Un Vent malsain

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Caei,

Notre petite famille semble à son crépuscule, mais peut-être pouvons-nous éviter sa fin. Je pense qu’il est temps de te présenter quelqu’un, un jour prochain.

Fraternellement,
Nyemëlls

« Pas d’autres grands-parents, j’espère », as-tu écrit en te léchant les doigts : les Kwashil savent vraiment cuisiner leurs épices.

Hek, une Frreshie, a interrompu ton repas en s’asseyant à tes côtés, ignorant Royan et Niashæl, perpétuellement collés l’un à l’autre.

— Ils sont comment vos Yu ? Parce qu’ils sont déjà tous crevés, les nôtres.

Tu as essayé de répondre, mais tes mots se perdait dans les morceaux de fèngsai à demi mâchés. Un second Frreshie a parlé pour toi :

— Ça craint, les Yu. Les Ælvn, ça tient quand même mieux le coup.

Un petit groupe se pressait autour du brasier où cuisait le ravitaillement des armées de la Plaine.

— Pourquoi on va pas en chercher ? a proposé le Boꜵr Yuda.

— Si t’en croises dans la forêt, fais-toi plaisir.
— C’est pas tous les jours qu’ils nous envoient des têtes brûlées.
— Y’en a même moins qu’avant, vous trouvez pas ?

— Je voulais dire à la Cité, a précisé Yuda. C’est pas comme s’ils pouvaient nous en empêcher.

Tu t’es étouffée. Niashæl a lancé un regard malveillant à Yuda puis croisé le tien, guettant ta réaction. Tu as fini de mastiquer.

— C’est une idée de merde.

Yuda était plus interloqué que piqué.

— Pourquoi ? a demandé la Tick nommée Okrash. Riao a quand même pas peur des Ælvn ?

— Vous savez que c’est faux, as-tu dit sans prendre la peine de lever les yeux de ton plat.

— Prouve-le alors, farrꜵc.

L’injure a fait tressauter Royan. Il faut des pulsions suicidaires pour insulter une Naræs, à plus forte raison une koxji.

En un soupir, tu as planté ton bol sur le crâne de l’impudente avant de lui rouler la tête au sol et de la bloquer du coude. La sauce pimentée, teintée d’humiliation peut-être, lui a tiré des larmes.

— J’ai rien à prouver. Me mêlez pas à vos conneries, c’est tout.

Tu as relâché Okrash dont les yeux rougis évitaient d’en croiser d’autres.

— Tu te prends pour la Naræs de tout Chal ou quoi ? Tick fait ce qu’il veut.

— Ouais, tant que Boꜵr en a eu l’idée d’abord, a ricané le Rokian Visshan.

Un coup de poing a échappé à Okrash, plus piquée par la sauce que par vos mots, que le Rokian a esquivé de justesse. Visshan s’est mis en posture de combat.

— Vous voulez pas plutôt garder votre énergie pour la bataille ? est intervenue Niashæl en pointant la Plaine du pouce. C’est bientôt à vous, et vous vous agitez pour rien.

Visshan a montré les dents ; Okrash a grimacé.

— Vous êtes dans la même armée en plus, bande de débiles, a rappelé Hek.

Les visages agressifs de Visshan et d’Okrash se sont simultanément tournés vers elle.

— Tu fermes ta grande gueule, Hek, a craché Visshan qui s’éloignait à reculons pour tenir la Frreshie à l’œil.

— C’est la meilleure répartie que t’aies trouvée ? a remarqué Royan, déçu.

— Pareil pour toi, lui a dit Visshan en lui posant un doigt sur le nez.

Royan a louché puis éternué sur la main de Visshan, qui s’est essuyé sur la tignasse du jeune Rokian.

— Berk, t’étais pas obligé…

— Ça t’appartient, je te le rends.

Visshan souriait sous ses vestiges de colère.

— Bon, on se casse, a décidé Okrash en tirant Visshan par le col.

Niashæl a pris ses distances avec Royan, avec ses cheveux en particulier. Elle attendait que le cercle de Dai se retire pour te parler.

— Tu penses pouvoir les retenir éternellement ?

Tu as levé les yeux vers la sang-mêlé. Royan la tenait dans ses bras. Au moins deux que le sang n’éloignait pas.

— Faut leur trouver un ennemi ou une diversion, et vite.

Elle a poussé un soupir triste.

— C’est de ta faute, aussi. Dès le départ, tu leur as dit que l’alliance servirait à attaquer la Cité.

— J’ai dit ça ? C’était une feinte.

Même Royan semblait désapprouver. Niashæl cherchait ses mots.

— Ils ont toujours détesté la Cité… Tu ne peux pas la désigner comme cible et espérer que les Dai l’oublient.

Tu as haussé les épaules. Tes certitudes s’effritaient.

— Je voulais juste voir l’Entente…

— Ils s’entendaient déjà assez bien comme ça, si tu veux mon avis.

— T’as loupé la partie avec les guerres ou celle avec les esclaves ? a demandé Royan.

— Nash… Y’a des clans qui ont disparu pour de bon. Et les Yudællan se sont pas réfugiés dans la Cité par plaisir.

— Le seul vrai problème, ce sont les bannis, a-t-elle insisté. Pour ce qui est du reste… un meikæs ne peut pas changer de robe.

Tu as secoué la tête.

— C’est tellement… Je veux dire, je comprends que tu penses aux exilés en priorité, mais c’est tellement minime en comparaison. Ils inquiètent que les autres bannis et ceux qui passent l’essentiel de leur temps dans la forêt.

— T’as pas vraiment connu les guerres, a ajouté Royan. Là, les clans se sont pas tapés dessus depuis des cycles ! Même les Kwashil se considèrent à nouveau comme des Dai, c’est énorme !

— Si t’appelles ça ne pas se battre… a-t-elle répondu en essuyant des traces de sauce projetées pendant la rixe.

— Nash marque un point. Y’aura pas de « nous » sans « eux ».
— « Tout ce qu’est le Dai, il l’est par opposition », a cité Royan.

Tu as acquiescé.

— Il nous faut un adversaire rapidement, sinon ce sera la Cité.

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