Karezial

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Les dunes nous avaient abandonnés depuis longtemps. Tant mieux, ai-je pensé, car elles nous rendaient la marche difficile, moi y compris : un Kwashil doit se reposer les ailes, et les nuages sont moins confortables qu’il n’y paraît d’en bas. En outre, mes compagnons de voyage ne pouvaient pas m’y suivre.

Les crevasses elles-mêmes, abyssales pourtant, avaient l’air inoffensives, quoique les précautions des Yu pour les éviter ont même incité Cokra à respecter leurs inquiétudes. Tout ce qui tue les Yu ne tue pas les Dai, mais la nature se soucie rarement de l’espèce à laquelle nous appartenons. Les Mædn elles-mêmes rechignaient à s’approcher et confirmaient la vigilance des Yu par l’intermédiaire de Toca.

De là où nous nous tenions, les gouffres ne semblaient pourtant qu’un trou béant et passif dans la terre. Seul un fou s’y laisserait prendre au piège, et mourrait plus vite d’une nuque brisée que d’asphyxie. Le désert des Yu passait néanmoins pour un jardin luxuriant face à leur aspect lugubre et pesant, renforcé par l’absence totale de vie en leur sein – hormis les dépouilles de quelques créatures infortunées.

— Cet endroit me file toujours la frousse, nous a avoué Shidjaovesh.

— À moi aussi. J’ai vu des abîmes qui crachaient du feu liquide et de la fumée lourde, mais ça, a dit Lugvai en pointant la crevasse inerte, ça, ça a quelque chose de pas naturel, de pas…

— Comme si c’était le contraire de la vie, l’a interrompu Hanveshdep.

— Même les démons des dunes en ont peur, a ajouté Shmi qui frissonnait comme une victime du malla.

— Coupe pas la parole aux hommes, l’a semoncée Hanveshdep.

Shmi a attendu qu’il tourne le dos pour lui tirer la langue.

— Ce sont les Naormid, les âmes de ceux qui n’ont pas été pleurés, a continué Lugvai comme si de rien n’était. Les gouffres profonds les attirent et leur amertume les rend toxiques.

— Pourri pour eux, a fait Cokra d’un ton égal.

— Nos âmes à nous renaissent juste, je crois.

Toca m’a regardé d’un air indéchiffrable, que je savais toutefois refléter son envie.

— La chance… a soufflé celui qui aurait aimé être un autre, ou même quelqu’un tout court.

Je l’ai couvert d’une aile protectrice. Le petit Yu me devenait cher ; sa peine me blessait.

— Tu seras pleuré, lui ai-je promis.

Le doute enveloppait son âme morose, mais un rayon d’espoir en a timidement percé les brumes.

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