XI - A chaque problème sa solution

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Jack se réveilla, un mal de crâne cognant sur ses tempes. Il mit un certain temps à ouvrir les yeux et à s’habituer à l’obscurité ambiante, pour enfin apercevoir la pièce dans son ensemble.

Il était dans une cellule d'environ dix mètres carrés. De la paille était répandue sur le sol et une lourde porte en bois sertie de nombreux étaux en acier bloquait l'entrée.

Une petite fenêtre qui éclairait partiellement la cellule se trouvait au centre de la porte. Au centre de celle-ci, il vit deux yeux le regarder.

— Ah ben te voilà réveillé, morpion ! J'espère qu'on t'a pas fait trop mal.

Le garde ricana et referma la petite fenêtre. L’obscurité s’installa dans la cellule et Jack entendit son geôlier discuter, probablement avec l’un de ses collègues.

« Et merde, j'étais sûr que ça allait se terminer comme ça en plus ! », grommela Jack.

Il était énervé contre cette jeune femme, mais plus encore contre lui-même pour s'être laissé embarquer aussi facilement dans cette histoire. De plus, chacun de ses camarades étant concentré sur ses tâches, ils ne risquaient pas de se rendre compte de son absence avant deux ou trois jours... Et d’ici là, il serait certainement trop tard.

Non, il fallait à présent qu'il s'en sorte seul. Il ne devrait pas tout le temps compter sur les autres !

Il réfléchit : il savait bien se cacher... Pas très utile quand on est en prison. Une idée lui traversa tout de même l’esprit : il regarda tout autour de lui mais ne vit rien pour lui permettre de disparaître à la vue de ses geôliers. Il s'allongea à terre de désespoir et resta ainsi un moment à ruminer tout en fixant le plafond.

Soudain, il se releva d’un bond.

« Mais bien sûr ! »

Le plafond était fait de briques agencées n'importe comment, assez disjointes, laissant apparaître de grosses fissures auxquelles il pourrait s'accrocher. Avec un peu de chance, il pourrait se cacher et sauter sur ses geôliers une fois qu'ils ouvriraient la porte pour vérifier ce qui n’allait pas... Son plan ne pouvait pas se dérouler autrement.

C’est avec fierté qu’il attendit quelques heures, jusqu'à ce que des pas résonnent dans le couloir. Il grimpa prestement sur le mur et s'accrocha comme il le put au plafond, en enfonçant ses doigts dans les interstices. Là, il trouva de bonnes fissures lui permettant de glisser ses mains et de s’y agripper. Il savait qu’il ne pourrait pas tenir indéfiniment dans cette position inconfortable, même en se plaquant contre le plafond… Il attendit avec impatience l’arrivée du garde.

Les pas s'arrêtèrent devant sa porte, des mots furent échangés et il entendit le bruit de la petite fenêtre qui s'ouvrait.

— Eh ! Moustique !

Il y eut un silence, puis le geôlier cracha de nouveau :

— Eh, moustique ! Fais pas semblant, montre-toi !

Sa voix devint plus pressante et moins assurée :

— Merde... Où est-ce qu'il est passé, ce...

Une clé tourna dans la serrure. Le lourd panneau en bois grinça et s'ouvrit. Le geôlier avança un pied dans la cellule, l'épée à la main.

— Que se passe-t-il ? demanda quelqu’un derrière le geôlier.

Mais celui-ci ne répondit rien. Il plissa les yeux comme pour transpercer la pénombre, mais ne vit aucune forme bouger.

Il recula légèrement, prit une lanterne posée à ses pieds et s’avança. Les flammes dansantes projetaient leur faible lumière à l’intérieur, mais le geôlier ne vit rien de plus.

C'était le bon moment pour Jack. Il s'apprêtait à se jeter sur son opposant lorsqu’il sentit la fissure du plafond retenir ses doigts : sa main était coincée. Il tenta de se libérer, mais en vain. Et, comble de malchance, il risquait une chute mortelle sur l'épée de son ennemi s’il forçait sa descente. Le garde ressortit de la cellule, referma et grogna à son collègue :

— Le prisonnier s’est échappé !

— Comment ça, échappé ?

Un nouveau bruit de serrure indiqua à Jack que le garde avait refermé la cellule à clé. Énervé, il tira sèchement sur sa main qui se détacha d'un seul coup. Il tomba violemment à terre. Sa vue se troubla sous le choc, il dut reprendre son souffle.

« Aux armes, un prisonnier s'est échappé ! », entendit-il crier.

— Arrête de gueuler et rouvre-moi cette foutue porte ! aboya l’autre.

— Mais je t’assure que…

— File-moi ces clés !

C'est alors qu'il entendit à nouveau le cliquetis. La porte s'ouvrit et l’autre garde regarda dans la cellule. Il vit le jeune garçon allongé à terre.

— Imbécile, il est là ton prisonnier ! s'écria-t-il.

— Que... Comment ?

Celui qui gardait la cellule entra et le vit allongé à terre.

— Mais je te jure que...

— Sonner l’alerte pour ça ! Tu as bu ou quoi ?

Il regarda l’enfant, puis revint sur le geôlier.

— Pour la peine, tu seras consigné pendant une semaine.

— Mais enfin, Capitaine !

— Et c'est effectif dès maintenant ! Allez, fiche-moi le camp.

La porte se referma lourdement.

Jack resta là, affalé sur la paille, se maudissant de son échec. Le choc de la chute lui avait laissé une douleur lancinante à la tête. Il passa la main sur son front et sentit un liquide pâteux et chaud imprégner ses doigts. Et voilà, qu'en plus, il saignait... A moitié assommé, sa vue se mit soudainement à se voiler. Il tomba doucement dans un sommeil involontaire.

Quelques heures plus tard, il se réveilla allongé non plus à terre, mais sur sa paillasse. Sa tête le lançait mais il réussit à s’asseoir lentement. Il porta ses mains à son front et sentit le contact d’un bandage entourant son crâne. Il s'étonna que l'on eût ainsi pris soin de lui. Il se rallongea et ferma les yeux pour tenter de se reposer malgré son mal de tête insoutenable. Après quelque temps, le mal s’amenuisa et il put enfin rejoindre le pays des songes, de son plein gré cette fois.

Un bruit assourdissant le tira de son sommeil. Il regarda autour de lui. Comme aucune lumière extérieure ne filtrait, il se demanda si le manteau de la nuit avait recouvert la ville. Il aurait été incapable de dire depuis combien de temps il était retenu prisonnier.

À nouveau, le bruit résonna dans sa cellule. Il regarda vers la porte et vit la petite fenêtre entrouverte.

— C'est pas trop tôt !

On referma la fenêtre et on déverrouilla la porte. Un nouveau geôlier apparut. Il tenait avec lui une grosse masse, très certainement l'objet du raffut.

Il posa son arme, entra dans la petite pièce et prit le jeune garçon par le bras. Il le leva de sa couchette, lui plaqua les deux bras derrière le dos et les lui ligota sans autre forme de procès. Il agrippa enfin le bout de la corde et le traîna vers l’entrée comme un vulgaire animal.

— Il est prêt, on peut y aller !

Il sortit de la cellule, traînant Jack derrière lui. En face attendaient quatre gardes armés jusqu'aux dents. Arrivés à leur hauteur, ces derniers les encerclèrent. Ils se mirent en marche et sortirent des geôles, scrutant les alentours avant chaque carrefour, comme pour éviter un éventuel guet-apens.

Au bout d'un moment, Jack sentit un sentiment d'amour intense l'envahir. Il regarda autour de lui et s'arrêta un instant, interloqué. Le garde qui le tenait maugréa :

— Avance donc, nous n'avons pas que ça à faire !

Puis il tira sur ses liens, ce qui lui fit perdre l'équilibre. Il s'étala à plat ventre, vociférant contre ses ennemis. À cet instant, le sentiment qui bouillait en lui se transforma en haine, une haine si grande qu'il sentit tout son corps s'embraser. Sauf que ce n'était pas sa haine, ce n'était pas lui qui ressentait toutes ces émotions.

C’est alors qu’il se rappela la fois où il avait réussi à dérober la tablette d'Asmaar. Cela avait commencé exactement comme ça. Et si c'était encore le cas, alors...

Il tourna la tête et regarda les hommes qui l'avaient traîné jusque-là. Aucun ne bougeait, ils semblaient pétrifiés. Il regarda un peu plus loin autour de lui et ne vit aucune forme de vie, comme si le temps s'était arrêté. En levant la tête vers le ciel, il aperçut un oiseau en suspens dans les airs, immobile lui aussi.

Voilà pourquoi il n'avait jamais expliqué à ses amis comment il avait réussi à voler la tablette : personne ne l’aurait cru, et il n’avait aucune explication à donner à ce phénomène. Et c'était en train de se produire à nouveau. Mais il savait que ça n'allait pas durer. C'est d’ailleurs comme ça qu'il s'était fait prendre la première fois.

Il s’empressa de défaire ses liens tout en gardant un œil sur ses ennemis : s’ils se mettaient à bouger de nouveau, il serait en bien mauvaise posture.

Une fois ses entraves défaites, il aperçut sur la ceinture d'un garde ce qu'il cherchait : un poignard et une bourse. Il s'activa afin de récupérer son dû et partit comme une flèche dans une direction choisie au hasard. Il n'avait pas pour habitude de compter sur la chance, mais là, il n'avait pas d'autre choix.

Au détour d'une ruelle, il entendit des voix. Pourtant, tout était toujours immobile, et aucun autre son n'attira son attention. Même le vent, normalement, ne soufflait pas dans ces moments-là... Mais cette fois-ci il sentit une légère brise caresser son visage. Un frisson parcourut son corps lorsque le vent achemina un cri, suivi d'un rire démoniaque suffisamment audible. Les cris laissèrent place à un fracas de métal et à des hurlements si perçants que l’on aurait pu croire qu’une bataille faisait rage à quelques pas de là.

Il grimpa jusqu’à un point surplombant la ville et tenta d'identifier la source du bruit, mais il semblait venir de toutes les directions. Et rien autour de lui ne bougeait. C'est alors que, petit à petit, les sons s'adoucirent pour laisser place au silence, juste avant qu'il ne voie un oiseau passer devant son nez. Le brouhaha omniprésent d'une ville en pleine effervescence avait repris le dessus. Et il avait beau tendre l'oreille, il ne percevait plus le bruit du combat. Ou alors, peut-être que celui-ci s’était noyé dans le flot des sons incessants de Rochenoire.

D'autres cris plus proches et plus assurés montèrent des rues d'où il venait, ce qui eut pour effet de le sortir de ses songes.

« Les gardes... Ils doivent se demander ce qui est arrivé. Je ferais mieux de déguerpir au plus vite ! »

Il scruta les environs à la recherche d'un indice lui permettant de se repérer et de retrouver son chemin. Il aperçut au loin une grande place parsemée de petites tentes. Pourquoi pas, après tout ! C'était l'endroit rêvé pour glaner des informations. Il descendit de son perchoir et s'engagea dans les rues de la ville.

Il n'avait pas fait attention jusque-là à l'architecture de Rochenoire. Les ruelles paraissaient plus sombres que dans n'importe quelle autre ville, mais cela s’expliquait par les matériaux utilisés pour la construction des maisons et des chemins. Une pierre noire, semblable à de la roche volcanique mais moins poreuse, était utilisée comme matériau de base pour les constructions. Ceci donnait un aspect lugubre aux petites ruelles étroites et peu ensoleillées. Mais lorsqu'il déboucha sur une grande artère, le spectacle qui s'offrit à lui le fit changer d'avis : recouverte d'une végétation luxuriante, la Grande Rue avait un aspect tout aussi extravagant que chic. Une petite rivière la traversait, permettant ainsi au soleil de s’y refléter et de venir se plaquer sur les murs. L'effet faisait penser à des rayons traversant un prisme : des bandes aux multiples couleurs dansaient sur la roche au gré des mouvements de l'eau. La beauté de la scène avait un effet hypnotisant, emplissant l'esprit et le corps d'un sentiment de bien-être. Jack aurait pu rester planté là des heures à contempler ces jeux de lumière, s’il n'avait pas été pressé par le temps.

En écoutant les conversations des passants, il comprit que trois jours s'étaient écoulés depuis son emprisonnement. Ses compagnons devaient certainement se demander ce qui lui était arrivé… Il baissa la tête tout en se maudissant. Ce qu'il craignait par-dessus tout, c’était qu'ils échouent à cause de lui.

Finalement, en y réfléchissant bien, il savait qu'ils réussiraient, avec ou sans lui. Cela le rassurait, mais l'angoisse l’envahit malgré tout. « À quoi je sers, alors... », s’interrogea-t-il.

À peine avait-il relevé la tête qu'une main ferme agrippa sa manche et le tira hors de la foule.

« Les gardes ! », pensa-t-il tout d’abord. Il commença à se débattre, apeuré, mais il fut vite rassuré quand il se retourna et reconnut Franck. Ce dernier l’engueula :

— Eh bien, qu'est-ce que tu as foutu ? Où tu étais, bon sang ?

— Je... j'ai eu quelques soucis !

Franck regarda autour de lui.

— Viens, nous reparlerons de cela plus tard. Pour le moment, nous devons quitter cet endroit !

Ils s’enfuirent en empruntant un chemin escarpé et disparurent dans la pénombre.

Arrivé aux portes d’une vieille maison abandonnée, Franck tourna la poignée. La porte s’ouvrit dans un craquement, puis il pria l’enfant d’entrer. Après avoir regardé autour de lui, Franck la referma en forçant.

Jack avança sur le parquet craquelé et jonché de détritus. De multiples toiles d’araignées parsemaient les coins des murs et les poutres à moitié décomposées. Les volets étaient fermés, mais une bonne partie de la lumière filtrait à travers les trous.

Jack entreprit de faire un peu de ménage, mais Franck l’interrompit :

— Tu fais quoi, là ?

— Je nettoie un peu.

— Ne fais pas ça ! Si quelqu’un fouille cette maison abandonnée et y trouve un semblant de vie, il risque de donner l’alerte. C’est ce que tu veux ?

Jack répondit d’un air dépité :

— Non…

Son compagnon soupira.

— Tu es vraiment…

Il marqua une pause puis reprit :

— Bon, repose-toi. Nous n’avons plus qu’à attendre, maintenant.

Le garçon ne répondit rien, trop mal à l’aise pour parler. Franck posa ses affaires sur une table, fit bien attention à ne pas bouger les chaises, et en choisit une pour s’asseoir. Il invita l’enfant à faire de même.

Cela faisait plusieurs jours que Franck et Jack dormaient dans cette petite bâtisse, sans même apercevoir la lumière du jour. Ils s’alimentaient avec des céréales et des fruits secs que Franck avait ramenés. Quand l’adolescent se risqua finalement à lui demander pourquoi ils devaient attendre et ce qu’étaient devenus leurs compagnons, il répondit évasivement et lui expliqua simplement qu’il leur fallait prendre leur mal en patience. Mais l’attente paraissait interminable, surtout que Franck ne donnait aucune nouvelle à propos de Thor et Serem.

Un jour, n’y tenant plus, le garçon s’avança vers la porte et posa sa main sur la clenche.

—Si j’étais toi, je ne ferais pas ça.

Jack s’arrêta un instant, attendant d’en savoir plus, mais Franck se tut.

Lorsqu’il commença à tourner la poignée, il entendit un objet siffler dans sa direction et venir s’encastrer dans la porte, à quelques centimètres de lui. L’enfant, à moitié hébété et surpris, regarda le poignard planté dans le bois.

Il se retourna alors vers Franck et le regarda d’un air outré.

— Pourquoi as-tu fait ça ? Tu es fou !

— Je t’ai dit d’attendre !

— Tu aurais pu me tuer !

Franck ne répondit pas mais ne quitta pas l'enfant des yeux. Il se leva avec précaution de la chaise, avança à pas de loup et s’approcha de lui. Ce dernier ne broncha pas. Ils se regardèrent fixement, les yeux dans les yeux, puis Franck lança :

— C’est que tu n’es pas digne d’être un voleur, alors.

Il agrippa le manche du poignard, tira d’un coup sec dessus et le rangea furtivement. Il regagna ensuite sa place, calmement.

— Cela aura probablement été la chose la plus stupide et incompréhensible qu’ils aient faite, ajouta Franck.

Le garçon, décontenancé, interrogea son interlocuteur du regard.

— Non mais regarde-toi ! Tu n’es qu’un enfant insignifiant parmi tant d’autres. En quoi les intéresserais-tu ?

— Je… ne comprends pas !

Franck leva les bras, exaspéré :

— C’est bien ça dont je parle, tu ne comprends rien et tu ne sers à rien !

— La seule chose qui m’intrigue, c’est comment tu as pu voler cette foutue tablette à notre seigneur.

— Notre… seigneur ?

L’assassin baissa la tête.

— Ah oui, j’oubliais. Tu n’as rien d’un voleur, mais en plus tu es incroyablement bête. Il soupira :

— Dans ce cas, tu…

Il leva la tête et vit l’enfant à deux pas de lui, la dague à la main. Il se releva d’un coup sec et pivota, ce qui fit trébucher Jack derrière lui. Au passage, il subtilisa son poignard.

— Contre un paysan, ça aurait pu marcher. Mais tenter cette attaque contre moi était une grave erreur, mon garçon.

Il fit tourner le poignard de l’enfant dans sa main.

— Désolé, mais tu vas mourir…

C’est alors que le mur à côté d’eux explosa dans un bruit fracassant, faisant voler de multiples briques au travers de la pièce. Au même moment, une silhouette entra furtivement dans la pièce et vint se poster entre l’enfant et Franck.

— Ce qu’on dit est vrai, alors. Tu as une force redoutable, Serem.

Ce dernier avait les yeux rivés sur Franck, une main en arrière en guise de protection envers l’enfant.

— Tout va bien, mon petit ? demanda-t-il.

Jack prit quelques secondes pour se remettre de ses émotions.

— Je crois… oui.

Il se releva.

— Mais que se passe-t-il, ici ? Pourquoi Franck…, demanda Jack.

— Tu n’as qu’à le lui demander, répondit Serem.

Franck sourit :

— Les choses deviennent enfin intéressantes. Simple curiosité : comment as-tu résisté à mon poison Serem ?

— Ce n’est pas un malheureux poison qui va mettre un homme de main de ma trempe à terre. Tu me sous-estimes, scélérat !

— Dans ce cas, je suppose que Thor n’a pas survécu ?

Il regarda autour de lui.

— Quel dommage ! J’aurais bien voulu me mesurer à lui.

L’enfant écarquilla les yeux, effrayé.

Au même moment, la lame d’une dague vint se poser sur le cou de Franck, le prenant au dépourvu.

— Merde…

— Comme tu dis, rétorqua Thor, juste avant de lui trancher la gorge.

Serem cracha sur la dépouille de leur ex-compagnon et se mit à grogner :

— Voilà ce qu’il en coûte de sous-estimer l’Œil Rouge !

Thor regarda l’enfant tout en essuyant le couteau sur son manteau.

— Tout va bien, Jack ?

Il rangea la lame sous sa veste.

— Oui, merci, grâce à vous ! Mais Franck… pourquoi ?

— Il devait être un espion d’Arathor. Il nous a bien dupés !

Serem grogna fièrement :

— Pas moi ! Je vous l’avais bien dit qu’il n’était pas net, et ce dès le début !

— Je sais, Serem, tu n’as pas arrêté de me le rappeler tout du long…

— Ah ! Si seulement vous daigniez m’écouter plus souvent, ça ne se serait jamais produit, sans compter que…

Thor laissa son compagnon grommeler dans son coin et s’approcha de l’enfant. Il l’examina de long en large, puis poussa un soupir de soulagement.

— Bon, ça va, tu n’as rien. Il n’a pas eu le temps alors…

— De quoi ? demanda Jack.

— Nous pensions qu’il voulait s’en prendre à toi pour te soutirer des informations, et peut-être même t’inoculer l’un de ses poisons. Mais je vois qu’il n’en a rien fait.

— Nous sommes restés plusieurs jours ici à attendre, je ne sais pas quoi d’ailleurs ! répondit Jack.

— Mmm…, marmonna Thor en réfléchissant. Il devait attendre quelque chose, des ordres probablement…

— Ou quelqu’un ! s’exclama Serem.

— Effectivement, Arathor est connu pour utiliser des bourreaux… Tu as eu de la chance que nous t’ayons trouvé à temps !

— Mais que me veulent-ils ?

— Probablement la tablette, ou plutôt la façon dont tu l’as récupérée.

— Mais je vous ai dit que...

Thor l’interrompit d’un geste de la main.

— Oui, oui, nous le savons. Mais ils doivent être persuadés que tu caches quelque chose. La manière dont tu t’y es pris… nous a tous laissés pantois. Et ils comptent bien découvrir comment tu as fait.

— Ne restons pas ici, déclara Serem. S’il attendait quelqu’un, nous ne sommes pas à l’abri dans cet endroit.

— Sans compter le bazar que tu as fait…, soupira Thor.

— Bah, ça a marché ! C’est bien plus efficace que les vieux coups en douce de ce traître. Ça au moins, c’est du plan !

Thor sortit par le mur explosé que son compagnon avait gentiment ouvert, suivi de Jack. Dehors, la foule avait commencé à s’attrouper, intriguée par ce qui venait de se passer.

— Partons vite, les ennuis ne vont pas tarder !

Au même moment, des hommes en uniforme s’approchèrent et virent le jeune garçon.

— C’est lui, le voilà !

— Ne le laissez pas s’échapper cette fois !

Thor sauta dans la rue et partit à vive allure dans une ruelle se trouvant à l’opposé des gardes, suivi de près par ses compagnons.

C’est lui ? Il va falloir que tu nous expliques ce que tu as fait en notre absence, mon garçon…

Jack ne répondit pas, trop occupé à garder son souffle pour échapper aux soldats.

Ils bousculaient la foule sur leur passage, tantôt ralentis par des passants, tantôt ralentissant les gardes en faisant trébucher des citoyens. Ils tentèrent de fuir à travers des ruelles, mais un mur en face d’eux les arrêta net. Ils venaient de s’engouffrer dans une impasse.

— Bordel ! Personne d’entre nous ne connaît cet endroit ? C’était à qui de mémoriser ces ruelles ? s’énerva Serem.

— Franck, répondit calmement Thor.

Serem grommela. Ils voulurent rebrousser chemin, mais les gardes étaient arrivés et s’arrêtèrent au bout de la ruelle.

— Vous, là ! Rendez-vous !

— Jamais ! s’écria Serem.

Les gardes se mirent en formation autant qu’ils pouvaient le faire dans ce chemin étroit. L’un d’eux, probablement leur chef, sortit des rangs et cria :

— Donnez-nous l’enfant et il ne vous sera fait aucun mal !

Thor regarda Jack.

— Mon petit, tu vas à présent voir ce dont est capable un homme de main digne de ce nom.

Serem s’était placé entre les gardes et ses compagnons. Immobile, il fixait ses ennemis comme des proies.

— Collez-moi du mieux que vous pouvez, ça va faire mal ! s’exclama-t-il, le sourire aux lèvres.

Tel un taureau avant de charger, il frotta ses pieds à terre comme pour trouver ses appuis. Il tapa du poing dans la paume de sa main et fit craquer ses jointures. Il fit de même avec l’autre main, juste avant de laisser éclater un rire grave qui résonna dans ce passage étroit.

À l’autre bout, les soldats intrigués lâchèrent :

— Ne tentez rien qui pourrait être fâcheux ! Vous risquez de le regretter et de mourir bêtement !

Ils avaient dégainé leurs armes et les pointaient en direction des trois compagnons.

Serem fit des exercices de respiration : tantôt il inspirait et expirait doucement, tantôt il le faisait par à-coups rapides.

Les soldats avançaient prudemment, les armes pointées dans leur direction. C’est alors que Serem s’arrêta soudainement. Il bloqua sa respiration, poussa avec force sur ses jambes et fonça en trombe sur ses assaillants, devenus à présent ses proies.

— Vite, ne le lâche pas ! cria Thor, qui s’était lancé à la poursuite de son compagnon.

Ils suivirent tous deux Serem de près. Lorsque la rencontre entre les deux groupes eut lieu, la lame pointée en direction de Serem sembla se tordre lorsqu’elle rencontra son torse, propulsant en arrière avec une force inouïe l’homme qui la tenait. Telle une boule de métal écrasant des quilles en carton, les ennemis étaient projetés un à un face à la puissance de la brute. Les armes n’arrivaient pas à l’atteindre et semblaient glisser sur son corps, comme s’il était devenu invincible.

Toujours sur ses talons, Jack assistait à la scène, bouche bée. Il lui était inconcevable qu’une personne de cette force puisse exister, et il ne comprenait pas comment les armes pouvaient être aussi inefficaces. Un sentiment d’exaltation monta en lui, comme lorsqu’il s’était mis à voler la toute première fois.

Plus il les suivait et plus il se rendait compte qu’avec eux, tout était possible. Et une impression jusque-là inconnue grandissait en lui. L’impression de pouvoir accomplir de grandes choses, de pouvoir offrir aux gens une part de rêve… une part d’espoir.

La scène lui sembla durer bien plus longtemps qu’en réalité. Lorsque Serem termina sa percée, il ralentit, pour enfin achever sa course en petites foulées.

Avant même que le jeune garçon n’ait eu le temps de tourner la tête pour voir le résultat, Thor lui dit d’une voix grave :

— Ne regarde pas en arrière, mon garçon.

Jack suivit les ordres sans rechigner, bien qu’intrigué par les paroles de son compagnon. Il ne se retourna pas mais tendit tout de même l’oreille. Il ne perçut alors qu’un silence morne et froid, comme après une bataille sanglante.

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