LXXXIII

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Le choc léger de l’atterrissage a réveillé mes camarades qui étaient en train de se dépêtrer de leur couverture de survie quand le soleil de fin d’après-midi est entré dans la carlingue une fois la porte ouverte par Vlad.

Nounou et Dio ont été les premiers à se présenter à la porte. Derrière eux, Lin, Le Gros, Tondu, Kim.

Nounou a jeté un coup d’œil rapide dans l’appareil.

- Kim, Le Gros, vous accompagnez JD, Quenotte et Tito à l’infirmerie, grande salle. Lin, je te confie l’Archer. Même destination. Baby Jane, emmène Kitty voir Cook au plus vite, s'il te plaît. Tondu, Dio, le Viking dans la civière, direction la salle d’examen. Kris… Tu te sens capable de nous aider à porter ton frère ?

Kris a hoché la tête, Vlad s’est proposé pour tenir une des poignées de la grosse couverture retaillée qui servait de civière, Katja a pris la poignée d’en face, pour équilibrer.

Appuyé sur Lin, qui regardait Erk d’un air inquiet, je me reposais avant d’entamer la longue marche vers la grande salle, qui, avec mes blessures, me paraissait bien loin, puis j’ai vu sortir de la cabine une silhouette bien connue.

- Elise ! je me suis exclamé.

Elle s’est approchée, un sourire aux lèvres.

- A mon tour de vous sauver la mise, hein, l’Archer ?

J’ai souri.

- Et j’en suis ravi, je me voyais déjà me trancher la gorge pour ne pas tomber vivant entre leurs mains.

- A ce point-là, Tugdual ? a demandé mon cher Capitaine.

- A ce point-là, Lin. Ils nous ont promis viol et torture.

- Il est grand temps qu’on en finisse avec Durrani.

- Amen. Bon, Captain, tu veux bien m'aider à atteindre l'infirmerie ?

- Tu me prends pour ta nounou ?

Merde, j'avais dit une connerie. J'ai voulu m'excuser, mais je n'en ai pas eu le temps. Elle m'a serré dans ses bras.

- Pardon Tugdual, elle a murmuré, je n'aurais pas dû, je…

J'étais touché. Mais on avait une spectatrice, alors j'ai dit une connerie.

- Ma chère dure-à-cuire s'attendrit, ma parole.

Elle s'est redressée, m'a dévisagé en plissant les yeux et je lui ai fait un clin d'œil, puis j'ai fait glisser mon regard vers Elise de Larcy qui nous regardait.

- Ah je m'attendris ! Tu vas voir si je m'attendris, caporal !

Elle s'est baissée, m'a choppé aux cuisses et je me suis retrouvé sur son épaule, comme un sac de patates. J'ai couiné parce qu'elle appuyait sur ma blessure et elle a failli s'excuser. Puis elle est partie à grands pas vers la base et, j'osais l'espérer, l'infirmerie. Nous suivant, Élise se marrait discrètement, surtout après le regard noir que je lui ai lancé, ce qui, avec mes yeux très pâles, n'est pas évident.

A l'infirmerie, dans la grande salle, il y avait tous les hommes de la patrouille, les blessés. Erk avait complètement Soigné Baby Jane, qui avait juste besoin de dormir. Idem pour Kris. Mais pour nous, il n'avait eu que le temps d'arrêter l'hémorragie. S'il n'avait pas été inconscient à ce moment-là, je sais qu'il se serait épuisé à nous Soigner.

Quand Lin m'a posé sur un des lits libres, elle ne soufflait pas et avait à peine transpiré. Faut dire qu'après avoir porté le Viking, mes 90 kilos, ce n'était rien pour elle. Le toubib des R&R, qui n'était qu'un infirmier, comme Nounou, mais avec une formation de combat-medic, comme disaient les Ricains, était en train de travailler sur Tito, pendant que la jeune Fara, l'ado du village restée avec nous, nettoyait les plaies de Quenotte, préparant le terrain pour le toubib.

Les porteurs de civière nous ont rejoint, ayant laissé le géant entre les mains de Doc, Nounou et son frangin. Katja et Vlad, sur les indications de Fara, ont pris un des kits de soin comme ceux qu'avait utilisé Erk après l'attaque de nuit, et ont choisi une victi… un patient. Vlad s’est occupé de JD, surveillé par Yaka, assise sur la protection en intissé au bout du lit. C’était amusant de voir son nez suivre de très près les mains de Vlad, jusqu’à ce que JD mette sa main sur sa tête et la rassure. Elle a posé sa tête sur la cuisse de son humain et a juste suivi les mains de Vlad des yeux.

Quant à moi, j'ai eu la chance d'avoir les deux femmes à mes côtés.

- Hé, c'est pas juste, l'Archer, tu as les deux plus bel… meilleurs capitaines pour toi, a râlé Quenotte en plaisantant.

- C'est mon magnétisme animal, mon petit, j'ai répondu tout fier.

- Pour être animal, c'est animal, a dit Katja, mais je parlerais plutôt d'odeur que de magnétisme, caporal.

Lin s'est marrée, ce que j'ai moyennement apprécié, jusqu'à ce que je voie le regard qu'elle me lançait et qui a fait battre mon cœur plus vite.

- Je dois vous avouer, Katja, que je rêve d'une douche depuis qu'on est entrés dans le territoire du Pashtoune.

- Avec ce que tu as comme coupures, a dit Lin, ce sera une toilette de chat, à l’éponge.

- Rhoo mince, c’est pas terrible, ça…

Elle s’est penchée pour me chuchoter un truc à l’oreille et non, je ne l’écrirais pas, c’est privé, et d’un seul coup, la toilette de chat a eu toutes mes faveurs.

On a fini par être tous suturés, shootés à l’ibuprofène et Nounou est passé nous dire qu’après le dîner, pris au mess avec les autres, Doc et lui nous examineraient sous toutes les coutures – ou presque – pour savoir si on devait passer la nuit à l’infirmerie ou pas. Il aussi remarqué qu’on ne pourrait pas aller dîner dans notre tenue actuelle.

On s’est regardé : nos pantalons, tailladés par nos adversaires, puis découpés par nos soigneurs, ne camouflaient plus que nos boxer-shorts et leur contenu, nos henleys avaient perdu leurs manches. On commençait à se dire qu’on allait devoir se traîner jusqu’au magasin, quand Dio est entré, les bras chargés de fringues. On devait avoir l’air bien ahuris, parce qu’il a haussé les épaules.

- Quand Fara vous a vus arriver à l’infirmerie, elle m’a dit d’aller vous chercher des tenues propres.

On s’est tournés vers Fara qui finissait de ramasser les bouts de compresses et autres pour les jeter. Elle aussi a haussé les épaules sous le poids de nos regards combinés.

- Ça me paraissait évident.

- Merci Fara, j’ai dit, réagissant enfin.

On s’est débarrassés de nos restes de fringues, qui sont allés dans le sac à déchets médicaux, tellement ils étaient imbibés de sang. On a eu droit à notre toilette de chat, à l’infirmerie. Bon, ce que Lin m’avait chuchoté n’est pas arrivé, avec ce public, mais au moins, on n’avait plus de sang séché qui collait et on était un peu moins sales, on va dire. Pas complètement propres, non, ça, ce n’était pas possible sans douche, mais au moins, on faisait illusion.

Et on s’est rhabillés – forcément, hein, on n’allait pas rester à poil – pendant que Baby Jane et Kitty entraient dans la grande salle. J’ai levé un sourcil interrogateur à l’attention de l’Anglaise, qui, dans le dos de Kitty qui filait droit sur Tito, a levé un pouce puis l’a agité légèrement. Compris. Ça allait mieux, mais y avait encore du chemin à faire.

J’ai regardé Tito, qui serrait Kitty contre lui. Frère et sœur, de cœur, par choix. Je ne sais pas comment font Lin et les frangins, mais, dans la Compagnie, depuis leur arrivée, y a pas que les amourettes qui renaissent… Des fois, on a l’impression de faire partie d’une grande famille. Bon, une famille de malades, qui vont s’exposer au feu et au plomb à haute vélocité, mais qui essayent de changer les choses et de rendre le monde autour d’eux un peu meilleur.

Une fois rhabillés, on n’avait plus l’air de réfugiés, on avait même presque l’air pimpant. Je dis presque parce que mon bras tailladé était en écharpe et que je boitais bas, et que je n’étais pas le seul. On sentait le fauve et le désinfectant. Mais on était vivants. Tous.

- Et Erk ? a demandé Tito. Comment va-t-il ? On peut aller le voir ?

Nounou a souri gentiment, tout comme Lin.

- Il est réveillé, lui, et, oui, vous pouvez aller le voir, il est dans la petite salle.

Dire qu’on s’est précipités serait exagéré, mais disons qu’on a boité aussi vite que possible pour sortir de la grande salle, faire les quelques mètres sous les arcades et s’arrêter net en voyant le spectacle. Et j’ai compris pourquoi Nounou a dit qu’il était réveillé, lui.

Le Viking était allongé sur le lit, donc, torse nu, le drap à la taille, juste sous le pansement qui barrait son estomac. Il était un peu pâle, ayant, comme nous tous, perdu un peu de sang. Il était sous perfusion, placée sur le dos de sa main gauche, il avait quelques électrodes sans fil sur le torse. Ses yeux bleu bourrache étaient à moitié fermés, mais il a souri quand on est apparus à l’entrée de la p’tite chambre. Jusque là, rien d’anormal.

Mais… on a fini par sourire, attendris. Kris était allongé à côté de son géant de frère, la tête sur son épaule gauche, le bras en travers du torse d’Erk, dormant profondément, son visage détendu. Erk avait placé son bras gauche autour des épaules de Kris, son pouce caressant distraitement le bras de son frère.

Contrairement à nous, Kris portait encore son pantalon de treillis troué et tâché de sang. Je pouvais supposer qu’il s’était endormi avant, ou qu’il avait été impossible à Nounou de séparer les deux frères le temps pour Kris de se changer.

- Trop mignons, a murmuré Baby Jane, avec un clin d’œil à Erk.

Celui-ci a souri encore plus et nous a fait signe d’entrer de sa main droite.

- On va le réveiller… s’est inquiétée Kitty.

- J’en doute fort, a répondu le Viking. Son sommeil est aussi profond que la fosse des Mariannes.

- Erk, j’ai demandé, tu vas bien, toi ?

- Oui. Doc m’a collé en observation parce que je me suis évanoui dans l’hélico.

- Et parce que, Doc a balancé de son bureau, sur lequel, je vous le rappelle, donne la petite chambre, ça t’évitera de faire le warrior et d’arracher tes points en t’agitant. Peut-être qu’avoir Kris endormi sur toi t’obligera à te reposer, pour que lui puisse le faire aussi.

Le visage du géant a pris une expression étrange, mélange de pétulance, de remords, de tendresse, aussi, avec un air penaud par-dessus. Moi, j’ai trouvé que Doc avait appuyé sur le bon bouton : pour son frère, Erk serait prêt à rester couché plus longtemps.

Lin est entrée dans la petite piaule à ce moment-là, et j’ai vu le Viking se raidir à peine, puis se détendre de nouveau, pour ne pas réveiller Kris.

- Bon, puisque vous êtes tous ici, un petit rapport ? Parce qu’un appel au secours par SMS, suivi par trois mots de Katja, c’est un peu limite.

Ladite Katja s’est glissée dans la chambrette qui commençait à devenir un peu petite.

- C’était quoi, les trois mots ? j’ai demandé, curieux que je suis.

- « On les a ». Faut avouer que c’est un peu court, non ? Heureusement que le sous-lieutenant de Larcy a rajouté qu’ils étaient vivants, malgré quelques blessures légères.

- La traîtresse, a fait Katja avec un grand sourire.

J’en ai déduit qu’elle n’en pensait pas un mot.

- Comment as-tu réussi ça, Lin ? elle a demandé.

- J’ai fait jouer mes galons.

- Tes galons ? Mais Elise…

- Avant d’être chez vous, elle était dans la Marine française. Et même si je suis commandant et non capitaine de corvette, elle a réagi à mes galons. Donc elle a obéi.

- Forcément. Bon, je lui pardonne.

- T’as intérêt, Katja « ah la maline ».

La façon dont Lin a déformé le nom de famille du capitaine des R&R m’a fait penser qu’il s’agissait d’un surnom de longue date. C’est vrai que ces deux badass se connaissent depuis un bon moment.

Bon, Erk a commencé son rapport, parlant du tireur isolé, du village et, sa voix perdant toute inflexion, de la fosse commune, la chute de Tito dedans.

- Et toi, Tito, ça va ? Lin a demandé.

- Physiquement, oui. Mentalement, je…

Il a baissé les yeux, a rougi et a ensuite fixé le géant.

- Erk, je suis désolé, pour le cauchemar, je…

- Je comprends, Tito, ne t’inquiète pas.

- Ah, Erk, a dit mon p’tit pote en secouant la tête, comment peux-tu être aussi généreux et pardonner, comme ça, sans rien demander en échange, ma colère, mon agressivité à ton égard ?

- Ben, parce que… j’ai compris ce que tu ressentais, c’est tout. Je me suis mis à ta place…

- Ça a dû être difficile, a interrompu Kitty, tu fais le double de Tito !

Petite remarque qui a coupé court à tout épanchement d’émotions que nous autres mecs avons encore du mal à gérer. Merci Kitty. Erk et Tito, et les autres aussi, ont souri.

- Oui, j’ai dû utiliser un chausse-pied… a répondu le géant avec un grand sourire à la petite Américaine. Bref, je me suis mis à la place de Tito, et j’ai compris pourquoi tu avais réagi comme ça, bonhomme. Et donc, je n’ai pas pu t’en vouloir. Bon, je continue…

Il a raconté ce que Lin savait plus ou moins, la décision collégiale de continuer dans le territoire du Pashtoune, la recherche du perchoir et l’attaque qui avait suivi.

- Tu peux m’expliquer, Eiríkur, pourquoi tu t’es exposé de cette façon ?

Il l’a fixé, un pli soucieux entre les sourcils. J’ai remarqué qu’il s’était raidi.

- J’ai bien pesé le pour et le c…

- Mon cul, Erik !

Il s’est tu, les yeux ronds de surprise. Je dois dire que nous aussi. C’était la première fois qu’on était témoins d’un désaccord entre nos officiers.

- C’est encore ton putain de complexe du héros, tu t’es exposé pour… Tu as vu dans quel état tu es, espèce de hálfviti ? Tu as vu dans quel état il est ?

Erk s’est rembruni.

- Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi…

- Ecoute-moi bien, petit con, si te faire te sentir coupable, parce que ton frère est mort d’angoisse à chaque fois que tu es blessé, si ça peut t’aider à réfléchir un peu mieux aux conséquences, alors j’appuierai sur ce bouton-là aussi souvent qu’il le faudra !

Elle s’est tue, à son tour, pinçant le haut de son nez entre le pouce et l’index. Elle a fortement soufflé par le nez.

- J’ai bien envie de te foutre aux arrêts, tiens. Mais je vais laisser Doc s’en charger. Bon, la suite de ton rapport.

La voix un peu moins sure, ses yeux fixés sur Lin, il a rapidement fini sur le sauvetage.

J’ai remarqué, mais je n’ai rien dit, qu’il n’avait pas mentionné les Turbans – mais Katja avait dû comprendre –, la confession double de Tito et son craquage, ce dernier oubli étant bizarre, puisqu’il nous l’avait expliqué.

Puis je me suis souvenu qu’il y avait Katja dans la pièce et que, devant elle, dans l’hélico, il avait – selon lui ? – fait preuve de faiblesse et en avait peut-être honte ?

Puis, Doc est entrée dans la p’tite carrée, sa tablette à la main, et nous a chassés, disant qu’Erk avait besoin de se reposer.

- Mais non, Doc, ça ira…

- Erk, ton rythme cardiaque est un peu rapide, ta pression sanguine un peu basse, et avec ton groupe sanguin à la noix, je ne pourrais pas te faire de transfusion. Donc, repos. Et si tu me gonfles, je te shoote à la morphine. Et si tu essayes de Soigner qui que ce soit avant que je t’en donne l’autorisation, c’est à la morphine normale que je t’endors, compris ?

- Compris. Et non merci. Je vais dormir.

- T’as intérêt ! Et vous autres, dehors. Allez, ouste !

- Doc, est-ce que je peux quand même dire un mot à l’Archer avant ?

Je suis resté auprès du Viking pendant qu’elle chassait les autres, qui partirent vers le mess pour le dîner. Erk m’a demandé de parler à Katja des Turbans et du tireur isolé, et à Lin de la confession de Tito. Lui se chargerait de lui parler de son accès de faiblesse (ses mots).

J’ai dit d’accord, et j’ai rejoint mes camarades. On avait encore un peu de jour, en cette saison, et il faisait chaud, la pierre du caravansérail rejetant toute la chaleur emmagasinée dans la journée. J’avais envie de fraîcheur, mais je savais que, fatigué comme je l’étais, la chaleur était ma meilleure amie.

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