L'Âme Noire et son Cœur Blanc - ⅠⅤ

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Un jeu débuta alors entre les deux jeunes adultes. Sensuel, mais surtout malsain. Peu à peu Archild perdait pourtant patience ; il avait l'impression que la jeune femme s'était enfin soumise, mais elle ne lui avait encore rien dit de trop personnel, esquivant toutes ses questions par des réponses brefs et sans pertinence. Il commençait à la croire déficiente mentale.

Elle jouait avec lui, d'une certaine manière. Elle le charmait, lui disait ses mots doux et osés, et avait parfois même des gestes tendres pour lui.

Je l'ai conquise, songea-t-il, il ne me reste plus qu'à lui montrer un peu plus ce que je suis, et elle se résignera à me révéler toutes ses émotions, toutes ses faiblesses et ses points forts.

De son côté, la jeune femme le manipulait avec un malin plaisir. Elle savait qu'il ne résisterait pas longtemps à son jeu. Elle l'avait lu dans ses yeux.

► Vous me paraissez bien songeuse, Lady O'Farel, interrompit-il le cours de ses pensées.

► Vous trouvez ? Ai-je mauvaise mine ? On me le reproche souvent, ces temps-ci. Mais je ne sais pas pourquoi.

Elle fit un nœud sur une corde en attendant sa réponse, mais celle-ci ne vint jamais. Il changea aussitôt de conversation.

► Vous savez, ma femme vous ressemblait énormément.

Elle apprécia le fait qu'il ne lui dit pas que c'était elle qui ressemblait à sa femme, et questionna :

► Comment était-elle ?

► Généreuse, elle avait un bon caractère bien qu'elle fut toute sa vie de nature jalouse.

Ce n'est pas ce que je nomme un bon caractère, pensa-t-elle. Il mérite une femme mieux que jalouse.

► Je ne suis pas jalouse, répliqua-t-elle en faisant écho à ses propres pensées.

► Je pensais que si, vu comment l'expression de votre visage change lorsque vous évoquez les infidélités de votre époux, mais pardonnez-moi si je fais fausse route.

Elle éclata de rire devant sa réflexion, et Archild se sentit enveloppé par ce doux son qui l'envahit tout entier. Elle avait le rire doux, le rire grave, et un timbre d'une résonance merveilleuse.

► Mon Dieu, mais je vous assure que vous faites fausse route, mon ami. Je n'aime point mon mari, et le temps n'a jamais rien fait pendant les neuf ans de mariage qui m'unit à lui ! Comment lui reprocher de se tourner vers d'autres femmes alors qu'il n'était pas plus réjoui de ce mariage que moi !

► Vous vous êtes mariée à seize ans ! s'étonna-t-il.

► Oui, c'est exact. Mais j'étais fiancée à lui alors que j'en avais quatorze. Mes parents ont toujours été de nature... prévoyante. Comment étaient les vôtres ? Parlez-moi de votre enfance.

Elle s'assit sur le bord du navire, les pieds pendant du côté de l'eau. Il l'imita et raconta :

► Eh bien, mon père était un homme robuste qui aurait donné sa vie pour l'honneur de notre famille. Il était très attaché aux valeurs. Il m'a envoyé dans une école réputée dès que j'eus dix-huit ans, en internat, et pour le plus grand désarroi de ma mère. Elle aimait m'avoir près d'elle. J'y suis donc allé, sans grandes convictions, puis j'y suis ressorti cinq ans après, avec mon beau diplôme d'étudiant. Mais pendant ces cinq années, beaucoup de choses avaient changé ; mon père avait été assassiné en voulant protéger ses chères récoltes, laissant ma mère seule à la maison. Je l'ai trouvée affamée, toujours à s'occuper de la maison, mais complètement exténuée. Avec l'aide de mon diplôme, je pus trouver un emploi stable avec des revenus plus que suffisants pour la mettre dans un établissement dans lequel elle pourrait se rétablir.

► Vous avec été bon avec votre mère, murmura la jeune femme en oubliant son désir de le séduire.

► Merci, mais ça n'a pas suffi, hélas. Et vous ? Comment est votre famille ?

► Eh bien, ma mère est une dame de la cour qui se fait de plus en plus aimer. Elle adore savoir qu'elle a de l'emprise sur les dames. Elle refuse de voir ses petits-enfants comme tel sous prétexte qu'elle n'a pas l'âge d'être grand-mère. Mais malgré tout, elle a été la personne la plus aimante de mon entourage pendant mon enfance et je l'aime pour m'avoir écoutée et confortée dans mes moments les plus bas. Mon père, quant à lui, est avare de pouvoir et d'argent. Son seul but : être plus riche que le roi. On peut dire qu'il le serait déjà si sa femme et mes ainés n'aimaient pas tout dilapider dans les toilettes et les bijoux. Je ne le voyais que peu dans mon enfance, car il était en plein dans les débuts de ses affaires. Les seules fois où il s'est occupé de moi, c'était lorsqu'il a organisé mes fiançailles. Autrement, j'ai deux sœurs ainés toutes les deux plus belles et plus gracieuses que moi, et un frère, le héros de la famille. Katelynn, la sœur qui a deux ans de plus que moi, est mariée à un riche baron dans le Nord, et se considère comme la reine. Et Anne-Charlotte qui a quatre ans de plus et qui est mariée à un petit commerçant, mes parents n'avaient à l'époque pas les moyens de la fiancer à un statut plus haut. Pourtant, elle pense aussi qu'elle peut tout se permettre, et dilapide l'argent de son mari et de mon père dans des pierres précieuses et dans des robes hors de prix.

► Et qu’en est-il de votre frère ? l'encouragea-t-il à poursuivre en voyant qu'elle s'arrêtait.

► Il s'est trouvé une épouse fille d'un compte que mon père apprécie particulièrement. Il est l'héritier de notre famille, et est autant un bon homme d'affaires que le serait mon grand-père, un agriculteur alcoolique pauvre qui est mort de soif et de faim. Donc j'imagine qu'une fois que mon père sera décédé, il s'y prendra comme un pied pour régler les finances de la maison et fera écouler toutes ses actions.

► Vous êtes bien péjorative à leur sujet, Lady O-Farel.

► Et vous médisant au mien, Mr El'Elbaid. Vous ne m'avez pas vraiment parlé de votre enfance, aimez-vous la suisse ? J'y suis allée à deux reprises, c'est merveilleux.

Archild, loin d'avoir oublié son objectif contrairement à elle, décida de la laisser parler. Cela commençait à devenir intéressant.

Elle lui raconta des anecdotes pendant qu'elle avait été en Suisse, et il s'aperçut que malgré son indifférence pendant qu'elle lui avait parlé de son horrible famille, elle était bien émue à l'évocation de ses moments heureux du passé.

Il l'écouta alors lui raconter comment elle s'était jeté dans le lac pour échapper à sa gouvernante qui voulait lui remonter les bretelles à cause du vase datant du roi Ⅸ que la petite fille avait cassé, et il rit aux larmes lorsqu'elle évoqua le moment où la vieille dame était tombé du rocher depuis lequel elle l'appelait et était tombé dans l'eau en hurlant.

► J'ai vu son visage se tordre alors qu'elle glissait, raconta-t-elle les yeux brillants, son maigre cou s'est tordu en avant, et elle a battu des bras telle une poule, puis s'est complètement écroulée dans l'eau glacée. Lorsqu'elle eut émergé, son chignon habituellement parfait s'était détaché et ressemblait à un hérisson.

Devant la description de la jeune femme, le fou rire du jeune homme redoubla. Elle ria avec lui, et il hoqueta :

► Que s'est-il passé, après cela ?

Le visage de la jeune femme se crispa et elle expliqua avec dureté :

► La gouvernante, Madame Parkinse, est allée voir mon père après avoir enlevé les espèces d'algues qui étaient sur sa robe et dans ses horribles cheveux. J'ai été fouetté à dix reprises pour avoir cassé le vase de Louis Ⅸ, et à dix autres pour avoir entraîné l'incident de Madame Parinse.

Archild n'avait jamais compris l'intérêt des punitions que les humains s'infligeaient. Il y avait tellement d'autres moyens de se faire souffrir.

En général, il s'en fichait, mais étonnamment, cela le mis dans une colère noire.

► Est-ce votre père qui vous a frappé ?

► Oui, seul lui avait le droit d'affliger les punitions à ma mère, mes sœurs, et moi.

► Il bat sa femme ? s'indigna-t-il.

Elle le regarda et eut un mouvement de recul en voyant ses yeux pratiquement noirs de fureur.

► Oui, comme chaque homme le fait à son épouse, murmura-t-elle en se rappelant juste après avoir dit ça de son objectif.

Les yeux d'Archild s'assombrirent davantage et il répliqua :

► Je ne l'ai jamais fait à ma femme.

► Cela m'étonnerait, pas même une fois alors que vous étiez saoul ?

► Jamais, répondit-il en s'efforçant de garder son calme devant cette insulte.

Jamais il n'oserait lever la main sur une femme, jamais. Les femmes étaient précieuses, elles ne méritaient en aucun cas d'être frappées. Il regarda la jeune femme et vut la surprise sur ses beaux traits. Si elle pensait que toutes les hommes battaient leur femme, avait-elle été battue par son mari ?

► Votre mari vous bat-il ? questionna-t-il en sentant la rage reprendre son ascension dans son corps.

Soudain, la jeune femme hésita à lui répondre. Il avait l'air de retenir sa colère à peine lui-avait-elle dit qu'elle avait déjà été souhaitée, fallait-il en rajouter en lui disant la vérité ?

Mais devant son regard insistant, elle sut qu'elle ne pourrait que rompre le lien qu'elle avait réussi à fixer entre eux en lui mentant.

► Oui, évidemment.

Archild se sentit soudain vidé de sa rage. Il regarda une seconde le visage de la jeune femme, et lui en fut reconnaissant de ne pas lui avoir menti. C'était la première personne qui lui disait une chose aussi importante sans mentir, malgré le fait qu'il devait déjà être fou de rage.

Alors ne pouvant pas se retenir, il l'attira contre lui d'un geste ferme et l'embrassa de tout son cœur.

Et ce fut seulement là, que tous les deux oublièrent leurs objectifs visant l'autre en même temps.

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