relançais la conversation :
- Vous nous disiez, tout à l'heure, que vous n'aviez aucune idée de l'origine de la montée des eaux.
- En effet, me répondit-il. L'eau n'arrête pas de monter depuis deux ans. Pourtant, je n'ai trouvé aucune raison : pas de source, pas de pluie supplémentaire... Je ne me l'explique pas.
Après trois verres, je sentis ma tête tournée, je n'avais plus les idées claires. Mais Balak, en bon nain fêtard, tenait très bien l'alcool. Je m’endormis donc vite sous l’effet du breuvage.
Le lendemain matin, le réveil fut difficile. J'avais mal à la tête ; je n'étais pas la seule. Ombre Dansante et Eliodys étaient, eux aussi, indisposés. Le vieil homme nous indiqua un hameau en direction du nord :
- Les fermiers qui y habitent, sont là depuis plus de dix ans. Vous devriez peut-être avoir plus d'informations auprès de ces habitants.
Après avoir remercié le druide pour ces informations, nous partîmes dans la direction indiquée. Après une journée de marche vers le nord, nous rencontrâmes plusieurs enfants humains, qui jouaient. L'un d'eux semblait moins réservé que les autres. Il s'appelait Jack. Il proposa de nous emmener jusqu'au hameau où résidaient ses parents. En route, il nous raconta qu'il avait aperçu, plusieurs fois, ce qu'il appelait des espèces de « trolls bleus ». Il nous précisa qu'ils étaient plutôt petits. Il les avait vus lorsqu'il était allé jouer plus à l'intérieur des marais. Mais, les grandes personnes n'avaient jamais voulu le croire. Les autres enfants confirmèrent qu'ils avaient vu, parfois, eux aussi, des « trolls bleus ».
Le hameau était composé de quatre maisons et d'une remise. Il était en lisière des marais. Ses habitants étaient certes pauvres, mais accueillants et chaleureux. Ils acceptèrent volontiers de répondre à nos questions. Ils nous parlèrent de la montée des eaux, qu'ils subissaient, de leurs difficultés croissantes à pouvoir exploiter leurs terres et leurs pâturages. Ils nous expliquèrent que si les eaux continuaient de monter, ils n'auraient pas d'autres solutions que de partir. Ils confirmèrent qu'ils n'avaient jamais vu les petits « trolls bleus » décrits par les enfants. Ils pensaient que c'était une histoire inventée, comme des sortes d’amis imaginaires. Jack se fit réprimander par ses parents ; il se vit interdire de jouer dans les marais.
Le lendemain, nous partîmes dans la direction où les enfants avaient vu les soit-disants « trolls bleus ». Après trois jours de marche, nous arrivâmes en vue d'un village de huttes faites de peaux. Il était habité par de petits êtres humanoïdes à la peau peinte en bleue. Nous étions en présence, sans doute possible, d'une tribu de gobelins. Balak et Ombre Dansante connaissaient bien cette race. Des enfants gobelins jouaient ensemble. Des femmes s'affairaient autour d'un feu, d'autres travaillaient des peaux. Des hommes montaient la garde autour du camp et d'autres, enfin, revenaient de la pêche avec plusieurs poissons accrochés à des lignes. Nous prenions garde de rester avec les paumes de mains visibles. Les gobelins nous regardaient avec étonnement. Les archers nous mirent en joue, pendant que femmes et enfants se mirent à l'abri. Ils attendaient visiblement la décision d'une autorité. Nous n'avions aucun geste d'hostilité. Les pêcheurs arrivèrent au village à notre rencontre, en courant. A part les enfants, ils avaient tous un tatouage sur le front qui représentait deux vagues stylisées l'une sur l'autre. Ombre Dansante et Balak Tyrim parlaient la langue gobeline.
Un groupe de gobelins s'approchent. Je suis presque sûre que ce sont les autorités attendues par les archers. Deux d'entre eux sont habillés de façon riche et colorée. Ombre Dansante et Balak commencent à parlementer avec un des personnages qui semble être le chef, un autre ressemble à une autorité religieuse. Je suis frustrée de ne rien comprendre à une discussion qui s'annonce difficile. Après les présentations, ils sont conviés tous les deux dans la tente du chef. Avec Eliodys, nous restons à l’extérieur de la tente pour attendre la fin des discussions.
Nos amis sortent après plus d'une heure. C'est Ombre Dansante qui nous fait le résumé de l'entrevue :
- Les gobelins nous ont confirmé que l'eau monte depuis leur arrivée dans la région, il y a environ deux ans. Ils sont très contents de la situation. Ils vouent un culte aux esprits de l'eau et ils aiment bien la région. J'ai pu sonder magiquement ces deux-là et j'ai perçu quelque chose de curieux. Le chaman porte au doigt un anneau élémentaire lié à l'eau. Je pense qu'il est la cause du problème car son aura magique me montre des faiblesses ponctuelles.
- Alors, répliquais-je demande lui de nous le prêter ! S'il le faut, offrons lui quelque chose en gage.
Après des négociations serrées, l'elfe et le nain obtiennent que le chaman leur prête l'anneau en échange d'un autre objet magique que possède Ombre Dansante. Ainsi, grâce à ce troc, le gobelin pourra maintenir son ascendance spirituelle sur son peuple. Ombre Dansante explique au chaman qu'il apportera l'anneau à un grand magicien qui pourra le rendre plus puissant encore. Les gobelins nous offrent l’hospitalité pour la nuit. Nous trouvons un endroit sec, en dehors de leur camp, pour planter nos tentes. Nous passons la soirée à partager leur repas à base de poissons et de plantes. En fin de soirée, ils nous font une démonstration de danses traditionnelles. Leurs instruments de musiques sont principalement des percussions accompagnées par des flûtes de pan. Leur culture est bien plus riche que je ne le pensais. Ils m'invitent à danser.
Le lendemain, nous partons très tôt. Nous nous doutons que si les humains découvrent que les gobelins sont à l’origine de la formation des marais, les conséquences seront terribles. Je ne donne pas cher de la peau des gobelins si la nouvelle venait à se répandre. Aussi, il nous faut aller vite : nous nous déplaçons avec célérité vers le nord. Puis, nous obliquons vers le nord-ouest pour éviter Millebornes. Ensuite, nous longeons le fleuve jusqu'à Thurmestre. Après cinq jours de marche forcée, nous nous arrêtons chez le bûcheron Kuiper. Il nous demande des nouvelles. Mais, nous lui cachons volontairement les réelles raisons de notre déplacement en dédramatisant la situation. Je pense qu'il n'est pas dupe, il voit bien notre empressement. Le lendemain, nous retrouvons le magicien Toster à Thurmestre. Je suis convaincue que sa puissance et ses connaissances devrait nous être utile.
Toster nous reçoit avec toujours autant de civilité. Ombre Dansante lui explique la situation :
- Nous avons besoin de votre aide. Je soupçonne un objet magique d'être à l'origine des problèmes des paysans aux environs de Millebornes.
- Asseyez-vous, coupe Toster, et expliquez-moi le problème depuis le début.
Toster nous fait asseoir et nous sert une boisson fraîche. Je commence l'explication :
- Depuis deux ans, un marais avance près de Millebornes, avalant petit à petit les terres agricoles.
- Ce phénomène coïncide, continue Ombre Dansante, avec l'arrivée d'une tribu de gobelins.
L'elfe se tait comme pour ménager ses effets, mais Balak reprend :
- Leur chaman a l'ascendant spirituel sur son peuple grâce à un anneau magique de... Le nain se tourne vers Ombre Dansante. Explique-lui, je n'y entends rien en magie...
- Cela valait le coup de m'interrompre, reproche l'elfe au nain. Donc, ce chaman possède un anneau de contrôle de l'eau. Mais, je soupçonne cet objet d'avoir un défaut.
- Vous l'avez avec vous ? Demande Toster.
- Oui, répond Ombre Dansante ! Le voici !
Toster prend un air grave en se saisissant de l'anneau. Il observe l'objet sous tous les angles. Puis, il se retire dans son laboratoire afin d'analyser l'anneau. Pendant son absence, je joue un peu de musique pour meubler alors que chacun vaque à ses occupations. Balak et Ombre Dansante compulsent les ouvrages de la bibliothèque. Eliodys préfère rester en retrait : il se concentre sur sa respiration pour faire le vide.
Après huit heures d'études magiques, Toster sort de son laboratoire et nous annonce :
- Comme vous me le disiez, cet objet est effectivement un anneau élémentaire. Il permet de contrôler l'eau.
Il prend une pause en s'asseyant et précise :
- L'anneau a un défaut dans sa conception. Il est légèrement fissuré. A chaque utilisation, il y a une fuite d'énergie magique. Je pense que la conséquence est l'invocation d'eau d'un autre plan qui se déverse dans notre monde. Ceci peut expliquer la montée des eaux autour du camp des gobelins. Aucune malveillance dans cette inondation, aucun plan diabolique, c'est juste la conséquence accidentelle d'une malfaçon. Après deux ans d'utilisation intensive, ils ont ainsi créé les marais.
Ombre Dansante demande au magicien :
- Quelle solution pouvons-nous trouver avant que la colère des fermiers humains ne monte contre les gobelins ?
Toster nous conseille :
- Allez voir Garild, le rôdeur de Millebornes. Il connaît très bien la région. Il trouvera peut-être une solution à cette situation. En attendant, je vous offre l'hospitalité. Vous pourrez dormir ce soir chez moi.
Nous acceptons. La soirée est agréable. Il y a toujours quelque chose à apprendre avec ce magicien. Cette nuit, nous pouvons vraiment nous reposer dans de vrais draps.
Le lendemain matin, après avoir remercié le magicien du feu, nous repartons vers le sud. Nous nous arrêtons chez Kuiper, ce soir-là. Cette fois, nous lui racontons toute l'histoire. Après tout, Garild et lui se connaissent très bien. Kuiper nous confirme :
- Toster a raison. Garild est celui qui connaît le mieux la région. Il saura vous conseiller.
Le lendemain, nous arrivons à Millebornes. Nous allons directement chez Garild. Nous exposons le problème et les conseils de Toster au rôdeur. Après mûre réflexion, ce dernier nous propose :
- Allez vers l'ouest jusqu'au Grand Lac. Là, vous pourrez rencontrer une druidesse. Elle se nomme Chiraz et elle appartient au cercle druidique de Caer Corwell. Je pense que c'est elle qui aura la solution à votre problème... Nous repartons aussitôt, conscients que la rapidité est notre meilleure alliée.
Il nous faut trois jours pour arriver au lac. C'est une grande pièce d'eau entourée de plaines et de bois. Il s'en échappe une rivière vers le sud. Nous pouvons y apercevoir un barrage de bois et de pierres en aval. Un grand et beau cygne blanc nage gracieusement sur ces eaux grises. La région est dominée par un grand calme. Soudain, une femme apparaît sur la berge devant nous : le cygne a disparu. Je lui demande :
- Nous recherchons Chiraz. Garild nous a dit que nous pourrions la trouver ici !
- Si Garild vous envoie, je suis Chiraz. Répondit-elle.
Nous nous présentons. Ombre Dansante lui expose la situation des gobelins et les problèmes engendrés par leur anneau magique défectueux. Ensuite, nous lui évoquons les risques que cela pourrait engendrer chez les humains. Enfin, nous lui précisons que cela pourrait aboutir à des actes de violence. Chiraz réfléchit un moment. Elle se tourne vers le lac et nous lance :
- J'ai peut-être une solution qui pourrait régler tous les problèmes.
Elle réfléchit comme pour chercher ses mots :
- Les gobelins pourraient venir s'installer sur les bords de ce lac. Grâce à l'anneau, ils pourraient m'aider à contrôler un élémentaire d'eau lié au lac et qui le protège. Il est puissant et un peu versatile. L'énergie magique, qui s'échappe de l'anneau, à chacune de ses utilisations, se déversera dans l'étendue. Le surplus sera évacué par la rivière.
Je remercie chaleureusement la druidesse pour cette solution. Mes amis sont moins démonstratifs. Il ne nous reste plus qu'à convaincre les gobelins.
Nous repartons aussitôt vers les marais. Après cinq jours de marche intensive, nous arrivons enfin au village gobelin. Balak et Ombre Dansante sont invités par le chef et le chaman. Ils expliquent la proposition de la druidesse Chiraz. Le soir, les gobelins tiennent conseil avec les anciens de la tribu.
Au matin, ils nous annoncent qu'ils se rallient à notre solution. La tribu lève le camp avec une organisation et une célérité pouvant faire pâlir de jalousie un officier de n'importe quelle armée régulière. Chacun connaît sa place et sait ce qu'il doit faire. Ainsi, en une heure, le camp est démonté et la tribu prête à se déplacer. Pendant ce temps, nous discutons avec le chef et le chaman gobelins de l'itinéraire à suivre. Nous leur expliquons que nous devons éviter les villages et les hameaux.
Durant quatre jours, nous les menons vers le lac. Il nous faut traverser la rivière à gué. L'opération dure deux heures. Si un humain donne l'alerte, la tribu sera à découvert et très vulnérable. Heureusement, les dieux sont avec nous. Il n'y eut aucun humain témoin de la traversée. Nous repartons aussitôt. Quatre jours plus tard, nous arrivons au lac.
Avec la bénédiction de la druidesse, les gobelins montent leur camp sur les rives du lac. Chiraz explique au chaman ce qu'elle attend de lui. Ce dernier est très motivé par l'importance donnée à son pouvoir sur l'eau : il accepte sans réserve l'accord avec la druidesse.
Chiraz nous propose de rester quelques jours pour nous reposer. Nous acceptons très volontiers. Cette course contre la montre de deux semaines nous a tous totalement épuisés.
Annotations
Versions