De retour au campement, l’alliance prenait des forces avant d’assaillir son ennemi immémorial.

— Y’avait pas un riyaw qui vous suivait, au fait ? a demandé un Frreshie à Cuki, le Yudælla.

— Il est resté au clan. C’est là qu’il habite.

À la vérité, ils n’avaient pas voulu risquer qu’il se blesse. Il ne saisissait pas tous les ordres du Naræs et ne saurait se replier au bon moment. Le riyaw hantait donc un clan quasi vide, feulant sa solitude. Les autres Dai n’auraient pas compris. Le fauve est un atout, auraient-ils dit. S’il doit mourir, blâmez sa faiblesse.

Tu as vu Taki renifler les environs.

— Erh, a-t-il fait en croisant ton regard. J’veux pas retourner dans ce trou.

Tu as détourné les yeux.

— Y’en aura pas pour long.

— J’suis trop vieux pour ces conneries, s’est plaint Askai à son tour.

— T’as réussi à devenir vieux, l’a corrigé Brokma. Lève-toi, maintenant.

— C’est toi qui voulais attaquer à l’origine, lui as-tu rappelé.

— Ça saigne du cul, cette histoire, a conclu Koæi.

Askai et Taki n’étaient pas les seuls à avancer à reculons. Quoique de nombreux Yudællan éprouvent peu de scrupules à marcher sur cette seconde prison, la plupart hésitaient. La Cité n’avait pas été le havre espéré, mais elle leur avait ouvert ses portes. L’attaquer ne revenait-il pas à se retourner contre son propre clan ?

Tu serrais le poing. Tu avais éteint tellement de vies… des Riaon parmi elles. Mais jamais aucun Ælv ni Yu.

— Faut restaurer l’équilibre, a dit Sabash.

Elle parlait certainement d’autre chose, mais… Tant des tiens étaient morts, tandis que les faibles continuaient à jouir de leur faiblesse. Les tuer ne représenterait aucun défi, aucune stimulation, ne t’apporterait aucune joie. Tu as fermé des yeux emplis de regrets. L’équilibre, voilà ce que tu cherchais. Un équilibre paisible, sans plus de haine. Il commencerait en ce jour, sinon quand ?

Seul le sang de tes frères tacherait tes mains.

Tu les as serrées, gardant leur sang près du tien.

*

Sur le mur d’enceinte de la Cité, Vainassi a relevé son coéquipier avant l’aube. Lors de son tour de garde, une tache sur la balustrade a capté son regard. Il l’a essuyée en ronchonnant, mais l’importune ne partait pas. Il a soufflé entre ses dents, maudissant le responsable. Sa journée venait tout juste de commencer et chavirait déjà. Aujourd’hui, c’est la rambarde, songeait-il avec une inquiétude exagérée, et demain les citoyens se lanceront des excréments au visage !

Un mouvement au loin a attiré son attention. L’air venteux faisait danser les branches en contrebas. Une silhouette sombre a émergé de la forêt : un Dai ; un grand Dai. Les soldats qui gardaient les portes l’auraient tôt renvoyé d’où il venait. Un deuxième est alors paru, talonné d’un troisième. Vainassi a étouffé un cri aigu quand l’ancienne Nëluuj a surgi à son tour. Cinq autres sont sortis des fourrés ; tous s’avançaient vers les portes de la Cité en adressant des signes derrière eux.

À leur suite, la plus grande armée de Dai qui ait jamais existé.

Il s’est frotté les yeux, certain de s’être trompé. Les clans ne sauraient s’unir, ni ne représentaient une menace tangible pour les Ælvn de la Cité.

N’est-ce pas ?

Il a de nouveau scruté l’orée de la forêt : le même cauchemar impossible défilait en silence.

Il a imploré ses jambes de courir, mais elles ne lui obéissaient plus. Seuls son cœur et son urine lui ont répondu, fuyant son ventre à toute allure.

Quand, enfin, son corps a osé bouger, il a filé sonner l’alarme, sans remarquer ses propres cris de terreur.

Au moins, la tache récalcitrante lui avait quitté l’esprit.