Karezial

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Cokra faisait un rêve calme, qui la changeait des intrigues tumultueuses habituelles. Elle était enfant, quand les morts ne l’étaient pas encore. Des battements de cœurs précipités et des bruits de pas étouffés menaçaient de la tirer de ce songe. Elle a lutté pour rester assoupie, car qui sait quand elle reverrait ces visages ?
Les pas se rapprochaient ; l’instinct a arraché la Tick au sommeil malgré ses protestations muettes.

Le Yu a sursauté quand elle a ouvert les yeux, lâchant presque son couteau de pierre. Elle l’a empoigné de nouveau par la gorge.

— T’essaies surprends Damo, petit Yuma ? Tu faut ralentis ton cœur, car même morts entendent.

Le Yu luttait pour répondre ou respirer, mais elle a serré les griffes. Le corps a convulsé. Elle l’a jeté à terre et léché le sang qui dévalait son bras, détaché son tibia et commencé de manger. Elle se trouvait encore trop aimable de ne pas l’abandonner dans le sable, mais la viande manquait, par ici.

Un vacarme outré a retenti. Cokra s’est aussitôt mise sur la défensive, lasse et excédée. Mais les Yu ne couraient pas dans sa direction. Du peu qu’elle savait d’eux, ils évitaient d’approcher les Dai en plein repas. Comme une seule entité, la tribu s’attroupait derrière une dune que rien ne démarquait a priori.

Des cris et protestations horrifiés ont tonné. Elle a tendu l’oreille quand elle a reconnu ma voix, abandonné la carcasse à peine entamée et nous a rejoints.

Deux figures en tiraient une tierce de derrière le monticule : un autre Yu. Une foule s’est assemblée, et ma silhouette a émergé à son tour. J’essayais de percer l’attroupement, criant une peur qui ne m’appartenait qu’en partie. Je n’ai atteint Shidjaovesh qu’après sa mise à mort.

La Tick est arrivée à ma hauteur, à contre-courant du flot de Yu qui s’en retournait déjà.

— C’est quoi cette merde ?! Pourquoi ils font ça à leur propre clan ?!

J’ai pris mon temps pour répondre.

— Ma faute… ai-je enfin avoué. Je ne savais pas…

— Mais y’a quoi à savoir ? Ça a aucun prakcah de sens !

Ma forme prostrée la confondait. Le petit Kwashil doit apprendre à filtrer. C’est pas bon de tout absorber sans discrimination.

— C’est pas grave, Kaz. C’est pas ta douleur.

— Mais ça l’est, ai-je dit sans bouger.

Elle a haussé les épaules. Les Yu enragés continuaient de s’agiter, pris d’une folie collective. Ils coursaient quelques-uns de leurs membres, comme choisis au hasard, qu’ils ont attachés et exécutés.

La Tick a soupiré. Les farrꜵcn trahissaient leur propre sang. Elle a considéré Shidjaovesh, qu’elle avait trouvé somme toute sympathique – pour un Yu –, et retenu un cri de surprise : on l’avait châtré. Elle ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre une telle cruauté envers ses semblables.

— Mais… Ils sont de la même tribu…

Le vent aussi s’était tu.

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