VI - Kalene

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Tom se dirigeait vers l'est de la ville. Il se remémorait l'ensemble des événements : dix gardes d'élite et un adolescent. Jack n'était assisté par personne et aucun des gardes n'était mort.

Il leva la tête vers la paroi qui faisait office de ciel.

« Peut-être que… »

Une dague froide vint se poser sur sa gorge sans qu'il eût remarqué quoi que ce soit. Une voix féminine s'exclama :

— Eh bien, cher ami ! À ne pas prendre garde, vous risquez de vous faire tuer !

Il sourit.

— Vous pensiez peut-être à moi pour vous faire prendre aussi facilement ?

Cette voix réconfortante et ce parfum… Une chaleur apaisante l'envahit.

— Kalene...

La prise se desserra alors. Tom se retourna et vit la jeune femme ranger son couteau.

— Ça ou autre chose. En ce moment, je suis plutôt Dame Limye, de la haute cour de Bourg-Licorne.

Elle prononça ces paroles en prenant une intonation bourgeoise.

Tom l'admirait. Belle comme le jour, ses cheveux bruns descendaient jusqu'au creux de ses reins. Sa peau blanche et ses yeux pétillants de malice, d'un bleu si pur, le faisaient fondre.

— Ça me fait plaisir de te revoir, répondit-il. Ta mission s'est bien passée ?

— Tu parles ! Ce gros lourdaud d'Arathor ne crache presque rien, et pourtant il est loin d'être insensible à mes charmes.

Elle scrutait la réaction de son amoureux...

— J'ai tout de même réussi à récupérer quelques renseignements qui pourraient t'intéresser.

Elle posa sa main sur la joue de Tom et rapprocha sa tête de la sienne, lui chuchotant à l'oreille :

— Ce soir, chez toi. Et tu ne seras pas déçu...

Elle ajouta, le sourire aux lèvres :

— Mais avant, il faut que j’aille faire mon rapport à cette peste d'Umbrae.

— Ça devient de plus en plus fréquent, Kalene...

Le sourire s'effaça du visage de la jeune femme et elle se rapprocha. Cette fois, elle prit son visage dans ses mains et dit :

— Mon amour, je suis profondément désolée pour tout ce que tu endures. Je fais tout ce que je peux pour éradiquer ce mal qui te ronge, je sens que l'on se rapproche de la solution.

Elle déposa un baiser sur sa joue.

— Aie confiance en moi, je trouverai ! Mais jusque-là, tiens bon...

— Merci.

— Bien, je dois te laisser Tom, mais nous nous retrouvons comme prévu, d'accord ?

Elle avait repris son ton enjoué.

Tom la regarda partir, si élégante, si raffinée. Décidément, s'il y avait bien une personne capable de l'étonner et de l'apaiser, c'était bien elle.

En chemin, Kalene imaginait déjà son entrevue avec Umbrae. Cette mission n'avait pas apporté les réponses qu'elle espérait. Elle en était certaine, Umbrae allait pester et lui demander de mieux faire son travail la prochaine fois.

Son travail... S’il y avait bien un domaine dans lequel elle excellait, c'était ça ! Et tout le monde le savait.

Il était bien là, le problème : Kalene était la plus redoutée des espionnes, car la plus douée. Non seulement elle surpassait Umbrae, mais aussi la plupart des membres de la guilde, Maîtres inclus. Que ce soit pour voler, espionner ou assassiner, il n'y avait pas plus habile qu'elle.

— Kalene ?

À l'appel de son nom, elle sortit de ses pensées et vit une femme portant les armoiries de l'Œil Rouge postée à l'entrée de la maison d'Umbrae.

— Oui ? répondit-elle d'une voix monocorde.

— Elle t'attend à la forteresse, répondit le garde.

— Elle ne devrait pas être couchée à cette heure-ci ? ironisa-t-elle.

La femme ne répondit pas.

— Bonjour chez toi, Main.

Elle tourna les talons et se dirigea vers la forteresse.

Utilisé pour désigner les hommes de main de la guilde, le terme Main est péjoratif. Ce sont les protecteurs de la cité, mais ils peuvent aussi servir de gardes du corps ou tout simplement aller récupérer, par la force, la dette d'un quelconque débiteur.

Kalene aimait bien utiliser ce terme car il qualifiait précisément ce que sont les hommes de main : de simples instruments sans cervelle que l'on s'amuse à manipuler selon notre bon vouloir.

Enfin arrivée devant la forteresse, elle monta les escaliers, passa devant la grande porte en bois gravée d'un œil rouge, puis bifurqua vers l'ouest et arriva devant une autre porte, plus discrète. Sans frapper, elle entra.

Umbrae était assise, en train de discuter avec deux jeunes recrues. Kalene avança sans prêter attention aux invités. Elle fit un léger mouvement, presque imperceptible, avec sa main droite et interrompit la discussion des trois personnes en s’adressant directement à l’intéressée :

— Me voilà, Umbrae.

Cette dernière la regarda durement.

— Tu n'as jamais appris à frapper avant d’entrer ?

— Pas vraiment le temps, je viens te faire mon rapport et je suis pressée !

Umbrae poussa un soupir d’exaspération et fit signe aux deux jeunes de se retirer. Une fois qu'ils furent sortis, elle s'exclama :

— Décidément, tu ne changeras jamais ! Combien de fois...

Kalene l’interrompit avant qu’elle ne se lance dans une tirade maintes fois entendue :

— Oh ! Arrête de prendre tes grands airs avec moi, et venons-en aux faits.

Umbrae agrippa les accoudoirs de son dossier.

— Tu es vraiment…

Tout en se contenant, elle lâcha prise et lui fit signe de se lancer. D’une seule traite, Kalene raconta :

— J'ai donc accompli ma mission comme il se doit. C'était bien la dernière tablette que ce lourdaud d'Arathor possédait. À présent, il a envoyé Syl et presque toute son armée à la recherche de Jack. Quant à notre confrérie, à part de fausses rumeurs, il ne sait toujours pas où nous nous trouvons.

— Et qu'as-tu appris d'autre ?

— C'est tout.

Umbrae la regarda pendant quelques secondes sans rien dire, croyant qu’elle la faisait encore tourner en bourrique. Au bout d’un moment, elle grogna :

— Tu as mis tout ce temps pour ne glaner que ces maigres informations ?

— C'est reparti...

— Écoute, Kalene, si je t'ai envoyée sur cette mission...

— Tu ne m'as pas envoyée là-bas, c'est moi qui ai insisté, je te rappelle ! Sinon, tu aurais envoyé de vulgaires espions amateurs, incapables de se fondre correctement dans la masse. Ils auraient tout fait capoter !

— Kalene, je comprends que...

— Non, tu ne comprends pas ! s'énerva-t-elle. Et puis même si tu comprenais, qu'est-ce que ça ferait ? Je suis la seule à pouvoir le faire, la seule. Et si jamais tu m'en empêches, je te tuerai, c'est clair ?

Les yeux de Kalene avaient viré au bleu foncé. Umbrae ne le savait que trop bien : quand ils commençaient à s'assombrir, mieux valait tenter par tous les moyens de la calmer. Car arrivée à ce stade, elle était capable de tuer n'importe qui sans état d'âme, et sans que l'on ne puisse la voir venir. Même elle ne pourrait rivaliser...

— Très bien, Kalene, fais ce que tu veux. Je veux juste que tu fasses attention à...

— Ne t'en fais pas, dit-elle d'un ton cassant, je ne mettrai pas en péril ni la confrérie, ni ta place.

Sur ces mots, elle s'approcha de la porte d'un pas vif puis s'immobilisa brusquement :

— Et inutile de cacher tes espions.

Elle se retourna vers l’une des fenêtres et s’adressa au rideau :

— La prochaine fois que tu tenteras de m'espionner, tu le payeras de ta vie.

Elle sortit et claqua la porte derrière elle.

Un homme sortit de derrière le rideau. Il voulut s'avancer près d'Umbrae, mais son manteau était coincé. Il se baissa et vit un couteau enfoncé dans le mur, retenant sa cape.

— Oh…

— C'est tout Kalene, ça ! soupira Umbrae. À l'avenir, évite de la croiser, ça vaudra mieux pour toi.

Il retira l'objet tranchant et s'avança.

— Je n'ai rien vu. Quand a-t-elle fait ça ?

— À peine entrée dans la pièce, dès qu'elle t'a remarqué.

— Cette femme est étonnante !

—Elle est surtout incroyablement dangereuse. Souviens-toi de mes paroles, et des siennes…

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