IX - Rochenoire

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Quatre jours s'étaient écoulés depuis la visite de Jack chez la vieille femme. Il n'avait plus aucune nouvelle de Tom. En guise d'entraînement, il se baladait dans les ruelles, apprenait à connaître les moindres recoins et les passages permettant de fuir au cas où il aurait à disparaître rapidement.

Au détour d'une route, il passa devant une nouvelle auberge en construction. Il le savait, cela signifiait que dans la véritable ville de Talyon, une auberge du même gabarit voyait le jour à ce moment même. De ce fait, chacun était au courant de l'évolution de la ville et pouvait ainsi changer ses plans et ses caches en fonction des travaux. Décidément, l'organisation de l'Œil Rouge l'étonnait toujours autant. Et l'intérêt de rencontrer un jour son fondateur grandissait en lui.

Jack s'arrêta devant une maison, celle-là même où Elliot habitait. Elliot, c'était le nom qu'il lui avait donné. Son propre père ne lui en avait donné aucun, car d'après lui, une personne qui ne pouvait prononcer le moindre mot n'en avait nullement besoin.

Elle avait aimé ce prénom, surtout après qu'il lui eut expliqué qu'il provenait de la Forêt des Miracles : les Elliot étaient des créatures belles et simples. Ressemblant à de petits écureuils, elles étaient douées de parole mais ne parlaient presque à personne, sauf à ceux qu'elles jugeaient dignes d'elles. La jeune fille l'avait alors adopté comme s’il avait toujours été sien.

Elliot aperçut Jack par la fenêtre et sortit précipitamment juste avant d'entendre son père grommeler : « Tu vas où encore comme ça ? N'oublie pas de me rapporter des fruits, surtout ! »

Elle referma doucement la porte en essayant de ne pas la claquer, puis ils s’enfuirent à travers une ruelle choisie au hasard.

Elle aimait la compagnie de Jack car il parlait sans cesse. Et il lui répondait, comme s’il arrivait à deviner les questions qu'elle voulait lui poser. Il semblait connaître beaucoup de choses pour son jeune âge et paraissait intarissable sur les mystères de la Forêt des Miracles.

« Cette forêt se trouverait à l’est de Cœuramer, au sein du royaume de Talyon. D'après certains écrits, ce serait une forêt à l'intérieur d'une autre forêt. Comme la Forêt des Miracles est magnifique et vierge de tout sentiment d'animosité, celle des Caprices est infiniment dangereuse et habitée par des créatures plus redoutables les unes que les autres. Arathor lui-même évite d'y faire pénétrer ses troupes à présent, ayant par le passé perdu des légions entières juste en essayant de découvrir une partie de ce qu'elle cachait. »

Elliot savait qu'il exagérait sans cesse. Elle était loin d'être naïve. Mais elle adorait ce trait de caractère. Il arrivait ainsi à transformer une histoire sans grand intérêt en un conte épique.

Ce fut ainsi que tous deux se lièrent d'une forte amitié, de sentiments profonds et sincères.

Pendant un temps, Jack s'était mis en tête d'apprendre à Elliot à se défendre. Chose que cette dernière faisait si maladroitement, au risque de se blesser, qu'il dut abandonner cette idée. Elle était bien trop gentille pour pouvoir attaquer quelqu'un, même en cas de légitime défense, et n'était pas suffisamment habile pour se servir d'une arme. Alors, il lui avait plutôt appris à se cacher dans les ombres et à se faufiler aussi rapidement que possible à travers la foule. Au moins, s’il devait lui arriver quelque chose en son absence, elle saurait éviter le danger.

Pour le remercier, Elliot lui avait montré les meilleurs postes d'observation de la ville et lui avait surtout appris à préparer des onguents à l'aide de fruits et de plantes qu'il ne connaissait pas. Appliqués sur certaines plaies, ils pouvaient la cicatriser rapidement, voire permettre d'améliorer un temps les sens ou les réflexes.

Elle avait découvert tout cela par hasard : alors qu'elle préparait de la confiture pour son père, elle s'était coupé le doigt. Mais elle avait continué à préparer ces mixtures de fruits et de baies sauvages. Elle avait ressenti une légère poussée d’adrénaline et s’était sentie obligée de tourner la confiture de plus en plus vite. C'étaient peut-être les herbes qu'elle utilisait pour rehausser le goût de ces confitures qui apportaient ces effets et elle était persuadée que les fruits jouaient un rôle de catalyseur. Une autre fois, elle avait même découvert comment améliorer légèrement la perception de son odorat, mais elle ne se rappelait plus de la recette.

Elliot montrait à Jack la façon de procéder et lui, semblait absorbé. Peut-être plus par le charme de son professeur que par le sujet lui-même... Qu'importe, cela portait ses fruits.

Alors que Jack était en pleine séance d'explication sur le caractère chaotique des mouvements de foule, une voix derrière lui l'interrompit :

— La bourse ou la vie ?

Avant même d’avoir eu le temps de se retourner et de dégainer son poignard, il se rappela avoir déjà entendu cette voix quelque part.

— Thor ! s’écria-t-il tout en se retournant.

Ce dernier répondit, un sourire aux lèvres :

— Eh bien, mon garçon, on ne fait plus attention à ses arrières ?

Le jeune garçon tourna la tête vers Elliot et s'exclama :

— Elliot, je te présente Thor, l’un de ceux qui m'ont amené ici. Thor, voici Elliot ! Mon... ma...

Il se mit à bégayer, puis à rougir. Elle sourit, amusée.

— Enchanté, Elliot, répondit Thor.

Elle le salua comme le faisaient les jeunes dames de la cour. Thor regarda Jack :

— Il faut que nous partions, une autre mission nous attend !

— Mais...

Jack se tourna vers Elliot, qui lui fit un signe de tête entendu. Il se tourna à nouveau vers son compagnon.

— Très bien, allons-y !

Il s'adressa ensuite à son amie :

— Je serai de retour bientôt. Prends soin de toi d'ici là.

Elle leva la main en guise d'au revoir tandis que les deux compagnons filaient à travers une rue.

— Tu sembles avoir gagné en assurance, mon jeune ami.

— Je lui dois beaucoup...

— Et elle aussi, très certainement.

Jack resta songeur un instant. Thor rompit le silence :

— Dépêchons-nous, les autres nous attendent déjà dehors !

Alors qu'ils montaient les marches obscures menant à la sortie de Cœuramer, Jack se risqua à demander :

— Tu as des nouvelles de Tom ?

Thor prit un peu de temps avant de prendre la parole :

— Il va très mal… nous ne pouvons malheureusement plus rien pour lui.

— Nous n'allons donc rien faire ?

— Tout ce qui pouvait être fait l'a été. Il ne nous reste plus qu'à croiser les doigts et à attendre.

— Personne ne fait plus rien ?

Le jeune garçon était outré par si peu de compassion et d'implication.

— Kalene et lui sont partis il y a deux jours, répliqua son compagnon. Juste après que la septième marque soit apparue. Je sais plus ou moins où ils sont allés, mais ils voulaient y aller seuls...

— Pourquoi personne n'a voulu les accompagner ?

Jack s'était arrêté. Thor se retourna :

— Ils voulaient être tranquilles. C'étaient probablement leurs derniers instants ensemble, je suppose qu'ils voulaient les passer rien que tous les deux...

Ils se regardèrent dans les yeux. Les torches qui bordaient les escaliers n'étaient pas suffisamment lumineuses pour laisser voir le visage de Jack, mais le blanc des yeux ressortait assez pour y lire une expression de tristesse. Sa vision se troubla.

— Si tu veux faire quelque chose pour lui, aide-nous à terminer cette mission. C'est ce qu'il aurait voulu.

Thor poursuivit son chemin. Le garçon marqua un léger temps d’attente puis se remit à le suivre. Ils remontèrent ainsi jusqu'à la porte massive qui s'ouvrit dans un vrombissement assourdissant.

— Ça fait plus de bruit qu'à l'extérieur, hein ! s’exclama Thor pour essayer de détendre l’atmosphère. En vain.

La lumière qui traversait la paroi aveugla momentanément les deux compagnons. Ils avancèrent prudemment, le bras levé devant leurs yeux.

Peu à peu une silhouette se dessinait. Alors que ses yeux s'habituaient à la lumière, Jack reconnut Franck.

— Salut Franck, désolé du retard !

— Ce n'est rien. Je parie que ce jeune homme était bien caché. Salut Jack !

— Salut Franck ! Content de te revoir.

Thor regarda autour de lui.

— Serem ne devrait pas être avec toi ?

— Oh ! Tu le connais, il ne supportait pas d'attendre à côté de moi, alors il est parti en avant.

— C'est tout lui, ça !

— Serem sera avec nous aussi ? interrogea Jack.

— Oui, d'après nos supérieurs, notre groupe s'est bien débrouillé jusque-là, rétorqua Thor. Ils ont voulu renouveler l’expérience. Et comme nous n’avons plus de voleur, ce sera toi qui t’en occuperas à la place de Tom.

L'enfant écarquilla les yeux.

— Moi ! C’est ma première mission officielle, alors ?

Thor ajouta :

— Il s'est avéré que tu avais d'excellentes compétences pour avoir dérobé la tablette. Tu es donc la personne idéale pour cette mission !

Le jeune garçon regarda les deux hommes l’un après l’autre, puis demanda :

— On va récupérer une autre tablette ?

— Oui, rétorqua Franck. Mais dépêchons-nous, Serem risque de pester si nous nous attardons plus longtemps !

Le groupe prit la route en longeant la montagne par le sud.

— Où allons-nous ? demanda Jack.

— D'après nos renseignements, l'une des tablettes qui nous manque serait en possession d'un marchand à Rochenoire. Nous n'en savons pas plus.

Franck reprit :

— La seule chose que nous savons, c'est qu'il va y avoir une vente aux enchères et qu'elle fait partie d'un lot surprise. C'est un lot qui n'est découvert qu'après l’avoir acheté. Autrement dit, son acheteur ne sait pas ce qu’il contient. Et grâce à nos informations, nous avons pu apprendre de source fiable qu'une véritable tablette d'Asmaar sera de la partie.

— Mais comment allons-nous l'acheter ? demanda naïvement Jack.

Thor le regarda en se demandant s’il était sérieux ou non. Ses craintes se dissipèrent lorsque le garçon lui sourit à pleines dents.

Après plusieurs minutes de marche, Franck leva la main et lança :

— Bonjour, mon bon monsieur. On cherche son chemin ?

Les bras croisés, Serem attendait patiemment à flanc de montagne. Tout du moins, aussi patiemment qu'il le pouvait.

— Ben c'est pas trop tôt ! Une heure de plus et je fusionnais avec la roche...

— Bonjour Serem, fit Thor.

— Ouais, salut frère, répondit-il. Ah… et salut petit !

— Salut Serem !

Ne pouvant plus attendre, il s’écarta de son dossier de pierre et partit en avant. Le reste du groupe le suivit.

Thor expliqua :

— Nous avons juste à suivre cette montagne et nous tomberons sur Rochenoire. On ne peut pas la rater. Nous devrions en avoir pour deux ou trois jours de marche, tout au plus.

Une petite lueur s'intensifia dans les yeux de Jack, puis il accéléra le pas pour rattraper Serem qui s’éloignait.

Tout au long du trajet, personne ne reparla de Tom. Peu de sujets furent abordés, si ce n'est celui de l’interminable querelle entre Franck et Serem, ce dernier le traitant toujours de tricheur puant et de croqueur faisandé, une espèce marine au physique peu conventionnel. Franck s’exprima calmement :

— En même temps, tu es dans une guilde de voleurs ! Crois-tu réellement qu'aucun de nous ne tricherait ?

— Ah ! Vous voyez ? Il vient d’avouer !

— Qu'a-t-il fait ? demanda naïvement Jack.

Franck tenta de lui expliquer :

— Pour la dernière mission, nous avions deux plans : celui de Serem et le mien. Nous les avons proposés à Thor qui a trouvé amusant de nous départager en jouant aux dés !

L’intéressé n'ajouta rien mais esquissa un sourire en coin.

— Ton plan n'a marché que par pure chance ! gronda Serem en direction de Franck.

— Quoi qu'il en soit, s’exclama ce dernier, celui de Serem était de foncer dans le tas et de...

— Ah non ! Non ! Tu ne vas pas non plus déformer mes propos !

— Hum… Plus précisément, il voulait assommer les gardes et défoncer la porte pour te faire sortir de prison.

— Et ça aurait été un vrai plan ! Pas un vieux truc de lâche où tu joues à cache-cache en tapant dans le dos.

Franck jeta un regard noir à Serem, mais continua sans répondre à l’attaque :

— Bref, nous avons joué ça aux dés. J'ai gagné et il ne veut pas l'admettre !

— Et c'est tout ? demanda le jeune garçon.

— Comment ça, c'est tout ?

Serem se rapprocha de Jack.

— Écoute, petit ! Si tu laisses passer ce genre de choses avec des mecs comme lui, c'est la porte ouverte à toutes les fantaisies ! Si ça continue, le prochain plan va être d'offrir des fleurs aux gardes et de leur taper la bise...

Serem frappa son torse du poing.

— Et ça, jamais !

Thor se figea soudainement.

— Arrêtez, vous deux ! Vous continuerez à régler vos comptes plus tard.

Tous stoppèrent et regardèrent dans la même direction que Thor : sur la montagne, au loin, s'élevaient d'énormes remparts sombres. Il reprit :

— À partir de maintenant, nous ne nous connaissons pas et nous agissons selon le plan que je vous ai expliqué. J’espère que tout le monde s’en souvient dans les moindres détails.

Il se décida quand même à le leur répéter afin qu’ils l’assimilent au mieux. La stratégie était plutôt simple, divisée en trois phases distinctes : la première phase consistait à quadriller la ville de façon à la connaître au maximum. Cela durerait deux jours. Chacun se voyait assigner un quart de la ville et devrait mémoriser tous les chemins et les bâtiments de la zone confiée. De ce fait, si jamais le groupe devait fuir, tous pourraient se reposer sur les connaissances de l'un d'entre eux.

La deuxième phase consistait à trouver l'endroit où sont stockés les objets destinés à la vente et à analyser la sécurité des lieux. Tâche qui ne devrait pas durer plus de vingt-quatre heures, afin de noter tous les déplacements des potentiels gardes et de trouver la meilleure fenêtre d'attaque. De plus, avec quelques pourboires bien placés, la mission devrait s’en trouver facilitée.

Enfin, troisième et dernière étape : le vol avec fuite. C'était l'étape la plus sensible, mais aussi celle qui devrait prendre le moins de temps. Et surtout, c'était l'étape qui reposait entièrement sur Jack.

— Tu te sens prêt, mon garçon ? Sinon Franck peut s'en charger !

— Je suis prêt et je ne reculerai pas !

Thor releva la tête.

— Eh bien, à dans trois jours alors !

Et le groupe se dispersa rapidement.

Jack s'approcha des remparts et se faufila dans l’une des files d'attente. Au bout se trouvaient des gardes filtrant les entrées.

— Ils ne m'ont pas parlé de ça ! Comment vais-je faire...

Les gens se bousculaient et rouspétaient sans cesse. Certains se lançaient des noms d'oiseaux et montraient leurs crocs, prêts à bondir sur leurs voisins de derrière qui poussaient.

Des charrettes tractées par des bœufs et transportant divers tonneaux attendaient aussi. On pouvait parfois en deviner le contenu rien qu'à l'odeur. Jack se fit la réflexion que l'un de ces tonneaux devait transporter du poisson. Et pas des plus frais...

« S’ils ont fait le chemin de la mer jusqu'ici en charrette... »

Un garde s'adressa à lui :

— Alors, c'est pour quoi ?

L'adolescent regarda autour de lui et remarqua qu'il était déjà aux portes de la muraille. C'était son tour. Il balbutia :

— Je...

— Pas besoin de mioche à Rochenoire ! Dégage !

— Il est avec moi !

Une femme élégante drapée dans une robe noire avec une capuche à bordures dorées s'avança.

— Cet enfant est avec moi ! dit-elle à nouveau.

Elle avait le teint foncé, les yeux bleus maquillés avec raffinement et du rouge à lèvres. Le simple fait qu'elle en portait signifiait qu'elle appartenait à un rang important. C’était peut-être la fille ou l’épouse d’un seigneur. En la regardant plus attentivement, Jack aperçut un serre-tête argenté trônant sur sa tête. Cela indiquait qu'elle appartenait très probablement à une famille princière.

— Dame Claire... Excusez-moi, je ne vous avais pas reconnue !

Le garde s'inclina en signe de respect.

— Eh bien ! Qu’attendez-vous donc ?

— Veuillez m’excuser, vous pouvez passer !

La jeune femme prit alors la main de Jack et lui adressa un clin d'œil complice. Il se laissa entraîner au milieu de la ville avant de parler :

— Merci.

— Mais je vous en prie, jeune homme.

Elle ne lâcha pas l'adolescent et l'entraîna toujours plus loin dans la ville.

— Euh... Je...

— Oui ?

— Je vous remercie, mais...

— Quel est votre nom, mon garçon ?

— Jack.

— Eh bien, moi, c'est Dame Claire.

Elle s'arrêta un instant sans le lâcher :

— Écoute, faisons fi des convenances. J'ai besoin de toi comme tu as eu besoin de moi. Tu peux me rendre un petit service ?

— C'est que..., tenta de protester l’adolescent.

La jeune femme le regardait avec un air de séductrice, enfonçant son regard dans le sien et ne le quittant pas des yeux.

— Je peux compter sur toi ?

— Bien sûr ! lâcha-t-il finalement sans vraiment réfléchir.

— Parfait !

Elle le relâcha enfin.

— Voici ce que j'attends de toi ! Mon père, cette mule, a proposé à ma sœur cadette de choisir l'homme qu'elle voulait épouser.

— Est-ce mal ?

— C'est une catastrophe, oui ! Je n'ai même pas le droit de regarder un autre homme qu'un époux hideux que l'on m'a assigné à la naissance. Et elle, elle aurait le droit de choisir qui elle veut ?

La jeune femme semblait furieuse.

— Parole de Claire, ça ne se passera pas comme ça. Et c'est là que tu vas entrer en jeu !

— Que voulez-vous que je fasse ?

— Je veux que tu fasses la cour à ma sœur.

— Mais... je ne la connais pas et je...

— Voyons, ne panique pas comme ça ! J'ai juste besoin que tu parles un peu avec elle, le temps que j'avertisse mon père. Et une fois qu'il vous aura surpris, je veux que tu l'embrasses.

— Ah mais non, ça ne va pas être possible !

— Ou alors tu lui tiendras la main, si tu préfères. Je ne sais pas, mais débrouille-toi !

— Écoutez, vous êtes très gentille de m'avoir laissé entrer, mais je...

La jeune femme souleva délicatement une étoffe de sa robe et en décrocha une petite bourse.

— Et tout ceci sera pour toi !

Jack resta stupéfait. Elle lui prit alors la main et y déposa plusieurs pièces. D'un doré étincelant, elles étaient frappées de l'insigne des Trois Lunes.

Chaque royaume possédait sa propre monnaie à l'effigie du seigneur qui le gouvernait. Plus rares, et donc plus précieuses, les pièces frappées de cet insigne étaient valables dans tous les royaumes appartenant aux Trois Lunes.

Ce que Jack tenait entre ses mains était un trésor suffisamment grand pour ne pas le laisser indifférent. Finalement, il déposa les pièces dans la petite bourse accrochée à sa ceinture et se résigna :

— Très bien, je ferai ce que vous voudrez.

— Je n'en attendais pas moins !

Elle regarda autour d'elle, reprit la main du garçon et s'enfonça encore plus loin dans la ville. Elle l'emmena dans un patio et le planta au beau milieu d’une végétation luxuriante.

— Très bien, tu ne bouges pas d’ici, je reviens dans un instant !

Elle repartit aussitôt et disparut derrière une porte.

En y regardant de plus près, le patio était extrêmement bien fleuri. Tout autour coulait une petite rivière qui paraissait parfaitement artificielle, traversée par endroits de petits ponts de bois. Le centre du patio était couvert d'herbe coupée à ras et des arbustes trônaient à intervalles réguliers.

Alors que le soleil était haut dans le ciel, Jack se demandait combien de temps il allait perdre avec cette histoire, espérant que tout ceci allait vite se terminer.

Dame Claire revint enfin à pas rapides. Elle s'approcha de lui et chuchota :

— Vous êtes un messager qui désire la rencontrer. Vous n'avez qu'à dire que vous êtes celui d'un certain Monsieur Eulid, qui a retenu toute son attention l'autre jour, au marché.

— Vous n'avez rien trouvé de mieux ?

— C'est tout ce que j'ai, débrouillez-vous comme vous pouvez... Attention, la voilà !

La porte s'ouvrit et une jeune femme d'une vingtaine d'années apparut. Elle semblait pressée car elle ne portait qu'une chemisette au-dessus d'une robe à moitié déboutonnée. Elle ressemblait de très loin à sa sœur aînée. Elles avaient toutes deux les yeux bleus, par contre la plus jeune n’arborait aucun maquillage, était plus petite, un peu plus enveloppée et avait la peau blanche. Ses cheveux étaient d'un blond intense et une mèche s'était détachée de son chignon, qui semblait lui aussi avoir été réalisé trop rapidement.

Dame Claire s'esquiva alors que sa jeune sœur s'approchait de Jack.

« Dans quel pétrin me suis-je encore fourré ! », songea-t-il.

Arrivée à sa hauteur, la jeune femme chuchota d’un ton glacial :

— Alors, qu'avez-vous pour moi ?

Jack regarda autour de lui comme s’il cherchait à se cacher de regards indiscrets, prenant le temps d'imaginer un sujet de conversation. La femme sembla s'impatienter mais ne dit rien. Le silence s’installa. Au bout d'un moment, Jack se lança :

— Bonjour, belle demoiselle, je viens de la part de Sir Eulid.

Les yeux de la jeune femme s'illuminèrent, et son ton froid et empressant s'estompa soudainement :

— Je suis flattée ! Que me veut votre maître ? dit-elle en rougissant.

Elle tenta de reboutonner son chemisier, comme si elle s'était rendu compte qu'elle portait une tenue légèrement indécente pour une femme de son rang.

Jack s’en voulait de lui mentir ainsi, elle qui espérait certainement percevoir un geste de son bien-aimé.

— Eh bien, mon maître vous...

— Attendez !

Elle le prit par la main et l'emmena dans un coin du patio où d’éventuelles oreilles indiscrètes ne risqueraient pas de s'être égarées. Ainsi, ils apercevraient quiconque approcherait.

— Comme je vous le disais, mon maître vous envoie ses meilleurs vœux et vous fait savoir ceci…

Il se remémorait l’un des rares livres qu’il avait eu le privilège de lire : les Mémoires de Talyon. Il racontait l’histoire de ces héros devenus aujourd'hui l'effigie de la capitale. Jack se racla la gorge comme pour se préparer à quelque exploit vocal. Il cherchait un passage qui aurait pu lui être utile, puis s'exclama :

— J'ai eu une étrange sensation ce matin, une impression de paix. Comme si la vie me berçait, me donnant la force d'accomplir mon devoir, cette force perdue la veille.

Il marqua un temps d’arrêt pour chercher un autre extrait. La suite de celui-ci, narrant un duel à mort, n'allait certainement pas lui servir... La demoiselle écoutait, impatiente, le récit que lui avait soi-disant composé un prétendant imaginaire. Jack poursuivit :

— Cette sensation d'air pur qui vous fait dire que la vie vaut la peine d'être vécue. Moi qui avais tant rêvé d'un moment aussi intense, m'en voilà béni. La beauté étincelante et la stupeur de ces éclats font à présent de moi un homme riche… d'émotions !

Le dernier mot, il le rajouta lui-même. En réalité, ce passage évoquait un héros et sa découverte d’une cachette renfermant un coffre rempli de diamants d'une valeur inestimable. Jack espérait qu'elle ne connaisse pas cette histoire. Il fut rassuré de sa réaction :

— Comme c'est adorable !

Elle poussa un intense soupir et prit les mains de l'adolescent dans les siennes.

— Dites-m'en plus, je vous en supplie !

Jack regarda autour de lui et vit Dame Claire au fond du patio, montrant du doigt l'endroit où ils se tenaient.

Le jeune garçon s'approcha du visage de la jeune femme et lui chuchota à l'oreille :

— Il m'a aussi demandé de vous offrir ceci !

Il se pencha vers la joue de la jeune femme et y déposa un doux et long baiser. Elle se laissa faire.

À cet instant précis, Dame Claire et un homme qui l'accompagnait s'arrêtèrent à leur niveau :

— Que se passe-t-il ici ?

La jeune femme se raidit.

— Père ? Que faites-vous ici ?

— Ce serait plutôt à moi de vous poser cette question, ma chère fille ! Et surtout dans cette tenue !

Il toisa Jack du regard.

— Et qui est cet homme ?

— Oh ! C'est...

— Je vois très bien ce que c'est. Un rat d'égout, un vulgaire vagabond !

— Mais enfin, père, laissez-moi vous…

— C'est terminé ! Dire que je vous avais donné ma confiance pour vous trouver un fiancé ! Et vous...

— Mais… père !

— Vous me répugnez !

Dame Claire jubilait en voyant sa sœur en larmes. À ce moment, Jack aurait voulu disparaître tant il se sentait mal. Il avait été manipulé pour servir les desseins d'une femme sans scrupules... Et le pire, c'est qu'il aurait pu l'éviter.

L’homme s'écria :

— Gardes ! Gardes !

Des hommes armés accoururent.

— Veuillez emmener cet enfant au cachot ! Il a déshonoré ma fille ! Je ne le lui pardonnerai jamais !

— Eh ! Non ! Je...

— Cessez ! Vos paroles ne valent rien, sale avorton !

Les gardes l'agrippèrent. Dame Claire s’approcha de lui et récupéra la bourse contenant les pièces qu’elle lui avait offertes.

— Et ceci ne t'appartient pas ! dit-elle, triomphante.

Jack se débattait vivement.

— Rendez-moi ça ! Non mais, écoutez-moi...

Il sentit un violent coup sur sa nuque. Sa vision se brouilla et il perdit rapidement connaissance.

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