I - Rencontre

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« Et l'ombre envahit ma demeure... En un instant, sans apercevoir la moindre menace venant du ciel, un immense jet de flammes recouvrit la petite plaine où j'ai grandi.

On pouvait voir des yeux rouges au milieu des flammes, comme si son regard les transperçait, même à travers la destruction : il était l'incarnation du mal pur, celui qui ne vivait que pour détruire, une aberration. »

Extrait des Mémoires de Talyon, Tome 1

Tilmar, une ancienne ville portuaire située au bord de la mer du Marasme, n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle souffrait des vents et des marées changeantes, éléments déchaînés s'écrasant sur ses rivages ternes dénués de végétation.

Ses maisons étaient composées de pierres et de terre cuite rongées par le sel, et ses rues pavées de sable dur et de coquillages. Les ruelles, pour la plupart sombres et étriquées, étaient surplombées de bâtiments tortueux créant une voûte au-dessus des passages étroits. Toute la ville donnait l’impression de se recroqueviller sur elle-même, comme pour se protéger des violentes bourrasques froides et salées venant de la mer. Elle formait ainsi une arche impressionnante dominant les rares passants osant s’y aventurer.

Une âcre odeur de sel emplissait l’air constamment, et le chant des mouettes résonnait avec exubérance au sein de la cité engourdie.

En ces lieux subsistaient quelques familles d’anciens pêcheurs, incapables de retourner travailler. Tous vous diraient que ce métier ne leur permettait plus de subvenir à leurs besoins et qu’ils préféraient le commerce, plus rentable à leurs yeux. Mais pas un n’aurait osé avouer que la principale raison qui les avait fait abandonner leur ancienne activité était la peur des éléments devenus indomptables. À vrai dire, durant ces dix dernières années, la population de Tilmar avait diminué de moitié. Non pas parce que les habitants avaient déménagé – ils aimaient bien trop cette ville qui les avait vus grandir – mais à cause de toutes ces disparitions en mer. Aucun des pêcheurs ayant embarqué ces dernières années n’était jamais revenu. Tilmar n’était plus qu’un bourg rempli de souffrances et de deuils. Un lieu dénué d’espoir, peuplé d’orphelins, de veuves et de fils de pêcheurs reconvertis.

Minuit pile.

Au bout d’un passage sombre errait un homme seul, à moitié ivre, qui essayait tant bien que mal de rester debout. S’accrochant comme il le pouvait aux parois sales et étroites de la ruelle, il avançait par à-coups, titubant entre deux pas. Vêtu d’une capuche à moitié trouée et d’un manteau gris défraîchi qui descendait jusqu’aux chevilles, il se tenait la poitrine d’une main tout en agrippant le mur de l’autre, crachant des jurons à peine audibles.

Il s’approcha d’un homme gardant une imposante porte en bois :

— Hé, l’ivrogne, tu n’as rien à faire ici ! Déguerpis !

Malgré ces paroles peu engageantes, l’homme, toujours peu habile sur ses jambes, continua de s’approcher du garde comme s’il n’avait rien entendu.

— Halte, n’avance plus si tu ne veux pas d’ennui ! s’égosilla le garde d’un ton ferme.

Tout en parlant, il commença à sortir l’épée de son fourreau ; mais à cet instant précis, l’ivrogne glissa prestement sa main, posée sur sa poitrine, vers une petite poche dissimulée entre son manteau et l’épaule.

Le gardien n’eut pas le temps de dégainer entièrement qu'une lame tranchante et froide vint s’enfoncer dans sa gorge, projetant un jet de sang sur la porte en bois. Il s’écroula à terre en se vidant de son sang, sans un bruit, inerte. L’ivrogne se pencha, vérifia que sa victime ne pourrait plus jamais bouger, puis lui chuchota :

— Bonsoir…

Il retira sa dague ensanglantée, l’essuya contre ses vêtements et la rangea à nouveau dans la petite poche sous son manteau.

Après avoir jeté un bref coup d’œil aux alentours pour vérifier qu’il n’avait pas été repéré, l’assassin disparut derrière la porte qui n'était plus gardée. La ruelle redevint tranquille, indifférente à ce qui venait de se passer.

La faible lueur du matin peinait à traverser le brouillard qui stagnait au-dessus de la ville. Le vent semblait s’être arrêté de souffler, lui qui d’ordinaire était si capricieux.

La mer qui bordait Tilmar portait décidément bien son nom : le Marasme. Un océan de désespoir que personne n’avait réussi à franchir au cours des dix dernières années.

Malgré ce brouillard épais, on pouvait percevoir les vagues qui venaient s’échouer sur l’ancien port. S’écrasant inlassablement sur les vieux pontons en bois décrépis, elles arrachaient petit à petit les dernières planches dans un roulis bruyant.

Adossés contre l’épave d’un vieux bateau, leurs regards perdus au loin, trois hommes semblaient attendre quelque chose.

L’un, longiligne, flanqué d’un long manteau en cuir noir, le visage impassible, coupait à l’aide d’un grand couteau des rondelles de pomme qu’il mâchait ensuite soigneusement. Un autre, sensiblement plus grand que la moyenne, d’allure assez bourrue, s’amusait à écraser le sable sous son pied. Le troisième, quant à lui, était plongé dans ses pensées, calme et concentré. L’homme jouant avec le sable releva la tête et s’adressa à ce dernier :

— Comment peux-tu être aussi serein, Tom ?

Tom le regarda et répondit posément :

— Il viendra, c’est un bon élément.

— Tu parles ! Je l’ai senti tout de suite que cet énergumène nous attirerait des ennuis, et tu sais que je ne me trompe jamais.

L’homme à la pomme avait arrêté de mastiquer. Il s’exclama, un rictus aux lèvres :

— Tu ne te trompes jamais quand tu as la tête froide, Serem !

— Mais puisque je vous dis qu’il a triché ! Tu l’as vu aussi. Personne ne peut faire ce qu’il a fait sans artifice.

— C’est bien possible, nous verrons bien, répondit Tom.

Ils se turent car deux individus se rapprochaient : l’ivrogne avançait à pas soutenus et décidés, cette fois sans tituber. Il était accompagné d’un jeune adolescent qui semblait dépassé par les événements.

— Tu es en retard ! lança Serem.

— Ne fais pas ton aigri. Je suis là comme prévu, non ?

— N’empêche que j’aurais mis deux fois moins de temps !

— Tu connais la règle…

— Ne joue pas à ça avec moi ! Je sais que tu as triché. Je ne sais pas comment, mais je trouverai !

— Arrêtez, vous deux ! s’exclama l'homme à la pomme.

Il rangea son couteau, balança son trognon et s’avança vers l’adolescent.

— Jack, c’est ça ?

L’adolescent acquiesça d'un signe de tête, visiblement un peu perturbé, mais pas effrayé le moins du monde.

— Moi, c’est Thor. L’homme aigri, c’est Serem. Celui-là, là-bas, c’est Tom. Et ce faux ivrogne, c'est Franck.

Thor marqua une pause et regarda un à un ses compagnons, puis se pencha vers l’adolescent :

— Eh bien, félicitations, jeune homme. Tu viens de débuter la quête de ta vie !

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