L'Âme Noire et son Cœur Blanc - ⅠⅠⅠ

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ⅠⅠⅠ

Les jours avancèrent, et plus ils passaient, plus Karina sentait que son ami n'était pas celui qu'il prétendait être.

Il se disait fou amoureux de sa défunte femme, mais ne semblait pas la pleurer ou même être en deuil. Pourtant, elle avait été mise au courant qu'il ne l'avait perdue que récemment.

Quelque chose, une mauvaise sensation, lui disait qu'il était dangereux.

Cela faisait quelques jours maintenant qu'il avait été nommé responsable de l'entretien du bateau, ce qui lui permettait donc de se faire obéir au doigt et à l'œil par tout l'équipage, mais depuis, il était plus distant, moins charmant qu'au début du voyage avec la jeune Lady.

La bonne ambiance entre les camarades de Navire n'était plus d'actualité, songea-t-elle tristement en regardant l'équipage s'affairer en silence à son travail respectif.

Elle rinça son éponge puis recommença à curer le sol de toutes ses forces.

► Silence ! grogna soudain Archild à l'adresse de deux marins qui conversaient à voix basse en levant les yeux du nœud qu'il était en train de fixer à une corde.

Les deux concernés soupirèrent sans avoir besoin de regarder dans la direction du chef de l'entretien pour savoir qu'il s'adressait à eux et se rencontrèrent sur leur travail.

Au moins, il travaille aussi dûr que nous, pensa-t-elle en essayant de trouver des points positifs à sa conduite lamentable.

► Quand aurons-nous notre pause déjeuner ? demanda l'un des membres en poussant un profond soupir.

► Lorsque nous aurons terminé ça et ensuite nettoyons les caissons. Ce sera bon. Vous avez tout l'après-midi rien qu'à vous, profitez-en.

Des murmures ravis parcoururent l'assemblée, et les sourires revinrent.

Pas si bête, se réjouit intérieurement Karina en frottant de plus belle le sol.

► Silence ! tonna Archild en se redressant, et dépêchez-vous avant que je ne change d'avis !

Aussitôt dit, aussitôt fait, les hommes se mirent à travailler plus vite, et mieux. Karina y compris. Elle tenait à cet après-midi de répit, peut-être pourrait-elle en apprendre plus sur Archild, après tout ?

Mais lorsque l'après-midi arriva, Archild ne sortit pas de sa cabine. Ils avaient malgré tout cet

après-midi de paix, et entendre des rires sur le Navire était bon alors que cela faisait des jours

que ce n'était pas arrivé, mais ce qu'elle voulait c'était trouver quelque chose du côté du chef de l'entretien.

Alors elle se rendit devant la porte de la loge de Archild et toqua.

► Entrez, permit sa voix ferme.

Elle ouvrit la porte et la referma derrière elle en espérant qu'elle ne commettait pas d'erreur en

le dérangeant ainsi.

► Vous n'êtes pas satisfaite de votre après-midi, Lady O'Farel ?

► L'êtes-vous du vôtre, Mr El'Elbaid ?

► Non, reconnut-il à contrecœur. Voilà des heures que je travaille sur quelque chose, mais

aucun résultat ne me convient.

Elle osa les sourcils et s'assit sur la couchette d'Archild en se demandant quel problème pouvait

le mettre dans cet état. Ses cheveux étaient en pétard, il était mal rasé, et avait des yeux

encore plus cernés qu'à l'habitude. De tout évidence, il était trop exigeant avec lui-même.

► Et vous ?

► Je pensais pouvoir profiter de votre compagnie cet après-midi, pour que je puisse vous connaître un peu mieux. C'est bizarre, parce que j'ai l'impression que vous me connaissez

parfaitement, tandis que moi je ne sais presque rien de vous. C'est assez désagréable, pour

vous tout vous dire.

Après un petit silence, que Karina perçu comme une réflexion pour trouver la meilleure façon

de l'enrober comme il savait si bien le faire avec les autres marins, le jeune homme répondit :

► Vous savez des choses, sur mon compte. On vous a raconté comment j'étais arrivé

ici, on vous a dit que je venais de Suisse...

► Ce que je veux, moi, c'est apprendre à vous connaître de votre bouche. Pas de celle

d'un autre.

Archild sourit et contempla la beauté qu'il avait en face de lui. Il avait réussi à l'attirer

dans sa cabine, comme prévu. Donc s'il jouait un peu, il pourrait parvenir à la faire

s'agenouiller devant lui, prête à lui accorder toutes les faveurs qu'il lui réclamerait alors.

► Que voulez-vous savoir, ma chère ? demanda-t-il finalement.

► Votre âge, répondit aussitôt la jeune femme.

► J'ai trente-et-un ans.

Pas le moins du monde surprise, et continua :

► Quels sont vos passe-temps ?

M'amuser, songea-t-il.

► J'aime lire.

► Quel genre de livres ?

► Des mémoires.

► Quel alcool aimez-vous boire ?

► Le whisky pur feu, Écossais de préférence.

► Quelle personne aimez vous le plus au monde, hormis votre femme ?

► Ma mère.

► Où vit-elle ?

► Elle est morte.

Loin d'être déstabilisée, Karina continua :

► Alors je reformule ma question, quelle personne encore vivante sur la terre ferme

aimez-vous le plus ?

► Aucune. Tous mes proches sont morts.

Elle soupira, et Archild sourit.

En fin d'après-midi, lorsque Karina ressortit de la cabine, elle avait la désagréable sensation de ne pas connaître davantage son chef que lorsqu'elle était rentrée dans sa cabine. Pourtant, l'interrogatoire avait perduré pendant longtemps, plus d'une heure. Après, Archild lui avait à son tour posé des questions, plus intimes les unes que les autres.

Il sait très bien mentir, s'il n'est pas ce qu'il laisse paraître, pensa la jeune femme en regagnant sa propre loge.

En vérité, elle était conquise par le jeune homme. Comment pouvait-il être à la fois si beau et si gentil ? En général, les hommes les plus agréables à regarder étaient les plus agaçants et les plus imbus d'eux-mêmes.

► Il faut que j'arrive à le démasquer ! grogna la jeune femme à voix haute en tapant du poing contre la paroie de sa petite chambre. Ce matin il était d'humeur massacrante tel un malotru, et puis il se transforme en un charmant jeune homme poli et rieur cet après-midi !

Sans attendre plus longtemps, elle sortit de sa loge comme une furie et se rendit pour la deuxième fois devant celle du jeune homme. Elle ne toqua pas mais se hissa au contraire sur la pointe des pieds et regarda à travers la petite fenêtre ronde. Mais évidemment, elle était recouverte de papier pour que l'on ne puisse pas voir à l'intérieur de la cabine.

Ç'aurait été trop simple, songea-t-elle avec dureté.

Alors elle partit à l'extérieur du bâteau et retrouva ses compagnons.

► Tu viens enfin, Karina, se réjouit la voix de Gron.

Elle se retourna avec un sourire vers le marin. Il marchait vers elle en chancelant malgré le fait que la mer était calme, et lui renvoya :

► Et toi, marin d'eau douce ! Tu t'es pris une belle cuite ! Allez, amène un coupe pour la femme que je suis !

► Ce n'est pas raisonnable, pour une Lady aussi douce que vous, intervenue une voix qu'elle connaissait parfaitement après avoir passé des heures à l'entendre.

► Je suis bien plus résistante que vous ne l'imaginez, mon cher, répliqua-t-elle à l'adresse d'Archild en levant fièrement le menton.

Comme pour prouver ses paroles, elle s'approcha de la cuve, saisit une soucoupe qu'elle remplit à ras-bord, et l'avala d'un coup, avant de la reposer dans un bruit sec sur le petit portant où elle l'avait prise.

Tous les marins la contemplèrent avec admiration. Elle a souri en exécutant une petite révérence, pas le moins du monde gênée, et son regard croisa celui du jeune homme.

► Vous me surprenez…, reconnut-il en s’emparant à son tour d’un bol.

Il l'imita, mais le fit deux fois d'affilée et non une.

► … mais un vrai marin pourrait en enchaîner dix.

► Vous me traitez d'amatrice, Mr El'Elbaid ?

► N'est-ce pas ce que nous sommes tous deux ? questionna-t-il en la toisant avec un sourire ironique aux lèvres.

► C'est mon cinquième voyage sur LELITE, répliqua-t-elle.

► Vous n'en restez pas moins une femme mariée et mère de cinq enfants, que doivent-ils pensez de vous ? Vous abandonnez votre travail, en partant ainsi.

► Mon "travail", comme vous dites, consiste à les gronder à longueur de journée et à leur faire servir de la soupe pour le repas, alors je pense qu'ils ne sont que ravis d'être aux soins de notre jeune et naïve gouvernante.

► Alors buvez à leur santé, proposa-t-il en lui tendant une nouvelle coupe.

► Vous êtes bien insistant, constata-t-elle en plissant des yeux.

► Et vous déjà saoul, Lady O'Farel.

Elle ne put s'empêcher de rire devant cette dernière réaction. Elle lui prit la coupe des mains et avala son contenu cul-sec sous les encouragements de ses amis.

Si vous ne voulez pas me laisser vous connaître de votre gré, alors ce sera de force, murmura-t-elle dans sa tête en le regardant lui servir une nouvelle tournée. Mon arme sera ma beauté et ma stratégie la séduction.

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