II - Voyage

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Afin d’emprisonner la gigantesque créature, les douze Archimages durent utiliser tout ce qui était en leur pouvoir : autant de parchemins furent ainsi créés à l’aide du sang de la déesse, et le glyphe ancestral fut apposé en échange de nombreuses vies.

Mais, conséquence imprévue, en scellant l’énorme démon, ils scellèrent aussi les flux magiques élémentaires, rendant alors impossible l’utilisation de la magie.

Après ce combat interminable, Anstrilla avait tout perdu : des régions furent ravagées, des milliers de créatures périrent et la magie disparut. Les mages ne devinrent alors que des individus parmi tant d’autres. Cet événement est resté connu sous le nom de « déliquescence ».

Chroniques de la Grande Guerre

Les quatre hommes marchaient dans les rues de Tilmar d’un pas décidé, côte à côte, discutant de tout et de rien. Jack les suivait un peu en retrait. Pourquoi ne s’enfuyait-il pas ? Il n’en savait rien. Peut-être attendait-il que quelque chose se passe, ou peut-être se laissait-il simplement aller, loin de Tilmar et de sa vie terne et sans scrupule.

Franck était en train de raconter ses exploits amoureux :

— Elles se sont jetées à trois sur moi. Et si vous aviez vu leurs cuisses... À faire pâlir d’envie n'importe quel marmot sortant de sa cambrousse. Même toi, Tom, tu n'aurais pas pu résister !

— Et c'est à cause de ça que tu as raté la réunion des trois lunes ? s'esclaffa Serem.

— Hé ! Mieux vaut ça que de rater sa cible !

— Oh, lâche-moi avec ça !

Alors que les trois comparses débattaient sur les mésaventures de Franck, Tom ralentit un peu pour se retrouver à l'allure du jeune homme.

— Dis-moi, mon garçon, ça n'a pas l'air d'aller ?

Ce dernier ne répondit rien, la tête baissée, perdu dans ses pensées.

— Jack ?

— Qui êtes-vous ?

— Eh bien, moi c'est...

— Non, je veux dire… qu’attendez-vous de moi ?

— Ah ! Question difficile... Tu le sauras en temps voulu.

Une longue minute de silence s'écoula.

— Comment avez-vous réussi à me libérer ?

— Nous avons gentiment demandé aux gardes de te laisser sortir.

— Et les gardes se sont gentiment assoupis pour vous laisser entrer ?

Tom sourit à pleines dents.

— Tu es plus malin que tu n’en as l'air.

Une autre minute de silence passa, puis Tom redevint sérieux.

— Écoute, Jack, ce que l'on va te demander à présent, c'est de ne plus poser de questions. À partir de maintenant, c'est nous qui allons les poser. On est d'accord ?

— Je...

— On est d'accord ? réitéra Tom.

Cette fois, il le fixait sévèrement.

— Oui.

— Bien. Sais-tu pourquoi tu as été arrêté, Jack ?

— Parce que j'ai volé quelque chose.

— Oui ?

— Un vieux morceau de papier qui ne vaut même pas un clou au marché ! Ça, on peut dire que je me suis bien fait avoir, s’exclama le jeune homme, furieux contre lui-même.

Tom esquissa un sourire.

— Ce n'est pas drôle ! C'est cet enfoiré d'Yvan qui m'a induit en erreur, tout ça pour que je me fasse prendre. Si jamais je le retrouve...

Tom l’écoutait, attendant la suite, mais Jack ne finit pas sa phrase.

— Il y a une part de vrai dans ce que tu dis.

— Comment ça ?

— C'est moi qui pose les questions, dit-il en le fixant du regard. Disons qu'Yvan avait bien l'intention que tu te fasses prendre.

— Je le savais ! Ce bougre d'abruti...

— Mais d'un autre côté, tu n'étais pas censé réussir à le récupérer.

— Je ne comprends pas…

— Ne t'avise jamais de révéler ce que je vais te dire à présent. Sinon, ce sera la dernière chose qui sortira de ta bouche, prévint Tom.

Le jeune homme hocha la tête d’un air entendu, mais ne réagissait pas à la menace.

Tandis que les trois autres s'éloignaient en discutant des bienfaits de la bière d'Astrid, Tom évaluait l’impact de ses paroles sur Jack. Il poursuivit, pesant ses mots :

— Il existe en ce monde bien des mystères que personne ne saura jamais résoudre. Certains dépassent même l'entendement des êtres les plus évolués de ces contrées.

— Les humains ?

Tom ne prêta pas attention à la remarque.

— Bien que ces mystères demeurent inexplicables, certains peuvent être utilisés. As-tu entendu parler des tablettes d'Asmaar ?

— Non.

— Pour commencer, il y en a douze en tout. Considère que ces tablettes forment un mécanisme qui permet d’ouvrir une porte. Une fois que tu as la clé qui te permet de l'activer, tu peux t'attendre à découvrir un fabuleux trésor.

Jack écarquilla les yeux comme s’il s'imaginait ce que pouvaient être ces trésors, ou alors parce qu’il ne comprenait rien. Tom opta pour la deuxième solution.

— Disons que ces tablettes permettraient d’ouvrir les chemins de la magie. Enfin, permettraient… rien de certain là-dessus.

— On parle bien de bouts de papier là. Non ?

— Laisse-moi finir, dit-il d'un ton sec. Ce que tu as découvert et réussi à dérober l'autre jour, c'était l’une de ces tablettes. Ce bout de papier, comme tu dis, est en fait l’une des douze tablettes d'Asmaar, l'un des plus grands trésors que le royaume ait jamais connu.

— Mais… qu’est-ce qu’on peut bien faire de la magie ? Ça ne vaut rien !

— C’est là où tu te trompes. Déjà, la magie en soi est l’un des plus beaux et dangereux trésors. Mais surtout, des gens paieraient une fortune ne serait-ce que pour toucher ce bout de parchemin un instant !

Le jeune homme écarquilla à nouveau les yeux. Cette fois, il avait compris. Jack se mit alors à arborer un grand sourire, fier d'apprendre qu'il avait réussi à voler un objet précieux. Un brouhaha le tira de sa rêverie.

— Que se passe-t-il ?

Au milieu du chemin, un attroupement se formait.

— Reste là, répondit Tom qui s'élança vers la foule.

Quelques minutes plus tard, les quatre comparses étaient de retour.

— Tu as encore remis ça ! s'écria Thor.

— C'est plus fort que moi, répondit Serem.

Franck, lui, souriait à pleines dents, jonglant avec une bourse bien remplie. Thor prit un air dépité :

— Et toi, tu en as profité, bien entendu !

— Je n'allais pas laisser passer pareille occasion ! s'écria l'intéressé.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Jack.

— Rien de spécial, expliqua Tom. La routine.

— Vous deux, pas de marché pendant une semaine.

— Mais enfin, Thor, tu ne peux pas nous faire ça, gémit Franck.

— Tout ça pour une petite bagarre de rien du tout ? répliqua Serem, qui cherchait à minimiser les faits.

— Ça vous apprendra à vous faire remarquer au beau milieu d’une mission !

Les deux hommes continuaient d'argumenter alors que Tom avait repris sa place aux côtés de Jack. Tous s'étaient remis en route.

— Pas de marché ? Mais c'est nul le marché de toute façon. Il n'y a jamais ce qu'on veut et c'est hors de prix, remarqua le garçon.

Tom sourit.

Après plusieurs nuits de marche, les journées étant consacrées au repos et à la chasse, le groupe arriva à destination : Talyon.

Majestueuse, cette cité n’avait pu être créée de la main de l’homme. Ses rues étaient ornées d’or et ses habitants plus riches les uns que les autres.

Les bâtiments s’élevaient jusqu’aux nuages et les lampadaires contenaient des dizaines de bougies flamboyantes : c’était la plus grande ville du royaume, voire d’Anstrilla. Les multiples statues érigées dans toute la ville lui avaient valu le nom de Cité aux Cent Visages.

Sur chacune d’elles était gravé un visage immense, unique, en hommage à ceux qui avaient façonné la ville et fait de Talyon la cité mère du royaume du même nom.

Arrivé à une heure matinale, le groupe put apercevoir la ville sous son plus beau jour : un être de lumière calme et ronronnant. Les boulangers attaquaient leurs fournées du matin qui emplissaient l’air d’une douce odeur de pain chaud et de brioches fondantes.

— Mmm, sentez-moi ça, mes amis ! s’exclama Serem. Rien de tel qu’un bon pain grillé et craquant tout juste sorti des fourneaux pour bien commencer la journée !

— Nous n’avons pas vraiment le temps... répondit Franck, mais Serem était déjà entré chez le boulanger.

— Il risque de nous faire repérer, s’inquiéta Franck à mi-voix.

— Ne t’en fais pas, répondit Thor. Nous n’aurons qu’à dire que nous sommes des commis partis faire des courses.

— En groupe de cinq ?

— Bah, tu n’auras qu’à jouer la comédie une fois de plus, rétorqua Tom en ricanant.

— Vous avez raison… C’est que cette première grosse mission fut assez éprouvante, je n’ai pas encore eu le temps de m'en remettre.

— Mais tu t’en es plutôt bien tiré, elle n’était pas si simple.

— Ah ! Ché chur, il n’y afait qu’un malheureux garde et deux ou troich nourrich, n’importe qui aurait été plus efficache, intervint Serem, la bouche pleine.

Dans ses mains, il portait un sac rempli de pains, et sous le bras, quelques brioches encore fumantes. Il n’en proposa même pas aux autres membres du groupe. Il avala une autre bouchée :

— Bon, on ne va pas coucher ici, ils doivent nous attendre.

— En fait, nous ne retournons pas au camp tout de suite, ajouta Thor. Il nous reste une mission à accomplir.

Il ressortit une pomme d’une de ses poches et commença à la découper. Serem arracha à nouveau un morceau de pain.

— Comment cha, une autre michion ?

— Il faut que nous éprouvions le nouveau.

Jack regardait ses compagnons de route avec intérêt.

— Ah… je vois.

Serem venait de terminer son pain.

— Parfait, allons-y dans ce cas ! s’exclama-t-il tout excité, le sourire jusqu’aux oreilles.

Thor amena un morceau de pomme à sa bouche, puis se mit à fixer Jack. De son autre main, il sortit une aiguille d’une poche cachée :

— Elle est enduite d’ecosïs, un poison… assez intéressant.

Le nouveau ressentit un picotement au cou et un frisson parcourut son échine. Il voulut porter la main à sa nuque, mais son propre bras l’en empêcha. Une immense peur l’envahit soudain. Son esprit semblait paralysé, il ne savait plus quoi penser. Ses jambes se mirent en mouvement de façon incontrôlée.

Il ne savait pas combien de temps il avait couru, mais suffisamment en tout cas pour être hors d'haleine.

Il reprit son souffle et regarda autour de lui : Jack ne savait pas où il se trouvait exactement, et encore moins ce qu'il devait faire. Du moins, pas à long terme. Il posa la main sur son cou mais ne sentit rien. Il appliqua les tests qu'il avait appris pour vérifier s'il avait été empoisonné et déterminer la nature du poison.

Après dix minutes d’exercices, il fut rassuré de se savoir en bonne santé. Ou alors, peut-être était-ce l’une de ces substances qu’il ne connaissait pas…

Dans l'immédiat, il se remit en tête ce qu'Yvan lui avait enseigné : repérer le jour et agir la nuit. La première étape serait donc de connaître au mieux l’endroit où il se trouvait. Il lui fallait d'abord trouver un point en hauteur pour se repérer.

Ne sachant pas quel chemin emprunter, il s’en remit au destin et choisit une rue au hasard.

Il marcha quelques mètres et sentit son ventre gronder. Il ne manquait plus que ça !

— Bon, où est-ce que ce Serem a acheté son pain ?

Il regarda autour de lui, cherchant une échoppe de boulanger, mais ne vit rien. La ruelle était vide et ne ressemblait pas du tout à celle par laquelle ils étaient passés tout à l'heure. Il poursuivit son chemin tout en essayant de se remémorer son parcours, mais il était bel et bien perdu.

Au fil des heures, la foule commençait à s'amasser dans les rues. Il devenait de plus en plus difficile de se frayer un passage parmi tous ces gens. Heureusement que sa formation lui avait enseigné l’art de se déplacer rapidement dans ces conditions. En plus, quel bonheur ! Il pouvait faire les poches des nombreux passants qui avaient le malheur de croiser sa route. Et dans une ville comme celle-ci, il devait y avoir de nombreux hommes fortunés à qui deux ou trois piécettes en moins ne manqueraient pas outre mesure.

Après avoir repéré sa victime, Jack s'approcha furtivement. À l’aide d’un petit couteau, il s'apprêtait à couper le cordon qui retenait la bourse lorsque sa victime se retourna, lui prit le poignet fermement et s'écria :

— Et un de plus, pris la main dans le sac !

L’homme exultait.

— Mais enfin, lâchez-moi !

Jack se débattait, mais rien n'y fit. L'homme était bien trop fort pour lui. Il resserra alors sa poigne et l'adolescent laissa échapper un cri de douleur.

— Ton compte est bon. Tu vas pourrir dans les geôles comme toutes ces vermines des rues !

Il eut beau se tortiller, crier, l'homme le traîna aisément jusqu'au poste de garde et le remit aux autorités. Un garde lui donna une liasse de billets en récompense. Satisfait, il s’évanouit à nouveau dans la foule, prêt à chasser d'autres voleurs.

Les gardes emmenèrent par la force l’adolescent vers un bâtiment vétuste et l’enfermèrent dans une cellule sordide.

La fin de journée fut horrible pour Jack. La faim le tenaillait toujours et ses codétenus le toisaient d’un regard pesant. Ils avaient l’air affamés, leurs côtes saillaient à travers leurs guenilles, et leurs dents jaunâtres semblaient prêtes à le dévorer sur place. Les geôliers, quant à eux, pariaient sur le temps qu'il tiendrait dans cet endroit infâme.

— Il passera pas la journée, je te dis, assura l'un d'eux.

— C'est plus teigneux que ça en a l'air, ces bêtes-là. Je parie qu'il passe la journée, mais pas la nuit !

Un troisième s'avança vers la geôle, toisa le garçon et cracha dans la cellule.

— Mouais. De toute façon, s’il meurt pas d'ici là, on le crève !

Il lança au garçon un sourire carnassier.

— Pas d'bol, petit. Ton chemin s'arrête ici, au grand bonheur de tes nouveaux amis. Ah ! Ah ! Ah !

À cet instant, une dague vint lui transpercer la gorge et il s'effondra comme une masse. Jack regarda les deux autres gardes, eux aussi à terre. Il plissa les yeux pour mieux percer l'obscurité de sa cellule. Personne. Et pourtant il sentait une présence...

Quelques secondes passèrent dans un silence angoissant.

— Alors, Jack ?

C'était la voix de Thor.

Il sortit de l'obscurité comme s’il venait de traverser le mur. Tous les prisonniers se mirent à crier de joie, crachant sur les corps des gardes à travers les barreaux. L’un d’entre eux agrippa le bras d’un des gardes et le tira près de lui.

Thor reprit :

— Je vois que tu n'as pas très bien réussi ton entrée en matière !

— Je n'y suis pour rien..., rétorqua le jeune garçon, décontenancé par ces propos.

Thor le regarda sévèrement.

— Tu me déçois, petit ! Alors, c'est ça le Jack ? Un beau gâchis, oui.

— Mais...

— Adieu, Jack.

Il tourna les talons et s'enfonça à nouveau dans la pénombre.

— Tu n'as pas le droit de me faire ça ! cria le garçon. C'est de votre faute si je suis là !

Son cri résonna dans les geôles, mais il resta seul. Ses compagnons de cellule qui n'avaient pas bougé le regardaient avec encore plus d'appétit qu'auparavant. L'un des cadavres n’avait déjà plus de bras.

Un prisonnier s'approcha de l’adolescent, le poing serré…

Thor attendait dans la rue, fixant la pleine lune qui commençait à s'élever haut dans le ciel. Il eut un petit rictus, puis esquiva un coup arrivant dans son dos. Au passage, il prit le poignard que tenait son assaillant.

— Tu n'es qu'un lâche ! s'écria Jack.

— Je vois que tu as réussi à t'en sortir. Tu n'as pas l'air si inutile que ça...

Le garçon ne répondit pas.

— Et tes amis de cellule ?

Le garçon baissa la tête et ne dit mot. Un sourire se dessina sur les lèvres de Thor, puis il tapota l'épaule du jeune homme d’un air entendu et satisfait.

— Ce n'étaient que des charognards, de toute façon.

Il lui rendit son poignard puis partit en direction d'une grande bâtisse que l’on apercevait au bout de la rue.

S'arrêtant à mi-chemin, il lança par-dessus son épaule :

— Bon alors, tu viens ?

Jack écarquilla les yeux. Il ouvrit la bouche mais ne sut que répondre.

Thor continua son chemin sans se retourner. Au bout d'un moment, il entendit les pas du jeune garçon derrière lui.

Puis il s'engouffra dans une auberge surplombée d'une enseigne où l’on pouvait lire ces quelques lettres écrites en gros caractères : Au Taureau Saignant.

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