Karezial
En plus des souvenirs des cœurs croisés jour après jour, j’ai réalisé que germaient en moi ceux des âmes dont les chemins avaient pourtant bifurqué du mien depuis des cycles.
Perplexe, je l’ai d’abord gardé secret, craignant la réaction des membres de mon clan de fortune. Je savais tout d’eux, tout ce qu’ils n’avaient jamais avoué à aucune âme, tout ce dont ils se rappelaient, et tout ce qu’ils avaient oublié ; des événements éteints, plus vivaces à présent pour moi que pour leurs détenteurs.
Je m’efforce de ne porter aucun jugement sur ces souvenirs qui ne m’appartiennent pas, quoique l’opinion des acteurs eux-mêmes colore ma vision : j’enrage de ce qui les enrageait, je m’attriste de leurs peines et m’apitoie de leurs erreurs. En raison de mes sautes d’humeur, Cokra et Haölillyo m’ont cru pris d’un deuil violent ou d’une fièvre exotique.
Il ne m’était bientôt plus nécessaire de questionner les habitants du désert pour suivre tes traces : je remontais ta piste luisante et vaporeuse à travers leur mémoire.
Enfin, mon périple touchait à sa fin. Ton spectre s’était dirigé vers la cime du plus haut sommet qu’il m’ait été donné de voir, évité par les pluies depuis ta venue. Il surplombe aisément la chaîne montagneuse à ses pieds ; sans doute t’approchais-tu au plus près des âmes anciennes que tu comptes rejoindre.
En dehors des koxjin, seul un Kwashil pourrait gravir ces parois escarpées. Un avertissement de ta part, peut-être. Une incitation à faire demi-tour ; à moi, néanmoins, ce me semblait une invitation.
Ce lieu désolé, prisé uniquement des assoiffés de solitude, suivi en ligne droite depuis Riao, s’écartait des terres ocre que longeaient les Mædn, que talonnerait Haölillyo, qui aurait besoin de Toca, et qui sait où irait Cokra.
Malgré les séparations à venir, j’avais le pas léger.

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