Au sommet
Comment parler de paix à ceux qui n’entendent que le chant de l’épée ?
Même les koxjin l’ignorent.
— Y a-t-il un moyen d’arrêter les guerres dai pour de bon ?
— Jᴇ ɴᴇ ᴘᴇᴜx ᴇ̂ᴛʀᴇ ᴅ’ᴀᴜᴄᴜɴᴇ ᴀɪᴅᴇ.
Sa réponse me prit presque de court. Une koxji impuissante ? Balivernes. Son éclat rivalisait avec celui de Mur qui chutait sous l’horizon.
— Bien sûr que si ! De toute façon, c’est Caei que je sollicite, pas la koxji.
— Lᴇs ᴠɪᴇs ᴍᴇ ғɪʟᴇɴᴛ ᴇɴᴛʀᴇ ʟᴇs ᴅᴏɪɢᴛs. J’ᴀɪ ᴇ́ᴛᴇɪɴᴛ ᴛᴏᴜᴛᴇs ᴄᴇʟʟᴇs ᴏ̨ᴜᴇ ᴊᴇ ᴠᴏᴜʟᴀɪs ᴇᴛ ɴᴇ ᴠᴏᴜʟᴀɪs ᴘᴀs ᴀɴᴇ́ᴀɴᴛɪʀ, ᴇᴛ ᴛᴜ ᴇsᴘᴇ̀ʀᴇs ᴏ̨ᴜᴇ ᴊᴇ sᴀᴜᴠᴇ ʟᴇ ᴍᴏɴᴅᴇ ?
Je me raclai la gorge. Ses souvenirs lui revenaient indéniablement.
— Ça ne… est-ce possible ?
Elle suivit des yeux l’oiseau à la vieille âme et au nom sifflant. Il volait vers l’astre couchant.
— Iʟ ᴠᴀ ᴍᴏᴜʀɪʀ ᴀᴜssɪ, dit-elle d’une voix détachée. J’ᴀɪ ᴇssᴀʏᴇ́ ᴅᴇ ʟᴜᴛᴛᴇʀ, Kᴀʀᴇᴢɪᴀʟ. Sᴏᴜᴠᴇɴᴛ. Pᴏᴜʀ ᴅᴇs ᴍᴏɴᴅᴇs ᴏ̨ᴜɪ ɴ’ᴇ́ᴛᴀɪᴇɴᴛ ᴘᴀs ᴍɪᴇɴs. Pᴀʀғᴏɪs, ᴏ̨ᴜᴇʟᴏ̨ᴜᴇ ᴄʜᴏsᴇ ᴄʜᴀɴɢᴇ, ᴍᴀɪs ʀɪᴇɴ ɴᴇ ᴅᴜʀᴇ. Oɴ ɴᴇ ᴘᴇᴜᴛ ᴘᴀs ᴀɪᴅᴇʀ ʟᴇs ᴋᴏxᴀsᴏɴ. Iʟs ᴘᴇᴜᴠᴇɴᴛ sᴇᴜʟᴇᴍᴇɴᴛ s’ᴀɪᴅᴇʀ ᴇᴜx-ᴍᴇ̂ᴍᴇs.
Elle se tut un moment, les yeux perdus vers une étoile lointaine. Ou se détruire, l’entendis-je presque ajouter.
— Lᴇs ᴄᴏɴғʟɪᴛs ᴅᴇs ᴀᴜᴛʀᴇs ᴘᴇᴜᴘʟᴇs ᴏ̨ᴜᴇ ᴊ’ᴀɪ ᴄᴏɴɴᴜs ɴᴀɪssᴇɴᴛ ᴅᴜ ʙᴇsᴏɪɴ ; ɪɴᴇ́ᴠɪᴛᴀʙʟᴇs, ᴍᴀɪs ᴘᴀssᴀɢᴇʀs. Lᴇs Dᴀɪ, ᴇᴜx, ɴ’ᴏɴᴛ ᴘᴀs ʟᴇ ᴄʜᴏɪx. Iʟs ɢᴀɢɴᴇɴᴛ ᴘᴇᴜ ᴀ̀ ʙᴀᴛᴀɪʟʟᴇʀ, ᴍᴀɪs ʏ sᴏɴᴛ ғᴏʀᴄᴇ́s. À ᴍᴏɪɴs ᴅᴇ ʟᴇs ʀᴇᴄʀᴇ́ᴇʀ, ᴅᴇ ʟᴇs ᴀʟᴛᴇ́ʀᴇʀ, ɪʟ ɴ’ʏ ᴀ ʀɪᴇɴ ᴀ̀ ғᴀɪʀᴇ.
— Les altérer, est-ce… viable ?
— Tᴜ ʟᴇs ᴠᴇᴜx ᴄʜᴀɴɢᴇ́s ? Tᴜ ɴᴇ ᴍ’ᴀᴄᴄᴇᴘᴛᴇs ᴘᴀs ᴛᴇʟʟᴇ ᴏ̨ᴜᴇ ᴊᴇ sᴜɪs, ᴍᴀɪs ᴛᴜ ᴛʀᴀɴsғᴏʀᴍᴇʀᴀɪs ᴜɴ ᴘᴇᴜᴘʟᴇ ᴇɴᴛɪᴇʀ ?
Il me sembla qu’elle secoua la tête, mais c’eût aussi bien pu être le vent.
— Lᴇs Dᴀɪ sᴇʀᴀɪᴇɴᴛ ᴘᴇʀᴅᴜs. Tᴜ ᴘᴏᴜʀʀᴀɪs ᴄᴏɴᴛɪɴᴜᴇʀ ᴅᴇ ʟᴇs ᴀᴘᴘᴇʟᴇʀ « Dᴀɪ » sɪ ᴛᴜ ʟᴇ sᴏᴜʜᴀɪᴛᴇs, ᴍᴀɪs ʟᴇs ᴠʀᴀɪs sᴇ sᴇʀᴀɪᴇɴᴛ ᴇ́ᴛᴇɪɴᴛs.
J’essayai de réfléchir au travers des pensées discordantes qui s’affrontaient en mon esprit. S’agissait-il vraiment d’un meurtre ? Les vivants changent toujours, n’est-ce pas ? C’est leur particularité. Ne mourons-nous tous pas un peu chaque jour ?
— Si tu abandonnes si facilement, tu n’étais sans doute pas si forte, bluffai-je en jouant mon dernier atout.
— Çᴀ ᴍ’ᴇsᴛ ᴇ́ɢᴀʟ.
J’accusai le choc. Caei n’en avait eu que pour la force. Elle avait disparu. Fallait-il m’endeuiller ?
Dire qu’ils avaient voulu qu’on dépêche son âme. Comme si un koxji parmi nous pouvait tout résoudre. Pourquoi avions-nous imaginé que des êtres si distants regardent nos épreuves ici-bas, si loin en dessous d’eux, avec autre chose que de l’indifférence ? Les koxjin n’ont pas plus d’attachement pour nous que pour la poussière.
— Quoi qu’il en soit, je ne volerai plus de vies.
— Mais tu n’auras pas à le faire, tu es une ko…
Je me tus lorsque du sang cascada de mes mains. Je levai des yeux effarés vers les siens. Le sang s’était évaporé, me laissant pantois et haletant, sans raison apparente.
— Tu es… Tu es une… Je veux dire…
L’avais-je rêvé ?
— Qᴜᴇ sᴜɪs-ᴊᴇ ? Qᴜ’ᴇsᴛ-ᴄᴇ ᴏ̨ᴜɪ ғᴀɪᴛ ᴅᴇ ᴛᴏɪ ᴄᴇʟᴜɪ ᴏ̨ᴜᴇ ᴛᴜ ᴇs ? Cᴀᴇɪ ᴘᴇᴜᴛ ʙɪᴇɴ ᴇ̂ᴛʀᴇ ᴍᴏʀᴛᴇ ᴄᴇ ᴊᴏᴜʀ-ʟᴀ̀, ᴇᴛ ᴛᴜ ᴀs ᴛʀᴀᴠᴇʀsᴇ́ ʟᴇ ᴅᴇ́sᴇʀᴛ ᴘᴇɴᴅᴀɴᴛ ᴅᴇs ᴄʏᴄʟᴇs ᴘᴏᴜʀ ᴛʀᴏᴜᴠᴇʀ ᴜɴ ɪᴍᴘᴏsᴛᴇᴜʀ.
Je ne voulais pas répondre. Je ne voulais pas y penser. Je continuai à relater sa vie à Caei – ou à celle qui n’était pas Caei – conscient de devoir mener mon récit jusqu’à sa conclusion inévitable, celle où je parlais au fantôme de jours révolus au milieu des vastes sables ardents, étrangers ; indifférents.

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