Karezial

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Cokra finissait de nettoyer le sang du Yu assez insensé pour m’insulter. La Yu qui avait reçu le crâne décapité sur ses genoux avait sursauté.

Haölillyo avait détourné les yeux. Écœuré, il peinait pourtant à plaindre la tribu. Si leur mort n’était pas justifiée à son avis, il nous en a peu tenu rigueur. Son départ ne nous aurait pas surpris, mais il continuait de tirer le troupeau de Mædn vers le couchant que je suivais depuis Riao.

— Qu’est-ce qu’il t’est passé dans le crâne ? m’a demandé Cokra. Une lance ? Qu’est-ce qu’un Yu petit, faible et malingre pouvait bien faire pour toi ?

Il fut un temps où l’on parlait de moi en ces mêmes termes, ai-je pensé sans le dire.

— Il était curieux, chaleureux, généreux et intéressant.

— Pff.

Elle a roulé des yeux emplis de dégoût.

Haölillyo gardait ses distances, comme s’il craignait que je ne le souille, lui qui venait de passer des pirishoan en compagnie d’un enfant yu, petit, faible et malingre lui aussi.

Toca m’a supplié du regard, ignorant de ce qui nous divisait, croyant peut-être que nous nous querellions. Comment aurait-il pu concevoir que chaque moment de paix auprès de lui et des siens nous salissait l’honneur et la pudeur ? Que seules nos morts soulageraient nos peuples respectifs de nos affections honteuses ?

Il a soupiré penaudement et caressé les Mædn en quête de réconfort, leur dansant de courtes conversations. Un instant, un seul, j’ai cru comprendre le code comme si j’avais grandi avec.

Nous nous nous sommes dirigés en silence vers une source connue des Mædn. Nul doute que nous y rencontrerions d’autres Yu. D’autres bourreaux des leurs.

— On serait fous de les approcher, n’est-ce pas ? a murmuré Haölillyo.

— Tu serais fou aussi si ton clan voulait pas de toi.

Haölillyo a froncé les sourcils, puis décidé d’ignorer la remarque étrange.

— C’est à eux de nous craindre, ai-je dit.

L’Ælv s’est affaissé. Il n’était pas habitué à penser en ces termes. En termes dai, en termes de violence. Il a subtilement hoché la tête, et nous avons approché l’oasis où une tribu montait des fallun comme s’il s’était agi de sh’shël. J’ai soupiré à mon tour. Cokra grinçait des dents.

— Tu sais, Hao... Tick, là, on est le dernier clan qu’a pas besoin de manger de la chair.

L’Ælv a entrouvert la bouche, en quête du sens de ces propos.

Elle lui a adressé un sourire sinistre :

— Ça veut pas dire qu’on l’apprécie pas !

— Ne touche pas aux Yuman, l’a-t-il lassement enjointe.

— Oh…

Des applaudissements ont résonné depuis la source, interrompant la moue boudeuse de Cokra. Un Yu se pavanait devant sa tribu, palabrant dans une langue proche de celle de Shidjaovesh, qu’aucun de mes compagnons ne comprenait. J’étais parvenu, à ma propre surprise, à en acquérir les bases.

Ce Yu qu’ils traitaient en héros, ai-je expliqué, avait tiré une flèche et « tué » une étoile, des cycles de cela.

— Il a rien fait du tout, s’est agacée Cokra.

— L’âme de Caei a dû descendre.

— Les âmes tombent pas, c’est juste une image.

Les Mædn se sont glissées dans l’eau, émettant des couleurs réjouies. Toca y a sauté à pieds joints tandis que nous buvions et remplissions nos gourdes à la source, à l’écart des Yu pour qui nous nous tenions encore trop près. Quelque chose au sol a attiré l’œil de Haölillyo : des symboles circulaires, barrés de boucles et autres arrondis.

— Ils écrivent !

— Ouais ? Ben moi aussi, lui a répondu Cokra.

— Je n’ai jamais vu de tels symboles ! C’est sans doute un système d’écriture entièrement nouveau !

— C’est juste des gribouillis, si ça se trouve.

— Demande-leur, m’a encouragé Haölillyo en me tapotant le bras. Demande-leur si je me trompe.

J’ai hésité, peu enclin à traiter avec d’autres Yu, puis décidé qu’ils ne pouvaient plus m’atteindre. Je leur ai donc posé la question de Haölillyo, paraphrasant les mots inconnus, pour n’être gratifié que de réponses courtes et caustiques.

— C’est un logographe, je pense. Chaque symbole représente un concept. Parfois un son, si on le tronque à l’aide du signe approprié. Ils l’ont emprunté au peuple d’un pays dans la direction de Salainashra.

Haölillyo s’est abîmé dans une réflexion profonde. L’une des Yu a discouru.

— Il dit que nous les avons vraiment effrayés, à débarquer avec un troupeau sans annoncer nos intentions.

— Demande-lui pardon.

Mais les Yu n’étaient pas satisfaits. Les mots ne sont que du vent, nous ont-ils dit, et Cokra et moi abondions en leur sens. L’usage yu exige de gratifier l’offensé d’un présent pour prouver sa bonne foi.

— C’est trop facile de s’excuser, de ne pas le penser et de croire l’affaire résolue, expliquait l’un d’eux.

— Ouais ! a approuvé Cokra.

— Et si la personne autre a tort pour vouloir les excuses, et on dit pardon pour faire tranquille ? me suis-je enquis en traduisant aussitôt mes propos à mes compagnons.

— C’est précisément ce dont je parlais quand je disais qu’il faut prouver sa bonne foi…

— Comment une telle situation surviendrait-elle, de toute façon ? m’a demandé Haölillyo.

— En tant que Dai ayant vécu dans la Cité : souvent et facilement.

L’Ælv a plissé les yeux, incrédule. Il a vidé sa gourde et l’a remplie de nouveau.

— Tout de même, je conçois mal comment quiconque pourrait croire à tort que des excuses lui sont dues.

J’ai posé ma propre gourde. Le claquement a fait sursauter quelques Yu qui ont secoué la tête, songeant certainement que c’était là le deuxième présent que nous leur devions. Toca a ri de les voir craindre les seuls, à ses yeux, à se préoccuper de la survie d’une piètre créature telle que lui.

— Imagine : tu sais pas qu’un Yu attend des excuses, a expliqué Cokra à l’Ælv. Encore moins qu’il veut un cadeau avec, alors tu lui en fais pas. Tu trouves aussi que ce serait débile. Et puis surtout, tu t’en fous.

Haölillyo a ouvert la bouche, renoncé à un argumentaire voué à l’échec, puis s’est allongé au bord de la source dans laquelle il a trempé un linge. Il a invité Toca à s’approcher pour lui enrouler autour de la tête.

— Que pourrait-on leur offrir ?

La Tick, qui mâchait une plante juteuse, a levé des yeux indifférents.

— Moi, je dis qu’on se casse fissa.

— Ce n’est pas très poli.

— Et alors ? T’as peur qu’ils aillent cafter à Chal ?

Il s’est tu. J’ai soudain tapé du poing dans ma paume, inquiétant de nouveau les Yu et provoquant un second rire chez Toca.

— Yu vu Damo blond ici ?

Ils se sont regardés, secouant la tête non en signe d’ignorance, mais pour s’intimer au silence. Nous leur devions toujours nos excuses tangibles, après tout. L’un d’eux a toutefois argué qu’il valait mieux satisfaire cette maigre requête pour nous faire partir au plus vite.

— La chose luisante, a rappelé une Yu à un autre.

Il a levé un doigt comme pour stimuler sa mémoire.

— Il y avait une silhouette… lumineuse. Grande comme un Damo, avec des cheveux d’Elu. C’était la nuit, alors on a peu vu. La lumière, c’était la magie de Shal ?

Il m’a semblé distinguer la figure dont ils parlaient : l’image multiple d’une Dai illuminée contre le ciel nocturne, comme entourée de fyëw invisibles, indifférente au vent et à la chaleur.

— C’était magie de koxji. Koxji, c’est… pas dieu, pas mage… chose entre dieu-mage ?

Les Yu ont gravement acquiescé, plus confus qu’avant mon explication.

— C’était bien un dieu ! ont-ils chuchoté les mains devant la bouche. Ils poursuivent le dieu !

— Elle va là ? ai-je demandé en pointant le couchant.

Ils ont confirmé précipitamment.

— Vous coursez les dieux avec de la malchance ? Vous êtes fous.

— Malchance...?

— C’est une des tribus des cadeaux, m’a soufflé Toca. Je connais. Si on reste impoli, les dieux vont nous punir. C’est vrai.

Cokra a ricané.

— T’as peur ça ? s’est-elle moquée en yu de no. Alors tu cadeautes.

L’enfant a écarté les bras et s’est considéré tout entier. Il a soulevé sa tunique, confirmant ne rien posséder. Il a lancé un regard désolé à Cokra, à moi, puis à Haölillyo, et écarquillé les yeux comme s’il venait de se souvenir de quelque chose.

— Je connais une histoire med, mais elle est difficile à dire… Ça peut faire un cadeau, non ?

Nous avons haussé les épaules. Les Yu ont approuvé et se sont assis en cercle autour de moi et du petit Yu, lequel a tenu à leur préciser qu’il n’était pas sage d’écouter sa non-personne, ce que je n’ai pas traduit.

— L’histoire a pas vraiment de début ni de fin. Les souvenirs des Med parlent du recul du désert, d’énormes lumières de fumée, de pierres vivantes rapides et de beaucoup de choses étranges pour elles : nous, les plantes et les animaux qu’on mange ; des lunes de verre… plein de ces choses.

Les Yu écoutaient assidûment malgré ma traduction moins qu’adéquate. C’était une histoire qu’ils n’avaient pas entendue.

— Elles disent qu’il y avait un désert d’eau, avec de grandes dunes d’eau qui bougeaient au gré du vent. Les Ancêtres avaient construit des rochers volants pour les traverser. Il y a eu le Grand Changement, quand l’air et l’eau ont empoisonné tous ceux qui mangeaient ou ne mangeaient pas les Med. Les piliers verts et bruns qui calment les vents ont été érigés. Ceux qui ne mangent pas les Med sont apparus. Voilà ce qu’elles disent.

Les Yu ont hoché la tête. Ils aimaient entendre parler des ancêtres.

— C’est la première histoire, leur a dit Toca, parce qu’on doit deux cadeaux.

La tribu a échangé des regards silencieux, puis souri. L’enfant faisait de son mieux, pensaient-ils. On ne naît pas avec la verve des conteurs.

— Dis-nous la deuxième histoire. Mais choisis-la plus longue que la première. Et qu’elle parle des Pères.

Toca s’est trituré les méninges. Nous lui avons proposé de prendre le relais, mais il avait pris goût à l’attention des siens. La petite non-personne a répété un récit no :

— Les Ancêtres, a-t-il commencé sous les applaudissements, ils ont créé le jardin de Shal, loin, loin, là d’où viennent les Damo et les Elu. Ils ont fait de l’herbe qui couvre tout le jardin qui est grand, grand comme le désert.

On a entendu des « oh » impressionnés.

— Ils ont fait des arbres partout, partout, et des « rivières » et des « fleuves », qui sont de la grande eau qui court à travers le pays pour aller partout se donner à boire à tout le monde.

Les Yu souriaient en songeant à ce jardin magique, oubliant ou ignorant que les leurs n’y rencontraient jamais que la mort.

— Ils ont fait de grands villages cachés dans les lunes de verre, mais qu’on déplace jamais parce qu’ils sont déjà à l’endroit parfait. Ils ont fait la glaise aussi, et ils ont façonné des choses qui leur ressemblent, et ils l’ont fait cuire au-dehors pendant trois jours, et on aurait dit les tribus yuma parce que c’était vraiment nous. C’est comme ça qu’on est nés.

Les Yu ont approuvé. C’était vrai, ont-ils dit.

— Et les Ancêtres ont dit de faire ce qu’on voulait d’Essea parce qu’ils nous la donnaient, mais les tribus sont restées dans la riche vallée d’Unnaparakka. Les Pères trouvaient qu’il manquait quelque chose, alors ils ont repris la glaise et ils ont façonné les animaux pour peupler Essea parce qu’elle se sentait seule. Les Ancêtres étaient plutôt contents, mais ils ont vu que les tribus ne travaillaient pas et ça les embêtait. Alors ils nous ont montré les rochers volants qui creusaient des trous dans le sol pour planter les enfants des plantes, et ils ont dit aux tribus de faire pareil. Ils ont aussi montré les maisons tranchantes et ont dit de couper les arbres comme ça pour les enclos.

Certains Yu tiquaient, d’autres écoutaient avec un intérêt renouvelé, car la version de Toca différait de celle qu’ils connaissaient.

— Ensuite, ils ont choisi dix-sept tribus. Ils les ont portées sur leur dos, de l’autre côté des étendues de sable, et leur ont dit de répandre tout ce qu’ils avaient fabriqué. Et puis ils en ont eu un peu marre des tribus, alors ils ont repris leur glaise. Cette fois-là, ils ont mélangé de la sève et des rêves à la glaise, et ils l’ont fait cuire pendant cinq jours. Ce sont les familles elu qui sont nées, et les Ancêtres les aimaient beaucoup. En fait, ils les aimaient beaucoup plus que les tribus.

Des exclamations tristes ont parcouru la tribu. Haölillyo arborait, lui, un sourire satisfait.

— Il fallait nourrir les familles elu, alors les Ancêtres ont demandé aux tribus de creuser plus de trous, toujours plus de trous, pour planter les enfants des plantes, et donc les tribus, elles regrettaient le temps d’avant. Les Ancêtres entendaient que les tribus étaient pas très contentes, mais ils posaient les mains sur leurs oreilles pour pas écouter et fermaient les yeux pour pas voir, parce que les tribus pouvaient pas les atteindre de toute façon.

Les Yu se sont agités.

— Et là, les frères des Ancêtres sont venus du ciel. Ils ont admiré toutes les choses que les Ancêtres avaient façonnées, mais les Ancêtres se méfiaient parce qu’ils pensaient que leurs frères voulaient prendre leurs enfants. Les Ancêtres ont eu peur même avec leur magie, parce qu’ils ne voulaient pas mourir, mais ils voulaient pas non plus détruire leurs enfants. Alors ils se sont dit qu’il fallait calmer les tribus pour qu’ils puissent tous s’unir si leurs frères revenaient.

Toca a repris son souffle. Moi aussi.

— Ils ont perfectionné leur magie, ils ont lancé des sorts interdits et ont demandé à Ankarakurima de façonner des gardiens. Ankarakurima savait la guerre parce qu’il était très très vieux, et il a ordonné à la glaise de créer une armée qu’on pourrait pas détruire. La glaise a demandé le sang premier, et le sang de toutes les bêtes les plus féroces qu’ils avaient apportées du ciel. Ankarakurima a dit d’accord, même s’il y avait plus de sang que de glaise en fin de compte. Le sang et la glaise ont cuit pendant les sept jours les plus brûlants, mais les tribus étaient trop en colère et ont pas attendu le septième jour. Elles ont attaqué les Elu et les Ancêtres, même si c’étaient leurs frères et leurs pères.

Les Yu ont protesté : l’histoire ne se déroulait pas ainsi. Libre à eux de nous donner leur propre version en cadeau, leur ai-je dit, mais ils ne devaient pas se montrer si sévères envers ce pauvre enfant à la mémoire hasardeuse. Certains sont partis, d’autres ont écouté le récit d’une oreille critique. J’ai raconté à Toca qu’ils réprouvaient ma piètre traduction, non lui ou son histoire.

— La magie des Ancêtres a tué beaucoup de tribus, et la glaise a fini de cuire au milieu du chaos, et les Damo sont nés comme ça. Mais comme les tribus avaient arrêté de donner les fruits des plantes, ils avaient faim. Ankarakurima leur a ordonné d’attaquer les tribus pour qu’elles redeviennent sages, mais les Damo avaient tellement faim qu’ils l’ont mangé lui. Et ils ont mangé les Elu qui s’occupaient d’eux aussi, et puis ils ont attaqué les tribus comme l’avait demandé Ankarakurima. Ils ont mangé beaucoup de Yuma et on dit que les Gardiens étaient plus terrifiants que toute la magie des Ancêtres, alors les tribus ont demandé pardon à leurs Pères. Mais les Gardiens avaient goûté le sang, et ont tellement aimé qu’ils en réclamaient plus.

L’une des Yu nous regardait avec angoisse, Cokra et moi.

— Tu as déjà mangé un Yuma ? a-t-elle enfin osé demander.

— Une fois. Les os se coincent dans les dents, c’est chiant.

Effarée, elle a rejoint ceux qui ne souhaitaient pas entendre la suite de l’histoire.

Toca a profondément inspiré, espérant que son récit s’achève bientôt.

— Après, les Ancêtres ont jeté un sort pour amputer un pouce à tous ceux qui étaient pas assez sages. Ils ont puni les Damo, et les Elu aussi parce qu’ils avaient pas assez aidé.

— C’était censé être une punition ? est intervenue Cokra. Parce que c’est vous qu’avez l’air bizarres.

Toca a fait un haussement d’épaules exagéré, emportant ses bras et son corps entier dans le mouvement. Il pouvait répéter les choses, mais n’avait pas d’avis en tant que non-personne : inutile de lui poser des questions.

— Il y avait quelques Ancêtres qui voulaient détruire les Damo, mais aussi d’autres qui avaient un peu pitié parce que c’étaient quand même leurs enfants. Amaraupauni voulait lancer un des sorts interdits, mais les Ancêtres avaient pas envie de recommencer la création. Et puis de toute façon, les frères des Ancêtres, qui étaient jaloux, sont revenus pour voler les arbres, les fleuves, les animaux et les Elu. Ça, c’était la période où c’était la guerre et les nuits étaient illuminées par les sorts. Il y avait plusieurs soleils dans le ciel alors c’était effrayant.

Le souffle de Toca est parti avec sa dernière syllabe. Il s’est étiré en imitant les exercices de Cokra, puis a pris la plus grande bouffée de sa vie :

— Donc les Ancêtres étaient obligés d’accepter de partager ce qu’ils avaient fabriqué avec leurs frères, qui se sont installés près d’eux dans la vallée d’Unnaparakka, parce que les terres ensablées étaient plus étendues qu’aujourd’hui.

Toca avait accéléré la cadence, pressé d’en finir, me compliquant la tâche.

— Les Ancêtres et leurs frères ont quand même continué à se battre, et en plus ils s’en fichaient de leurs créations maintenant. Mais tout le monde sait que les tribus, les familles et les clans ont survécu à la magie. Sauf que les Damo étaient pas contents du tout que les Pères aient tué plein de Damo, alors ils se sont vengés : d’abord, ils se sont cachés dans la nuit pour enlever un à un les Ancêtres et leurs frères, et les dévorer. Mais ils se sont impatientés et ils ont attaqué tout d’un coup pour détruire la magie des Ancêtres et de leurs frères, et au moins mille et mille et mille Damo sont morts.

Toca a inspiré, car son histoire n’en finissait pas.

— T’arrête pas là, l’a enjoint Cokra. Juste quand ça devient intéressant.

Le petit Yu s’est écroulé. Il a continué son récit à terre.

— Ensuite les Ancêtres ont maudit les Damo quand ils étaient entre leurs mâchoires. Ils ont promis que leurs enfants seraient des abominations, mais les malédictions servent à rien contre ceux qui ont le pouvoir de détruire la magie et ses Créateurs, alors les Damo souriaient en mangeant leurs Pères. Et puis ils ont attaqué les tribus parce qu’elles ressemblent aux Ancêtres, et c’est pour ça qu’on parcourt les déserts, et c’est pour ça que nos frères, nos oncles, nos neveux et nos cousins servent les Damo.

Cokra a commencé d’applaudir, mais Toca l’a arrêtée d’un regard chagrin.

— Je vais avoir besoin de boire beaucoup d’eau. Ensuite, les Damo ont attaqué les Elu parce qu’ils étaient tristes que les Ancêtres soient morts. Mais les Elu avaient gardé les secrets de certaines magies, et ils ont réussi à repousser les Damo jusqu’à ce qu’ils oublient pourquoi ils étaient fâchés. C’est pour ça que les Elu et les Damo peuvent pas vivre ensemble. Et quand les clans avaient plus aucun autre adversaire, ils se sont attaqués les uns les autres. Et c’est pour ça que les clans sont en guerre pour toujours.

Cokra a levé les mains, attendant l’autorisation de Toca pour applaudir. Le petit Yu haletant a faiblement hoché la tête, puis rampé vers la source où les Mædn lui ont caressé le visage et porté, goutte à goutte, de l’eau sur la langue.

— Alors tout est la faute des Dhaemon ? s’est enquis Haölillyo.

« Pas de questions », a signalé Toca d’un geste.

— Ou, à supposer que cette histoire soit vraie, la faute revient à ceux qui nous ont créés, ai-je dit. Ou peut-être aux frères qui voulaient accaparer leurs créations. Ou aux aïeux des Yu, qui ont forcé les ancêtres et les Dai dans des entreprises inconscientes.

Haölillyo s’est crispé.

— Non, c’était assurément celle des Dhaemon.

— Sans projets de guerre, les ancêtres n’auraient pas eu besoin de guerriers, ai-je insisté. Et si la guerre ne les avait pas accaparés, ils auraient pu accorder aux Dai une naissance sereine et une enfance paisible.

— Qui sommes-nous pour juger les Pères ? est intervenu un Yu qui avait deviné la teneur de notre conversation.

— Qui sommes-nous pour juger les Pères ? a répété l’auditoire en chœur.

Cokra a instinctivement reculé.

— D’aaaaccord...

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