L'Âme Noire et son Cœur Blanc - Ⅰ

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Archild El Elbaid regardait devant lui ses camarades de LELITE avec une expression neutre. Ils riaient tout en travaillant, et lui traquait la moindre de leur faiblesse tout en frottant le sol pour le nettoyer, n'étant pas épargné du travail. Il n'y a qu'une femme dans l'équipage, songea-t-il, chose qui rend plus facile mon projet.

S'il y en avait eu plus, il n'aurait eu aucune chance d'accomplir sa mission. Rien de mieux que les femmes pour lire dans un homme, se dit-t-il pour lui-même avec haine. Et de ce qu'il savait, la Lady Écossaise Karina O'Farel était très perspicace. Elle avait derrière elle de longues études de littérature et de philosophie. Elle devait rejoindre le bateau mi-novembre, ce qui laissait à Archild trois semaines pour réunir le plus d'informations sur les marins, pour ne plus avoir à le faire quand il devra se concentrer sur la jeune femme. Il pouvait utiliser toutes les manières pour la duper, allant de la séquestration (difficile sur un navire) à la drague (méthode qu'il jugeait infaillible sur le sexe féminin). Il décida de se concentrer sur les hommes pour imprimer dans sa tête les points forts et les points faibles de tous, et commença par Leon Dracht.

Abandonné par son père alors qu'il n'a plus de quinze ans, il se retrouve seul et confronté à la vraie vie, sa mère étant morte lors de l'accouchement. Il se noie dans l'alcool à partir de ce moment-là et n'en ressort que quelques années après alors qu'il rencontre le capitaine Ilicorp dans un bordel. Ce dernier engage la conversation, et décide de laisser une chance à l'homme âgé de seulement vingt-et-un ans.

Leon Dracht accepte aussitôt, désireux de changer de vie et n'ayant rien qui vaille sur la Terre ferme. Son seul regret est d'avoir interdiction de boire jusqu'à nouvel ordre à ce sujet. Mais il est prêt à un tel sacrifice pour voyager, lui qui a toujours eu une soif de découverte. Son plus gros point faible reste son enfance : son père n'était pas le genre d'homme à lui lire des histoires, mais plutôt celui à détacher sa ceinture pour le fouetter. Son point fort le plus dérangeant, sa capacité à se battre et sa silhouette massive. Après avoir traîné six ans dans les zones les moins fréquentables de Londres, il pouvait se défendre. Et, si lorsqu'il a rencontré le capitaine de LELITE, Mr Ilicorp, il était maigre comme un clou, ce n'était certainement plus le cas !

► Eh, El Elbaid ! lui cria Gron Klay.

Lui, c'était certainement le plus idiot de toute la crique. Rien dans la tête. Il était issu d'une riche famille portugaise, mais à l'âge de dix-huit ans, il avait pris le risque de ce faire déshériter pour une femme que sa famille n'acceptait pas et avait foutu le camps de sa belle maison en pierres blanches en laissant une belle fortune derrière lui. Mais la fille en question est tombée enceinte, et l'a tout bonnement abandonné pour trouver un meilleur parti pour elle et son enfant puisque celui qu'elle avait actuellement n'avait plus rien d'autre que ses yeux pour pleurer. Le capitaine Ilicorp l'a recruté quelques mois après cet épisode tragique de sa vie, qu'il qualifie toujours de "malentendu indésireux" pour ne pas affronter le fait qu'il a tout simplement été rejeté.

► Oui ? questionna-t-il en levant les yeux vers le marin.

Les principaux points faibles de Klay ? Sa naïveté, sans aucun doute et son taux élevé de graisse. Son point fort qu'il fallait à tout prix éviter ? Ses armes. Si Klay savait bien faire quelque chose, c'était sans aucun doute faire des armes. Il en possédait une bonne cinquantaine dissimulées sous sa couchette, dans son sac de voyage, dans la cuisine du navire, puisqu'il savait aussi bien cuisiner.

► Comment es-tu arrivé là, toi ?

Tout l'équipage présent l'observait à présent. Il n'était là que depuis deux jours, après tout. Son but était de se faire apprécier, il avait donc décidé que si la question lui était posée, il raconterait la vérité déformée.

► J'avais l'habitude de me balader sur le port, le matin. J'ai obtenu un passe pour y aller puisque je suis ami avec quelqu'un, là-bas. Et votre bateau est arrivé. J'y ai vu quelque chose de différent, une chose qu'il n'y avait pas sur un autre bateau. Peut-être la joie. Et puis, alors que vous descendiez du navire, j'ai vu votre capitaine. Je suis allé le voir pour savoir s'il y avait une place pour l'orphelin alcoolique mais fûté que j'étais, et il m'a dit que oui. Me voilà donc.

Archild s'était inspiré d'un peu toutes les histoires des hommes de l'équipage, parce qu'il savait que les points communs aidaient à se faire des amis.

► Comment tes parents sont-ils morts ? demanda Julien Lossar, un français.

Lui aussi avait perdu les siens, son père alors qu'il partait à la bataille de Breitenfeld pendant la guerre de Trente Ans. Sa mère était morte quelques années plus tard, assassinée par son autre fils, Jules Lossar qui l'avait frappée avec une bouteille en verre dans un élan de colère.

► Mon père était un fermier qui s'était fait des ennemis à cause de sa réussite. Il a été tué par des paysans. Ma mère, elle, est morte il y a quelques semaines. Un homme dont j'ignore tout l'a tuée.

Archild savait que ses parents aussi, à Julien, étaient fermiers. Alors autant s'en servir pour se rapprocher du jeune homme.

► Mes parents travaillaient aussi dans une belle ferme, en Irlande. Il y avait un lac, à côté de chez moi. J'y allais me baigner avec mon frère et ma sœur. Nous étions les enfants les plus heureux. Mais mon père est parti combattre pour la France et n'est jamais revenu. Il avait des origines françaises, alors il avait tenu à combattre pour son "vrai" pays.

► Mes condoléances, je l'ignorais. Vous êtes donc Irlandais ?

► Oui, et j'ai hérité du caractère des habitants, ainsi que de leur passion pour la pluie. L'eau en général, en fait.

Parfaitement dans son rôle, Archild a souri et a fait un signe de tête amical, chose que le personnage qu'il incarnait devait faire régulièrement pour montrer une faiblesse, l'amitié en l'occurrence, aux marins et ainsi avoir leur confiance.

À partir de là, Archild devint l'ami de tous ses camarades. Il riait avec eux, apprenait à les manipuler pour réussir cette étape à la perfection lors qu'adviendrait le moment, et avait déjà réussi à faire accepter des opinions à certains, qu'elles soient politiques ou religieuses.

Aucun homme ne pouvait se douter ce qui se cachait derrière le gentil et raisonnable Archild. Il était poli, très courtois, travailleur, et lorsqu'une dispute éclatait entre deux marins, il était le premier à s'interposer.

"Ne vous battez pas ! clamait-il, vous n'êtes pas ici pour cela, vous êtes ici pour avoir des amis et vous faire une vie dont vous devez être fier."

La plupart du temps, les hommes concernés partaient chacun de leur côté en bougonnant, bien qu'ils se serraient la main sous ordre du jeune homme. Toutefois, certains étaient plus têtus et moins facilement amadoués. Alors Archild les laissait se mettre quelques coups dans la figure, puis finissait par intervenir une deuxième fois, en criant :

"Assez ! Avez-vous fini de vous battre comme des enfants ? Si vous voulez vous tabasser entre vous, faites-le en temps qu'homme ! Sinon, remettez-vous de suite à votre travail !".

Et les marins arrêtaient de se rendre leurs comptes, se serraient la main avec colère, puis repartaient à leurs activités même s'ils étaient salement amochés.

Ainsi, Archild devenu leur second chef. Il n'était pas traité comme tel, certes, mais les marins buvaient ses paroles et faisaient ce qu'il demandait pour l'entretien du bateau.

La capitaine sortant rarement de sa cabine de pilote, il n'assistait pas à tout cela, et Archild n'en était que furieux. Pour avoir toutes les chances de réussir sa mission, il devait monter en grade dans le navire. Ainsi, les derniers hommes à ne pas avoir cédé à son image parfaite seraient définitivement apprivoisés et soumis à lui.

Cependant, les trois semaines avant l'arrivée de la femme à bord s'écoulairent, et jamais le capitaine ne vut l'admiration de ses marins pour le jeune homme. Lorsque Archild en parla à son "ami" Gaston Nerant, celui-ci lui répondit que c'était la même chose à chaque voyage, mais de ne pas penser que le capitaine ne savait pas ce qu'il se passait en dehors de sa pièce favorite. Selon lui, Mr Ilicorp avait des yeux et des oreilles partout.

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