VIII - Le choix de Syl

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Syl avait dérogé aux règles de bienséance en sortant du royaume de Talyon avec un contingent armé. Ils étaient entrés sur le territoire des Orcs et savaient que cela pouvait avoir des conséquences désastreuses. Des éclaireurs les avaient sans doute aperçus et ne tarderaient pas à donner l’alerte : passer une frontière avec autant d’hommes pouvait être considéré comme une déclaration de guerre. Mais Syl n’avait pas trouvé d’autre moyen pour atteindre les hommes qu’ils pourchassaient et qui s'étaient réfugiés aux abords de la forêt brumeuse. Il devait donc agir vite.

Caché dans le sous-bois, Syl donnait les derniers ordres à ses hommes. Autour d'une petite clairière, ses troupes d'élite attendaient, prêtes à bondir au moindre geste que leur chef leur adresserait.

Syl jeta furtivement un regard au centre de la clairière et vit une petite dizaine d'hommes discutant entre eux. Ils semblaient attendre quelqu'un ou quelque chose.

Tout d'un coup, trois silhouettes sortirent des bois. Vêtus de longs manteaux noirs, les trois hommes portaient des coffres à bras-le-corps. Arrivés au niveau de leurs compagnons, ils déposèrent les conteneurs au centre et tous crièrent de joie. Certains se tapaient dans le dos avec entrain, d’autres riaient bruyamment.

Syl scruta les différents chemins que les voleurs pourraient emprunter pour fuir et indiqua à quelques-uns de ses hommes de garder certains passages qui lui semblaient opportuns.

Il attendit le bon moment : lorsque les voleurs commencèrent à se partager l’or et les bijoux contenus dans les coffres, il fit signe à ses hommes.

La première volée de flèches zébra le ciel et s’abattit sur les brigands, pris au dépourvu. Syl en profita pour ordonner à ses troupes de tirer une seconde salve juste avant de donner l'assaut.

Le combat ne dura pas très longtemps : la surprise de l'attaque combinée à l'entraînement des soldats eut rapidement raison des voleurs. Une poignée d'entre eux essaya de s’échapper mais les hommes de Syl eurent raison d'eux. Seul l’un des malfrats respirait encore, les jambes criblées de flèches. L’épée sous la gorge, il gardait un air fier et montrait ses dents dans un sourire vengeur. Pour Syl, tout s'était déroulé comme prévu.

— Prenez les deux coffres et enchaînez-moi cet animal !

Ses soldats s'exécutèrent sans une once de remord. Ils semblaient même y prendre du plaisir. Ils laissèrent là les corps de leurs victimes et se mirent en route.

— Ceci servira d'exemple à leurs comparses ! s'écria Syl.

Sur le chemin du retour, après avoir regagné le territoire de Talyon, Syl et ses hommes dressèrent un campement au beau milieu d’une plaine vierge de tout arbre. Ils représentaient ainsi une proie facile, mais c’était selon lui le meilleur moyen d'apercevoir tout intrus qui tenterait de s'approcher du camp.

Syl s'endormit aisément, ne se doutant pas que cette nuit allait lui offrir le choix entre un avenir nouveau ou la mort !

Une dague froide venait de se poser sur son cou, ce qui le réveilla en sursaut. Ce réflexe lui valut une légère entaille sur la peau. Le métal froid et tranchant le menaçait toujours.

— Qui est là ? s'écria-t-il.

La dague s'enfonça un peu plus dans sa peau, provoquant une vive douleur.

— Si tu souhaites vivre, je te conseille de ne pas faire le moindre geste !

La voix était celle d'un homme, mais paraissait aussi douce que celle d'un enfant.

— Vous avez le choix, Général !

Syl ne répondit pas. Sans que son agresseur ne s’en rende compte, il tâtonnait dans le noir à la recherche d'une arme. Sa main se posa sur une pierre.

— Voici ce que je te propose...

Syl réussit à se saisir de la main de son agresseur et à lui tordre le poignet. De son autre main, il lui asséna un violent coup avec la pierre, ce qui eut pour effet de faire tomber son ennemi à terre. La capuche de ce dernier glissa, découvrant le visage d’un adolescent aux cheveux blonds. Syl cracha par terre.

Ce n'était pas un simple assassin, un gamin qui plus est, qui allait venir à bout d'un homme tel que lui ! Et ça, il en était intimement persuadé. À tel point qu'il ne vit pas une autre ombre s'approcher derrière lui et l'assommer.

L’adolescent se releva et se frotta la tête.

— Trop rapide, je n'ai rien vu venir !

— Tu n'es qu’un bon à rien. C'est décidé, dès notre retour, je change d'apprenti ! dit une voix de femme.

— Je suis désolé, La...

Elle le gifla.

— Prononce une seule fois mon nom aux côtés d'un inconnu et ce sera la dernière chose que tu diras.

Il se tut et baissa les yeux. La femme lui fit signe de l’aider à transporter le corps, et ils l’emmenèrent hors du camp sans réelle difficulté.

Syl ouvrit les yeux doucement mais ne voyait rien. Il ne distinguait qu'un paysage trouble autour de lui, mais les sons lui parvenaient distinctement.

Il tenta de se lever, mais ses pieds et ses mains étaient attachés. Toutefois, il n'était pas bâillonné.

— On dirait que notre invité s'est enfin réveillé !

Les formes troubles s'estompèrent peu à peu pour laisser place à une image plus nette. Il aperçut alors deux formes encapuchonnées, l’une étant celle de son agresseur qu'il reconnut malgré son accoutrement.

Il ne les quittait pas des yeux

— Excusez mon imbécile d'apprenti, normalement ça n'aurait pas dû se passer comme ça !

Syl sourit malicieusement.

— Comme vous dites, si vous n'étiez pas intervenue, je l'aurais déjà décapité.

Il regarda le jeune adolescent comme s’il le distinguait parfaitement à travers sa capuche. Ce dernier détourna la tête.

— Va donc faire un tour ! ordonna la jeune femme à son apprenti.

Le jeune homme s'éloigna sans se faire prier. Le prisonnier parla d’une voix nette, sans laisser passer la moindre trace d’émotion.

— Je suppose que vous attendez quelque chose de moi, sinon je ne serais déjà plus de ce monde.

La jeune femme s'approcha de lui et s'accroupit. Elle le regarda droit dans les yeux, découvrant ainsi son visage. L'homme eut l’air étonné.

— Mais vous êtes...

— Aveugle, oui.

Syl tourna la tête.

— D'abord un mioche, et maintenant une infirme...

Elle le renifla un instant.

— Aucune peur.

Elle répéta l’opération.

— Un léger sentiment de honte.

Puis elle se releva en s’aidant de ses mains.

— Il en faut bien plus que ça pour vous faire perdre votre sang-froid, n’est-ce pas ?

— À qui le dites-vous !

— Alors... d'où vient cette rage qui imbibe chaque parcelle de votre être ?

Syl ne répondit pas.

— Bien, vous avez raison, nous ne sommes pas là pour parler de vous mais plutôt de ce que vous pouvez nous apporter.

— Allons bon. Il n'est pas dans mes habitudes de rendre service aux voleurs, vous savez...

— Non. Par contre, il est dans nos habitudes de payer certains services.

— Votre or ne m'intéresse pas !

— Mais qui parle d'or ?

Syl marqua un temps d’arrêt comme pour essayer de cerner son interlocutrice. Puis il reprit tout aussi calmement :

— Que me proposez-vous ?

— La mort de votre seigneur, répondit-elle simplement.

Un silence s'installa. Une légère brise montait lorsqu’un rire rauque éclata. Il mit quelques instants à s’en remettre, puis rétorqua :

— Vous n'êtes pas sérieuse. Vous n'arriverez jamais à...

— Nous vous avons bien enlevé à l'insu de votre régiment, si je ne m'abuse...

— Mais Talyon est mille fois mieux gardée !

La jeune femme haussa les épaules. Syl réfléchissait. Fin stratège et grand physionomiste, il savait calculer la force des ennemis rien qu'à leur allure. Mais de cette femme, il ne savait que penser.

— Je me suis laissé distraire, voilà tout.

— Par un mioche et une infirme. Effectivement, le sort s'acharne contre vous.

Il rumina. La vieille femme se pencha à nouveau et renifla :

— Quand la honte laisse place à la haine, suis les contes et brise les chaînes.

— Quoi ?

Mémoires de Talyon, chapitre sept, Méandres d'un Inconnu.

— Je ne connais pas.

— Félicitations ! Vous êtes à la tête de la protection d'une cité dont vous ne connaissez même pas l'histoire. Non vraiment, félicitations ! répondit-elle amèrement.

— Je connais parfaitement l'histoire de ma cité !

— Certainement... certainement...

La femme se leva, s’éloigna et disparut dans le noir. Elle revint quelques minutes plus tard, une gourde à la main. Elle la lui tendit.

— Je ne suis pas vraiment en mesure de la manier, ironisa-t-il.

Elle sortit un couteau et trancha les liens retenant ses mains.

— Maintenant, vous pouvez !

— Vous êtes vraiment inconsciente pour me laisser ainsi.

Elle haussa à nouveau les épaules.

— Tentez donc ce que vous voudrez, vous verrez !

Il regarda autour de lui. L'obscurité effaçait tout indice qui aurait pu lui permettre de deviner où il se trouvait. Même la lune n'arrivait pas à donner forme aux paysages environnants. Et il sentait cet adolescent non loin de lui, prêt à bondir à la moindre alerte. Mais ce n'était pas lui que Syl redoutait. Cette femme le regardait comme si elle pouvait le percevoir au-delà de son infirmité. En fait, non, il ne la redoutait pas. Elle l'intriguait.

Il attrapa la gourde qu’elle lui tendait et but à grandes gorgées. Une fois désaltéré, il demanda :

— Que va-t-il se passer maintenant ?

Elle reprit la gourde.

— J’aurais pu y mettre du poison et pourtant vous en avez bu…

— Disons que je suis pressé de voir comment vous allez arriver à vos fins.

— Vous le saurez bien assez tôt.

Les paupières de Syl commencèrent à s'alourdir, mais il parvint à demander :

— Une dernière question…

— Oui ?

— Ou plutôt non, une mise en garde...

— Je vous écoute.

— Si je vous retrouve, je vous tuerai.

— J'y compte bien ! dit-elle en souriant.

Les paupières de Syl se refermèrent alors implacablement.

Quand il se réveilla, le jour venait de se lever et l'ensemble de la troupe s'apprêtait à repartir. Les paupières toujours fermées, il réfléchissait. Son second entra dans la tente.

— Général, nous sommes prêts.

Syl ouvrit les yeux et le regarda sombrement.

— Je... nous allons attendre..., bégaya-t-il avant de sortir.

Syl toucha son cou douloureux. Frôlant la blessure qui lui avait été faite pendant la nuit, son doigt passa sur une pâte gluante. Il s’énerva contre lui-même puis se reprit.

« Ces imbéciles n’auraient pas dû me laisser en vie ».

Il observa l’intérieur de sa tente austère. Ces voleurs méritaient un châtiment exemplaire. Mais il pourrait bien avoir besoin de leur aide, surtout s’ils faisaient le travail à sa place.

Syl réfléchissait. Après plusieurs minutes, un plan se dessina dans sa tête, si bien qu'il en était à présent sûr : à ce jeu d'échecs, il sortirait gagnant à tous les coups.

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