En approche

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Nyemëlls frottait la pointe de ses longues oreilles, nerveux. Sa voix avait perdu de sa portée à la table du conseil. Un cycle auparavant, Niashæl avait offert, de ta part d’après ses dires, une cessation des hostilités entre les clans et la Cité.

— Les seuls hostiles sont les Dhaemon, avaient protesté les Llëmnoa.

Ils n’avaient pas entièrement tort.

Les Ælvn avaient refusé de pactiser avec les Dai. Niashæl s’en était donc retournée de l’autre côté de la Rivière pour y rapporter l’absence de nouvelles. Mais le refrain des clans avait changé depuis : seuls des avertissements en provenaient désormais.

Nyemëlls s’était rendu en terres dai à plusieurs reprises, pour servir de liaison comme pour se rapprocher de toi. Heureux des progrès réalisés, il ne montrait plus de réticence à te compter dans sa fratrie. Tu n’en avais pas dit autant de lui, mais il commençait à te connaître assez pour se douter d’une certaine réciprocité.

Une Ælv nommée Lilia l’avait accompagné lors de son précédent séjour. Il vous avait présentées de manière formelle. Trop formelle.

— Une Llëmnoa que t’essaies d’impressionner ?

Il avait pris une profonde inspiration avant de saisir la main de votre invitée.

— J’ose espérer avoir déjà fait bonne impression, avait-il dit en lui offrant un regard adorateur.

— Si c’est pour la bénédiction du Naræs, y’a pas besoin en vrai. C’est juste Royan qui raconte des craques.

— Non, non, non. Je voulais présenter ma famille à ma famille.

Il avait tendu la main vers toi au premier « famille » et vers sa compagne au second.

— Une cousine ? T’as pas peur de répéter le fiasco des grands-parents ?

Il avait plissé les yeux.

— Te moquerais-tu de moi, Caei lya Carunae aël Shayen ?

— Oui. Lilia, c’est ça ? Voilà la vraie gueule d’un clan.

Tu avais tendu le bras vers Riao.

— C’est d’ici que vient la meilleure partie de Nëm, celle qui sent le plus fort.

Lilia avait souri, et même pouffé, ce qui t’avait décontenancée. Les parents de ton père, la chair de ta chair, n’avaient pas souri en ta présence. Cette Ælv-ci, pourtant, cette Ælv au sang pur qui tenait la main de ton frère retrouvé, elle avait souri, à l’aise et joyeuse en présence de Dai, dans un clan ; loin des siens et de la Cité. Nyemëlls avait peut-être trouvé là quelqu’un qui l’accepterait tout entier, lui et son étrange famille.

— Elle est pas comme toi, avais-tu fait remarquer à Nyemëlls par la suite, tandis que Lilia jouait avec des enfants qui lui demandaient si elle avait déjà été esclave.

— Tu sais bien que j’ai du mal à lire entre tes lignes. Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Elle est moins casse-pieds.

Nyemëlls avait esquissé un sourire : c’était bien là un compliment dai.

— Te blesse pas, petit frère.

— Elle ne me ferait jamais de mal.

Tu avais souri à ton tour, découvrant tes crocs.

— Elle a intérêt.

— Ah, tu veux jouer les mères tigres ?

Tu avais baissé les yeux. Nyemëlls aussi, lorsqu’il avait réalisé le sens que tu avais donné à ses mots. Il avait approché une main de ton épaule sans la toucher :

— Il y aura d’autres mères tigres et d’autres enfants tigres. Cette famille n’est pas encore morte.

— Bien sûr, je suis pas facile à buter.

Tu avais pris une longue inspiration.

— Parle-moi du paternel.

Nyemëlls avait souri sans chercher à retenir ses larmes. Enfin.

Le Llëmnoa est sorti de ses pensées, réalisant qu’il triturait toujours son oreille. Il s’est forcé à la laisser en paix et a poliment réclamé son tour de parole, que le conseil lui a accordé. Il s’est levé pour se donner une contenance qu’il ne ressentait pas.

— De terribles bruits nous proviennent des clans…

— Ont-ils jamais émis d’autres types de bruits ? a coupé Sooyolane, reçue par des murmures d’approbation.

L’interruption a désarçonné Nyemëlls pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles se rapportait aux flatulences et le laissait songer qu’il passait trop de temps auprès des Dai. Une autre concernait le manque d’estime que Sooyolane lui accordait désormais. La moue triste, il s’est éclairci la gorge avant de continuer :

— La gravité de la situation me semble requérir une gestion délicate. Les clans se sont unis, leur soif de violence risque de les tourner vers la Cité.

Un court silence s’est installé, seulement parce que le protocole exigeait de s’assurer que son interlocuteur ait terminé de parler. La règle ne s’appliquait évidemment pas à Chal. Laavel a pris l’initiative.

— Les Dhaemon sont incapables de s’unir. Vous avez entendu des fables, ëlla-Nyemëlls.

— Les clans ont cessé de s’entre-tuer, je vous le promets. Ëlla-Caei elle-même m’a transmis cette nouvelle.

— Vous faites confiance à la traîtresse ?

Les traits de Sooyolane se sont durcis. Nyemëlls a regretté l’absence de Lyoonëi, qui l’aurait peut-être cru voire épaulé.

— Je l’ai vu.

— Vous avez vu ce qu’ils ont bien voulu vous montrer.

— Admettons que les Dhaemon aient réellement cessé leurs guerres infantiles, ce qui requiert déjà une dose létale d’optimisme, a remarqué Suəwaj avec un sourire condescendant, mais qu’ils se soient tous alliés ? Jamais.

— Vos informations sont indubitablement erronées.

— Oserais-je dire volontairement ?

— Quelle idée de se fier aux mots de sauvages.

— De toute manière, ils ne peuvent rien face à la Cité.

— Ses murs ne sont jamais tombés et s’élancent fièrement depuis des éons, a acquiescé Ath’thai. La seule entrée passe par un barrage de flèches et de fyëw, des colonnes de gardes et une porte solidement fermée.

Nyemëlls a hésité à émettre un contre-argument. Sa main s’est dirigé instinctivement vers son oreille ; il l’a posée fermement sur la table lorsqu’il s’en est rendu compte.

— Ce ne serait pas la première fois que des Dhaemon trouvent le moyen d’accéder à l’enceinte de la Cité.

— Sauf votre respect, ëlla-Nyemëlls, il est plus difficile de remarquer un individu qu’un groupe, sans parler de votre union fantasmatique. Je pense que si l’ensemble des clans décidaient de marcher sur la Cité, nous n’aurions aucun mal à nous en apercevoir.

Les ricanements ont couvert le soupir de Nyemëlls. Sooyolane a imposé le sérieux par respect pour son ami, mais s’est rangée du côté des Llëmnoa. La Cité était sûre ; elle l’avait toujours été.

— Quoi qu’il en soit, nous avons des sujets plus pressants à discuter.

Nyemëlls a baissé la tête pour masquer non sa colère, mais sa peine.

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