Chapitre 2 - La statue

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3 Mésori de Chémou de l’an 20 Ramsès-Isis

 Asfa attendait devant le bureau. Il était un jeune homme de dix sept ans, très grand. Sa peau couleur basalte sous l’effet de la lumière avait des reflets presque violets. Il portait un manteau de fourrure couvrant partiellement sa musculature travaillée et sèche. Ses tresses serrées et collées étaient constellées de perles couleur nacre, brillantes. Tout chez lui dégageait une force brute intimidante.

 Lorsqu’il les vit sortir du bureau de son regard anthracite, le jeune homme se dirigea droit sur Antef et elle. Ruwa devait toujours lever la tête pour le regarder à cause de sa petite taille. Elle se dit qu’il était impressionnant lorsqu'arrivée à sa hauteur, il se pencha vers elle pour la prendre dans ses bras. Asfa avait une agréable odeur de santale et de menthe qui lui chatouillait les narines. Ruwa sourit doucement, relâchant la main d’Antef pour rendre l’étreinte à son ami. L’Aksoumite se redressa et dit de sa voix grave.

 – Je suis désolé, Rue, de tout ce qui se passe.

 – Tu n’as pas à t’excuser mais merci, répondit-elle en attardant le contact sur son bras.

 Ils se séparèrent et il la regarda longuement comme pour jauger comment elle allait. Il était son plus cher ami ici avec Iras, kemetienne de basse condition. Tous trois formaient un trio inséparable au sein de la Montagne de la Lune et ils s’étaient toujours soutenus les uns les autres. Depuis quelques temps pourtant, leur relation avait changé. Ils étaient devenus tous les trois plus proches que de simples amis. Elle avait découvert avec Iras les premiers baisers légers d’adolescente au Kemet lors de la fête annuelle des Joies d’Hathor. Avec lui, elle n’avait pas encore passé le cap des baisers malgré leurs longs regards. Tous deux s’étaient toujours imaginés que les royaumes du Kemet et d'Aksoum seraient liés et alliés puisqu’eux-mêmes étaient amis. Si elle détestait l’idée que son royaume se mêle des affaires du sien, elle se sentait mieux respiré de savoir qu’il était toujours auprès d’elle et qu'il lui apportait son soutien. Pourtant, Ruwa s’inquiétait. Asfa était bien intentionné, certes, mais il n’avait pas conscience que ses prises de positions publiques pourraient porter préjudice au Kemet ou à lui-même.

 Ils se mirent en marcher et il l’informa :

 – Iras est en train de parler aux autres kemetiens.

 Si Ruwa n’en fut pas surprise et même un peu soulagée, une part d’elle se disait qu’elle aurait dû parler elle-même aux autres enfants de son royaume, également scolarisés à la Montagne de la Lune. Elle se promit de le faire un peu plus tard.

 Sortant des veines rocheuses et serrées des entrailles de la Montagne, ils se dirigèrent vers l’aile des temples, plus espacée et plus lumineuse également avec le soleil de la journée qui s’infiltrait dans les cavités de la roche.

 – Que vas-tu faire ? J’ai déjà parlé aux miens, nous sommes prêts à nous battre et à te protéger, affirma-t-il avec aplomb, presque brusque.

 Ruwa ne sourit pas et s’arrêta pour regarder Asfa sérieusement, agacée.

 – Je ne veux pas que tu te battes, ni les tiens, pour nous, le recadra-t-elle. Cette affaire ne concerne pas Aksoum.

 – Il va y avoir une guerre ? demanda Antef, perdu, l’angoisse perçant dans sa voix.

 Jetant un regard réprobateur à Asfa pour qu’il se taise, Ruwa se remit à marcher en frottant la main d’Antef.

 – C’est fort possible, répondit-elle franchement, refusant de lui mentir. Il s’en rendrait de toute façon compte et elle n’avait pas le cœur à édulcorer la vérité.

 – Mais pourquoi les Lucra font cela ?, demanda Antef, les sourcils froncés.

 Ruwa soupira et tourna dans un couloir.

 – Parce qu’ils ne sont plus d’accord avec nous.

 – Mais on peut pas se parler pour se mettre d’accord ?

 – J’aimerai bien, Antef. Mais je ne pense pas que ce soit possible. Papa- Pharaon a été emprisonné. Ils ne veulent pas discuter. Tu l’as bien vu avec Amenhotep et ses menaces.

 – Mais il faut le libérer et il n’avait pas le droit de te menacer comme cela ! s’exclama Antef, en colère.

 Ils étaient arrivés dans la bonne aile, les entrées des temples des différentes cultures sorcières s’étaient succédés. Les lourdes portes du temple d'Isis se dressaient à présent devant eux.

 Ruwa poussa la porte du temple tandis qu’Asfa attendait sur le seuil.

 – Oui, on va aller le libérer, répondit-elle d’une voix assurée et calme.

 Dans son champ de vision, le prêtre et la prêtresse aux robes de lin arrivèrent et, après un bref échange durant lequel Ruwa les informa de la situation, ils prirent en charge Antef.

 Ruwa l’observa s’éloigner en lui disant qu’elle serait là rapidement, avec la sensation qu’ils étaient tous les deux plus en sécurité ici que dans le reste de la Montagne de la Lune. Ses réflexions furent interrompues par un toussotement aux lourdes portes. Ruwa expira, se retourna et alla droit sur Asfa. Aucun homme armé n’était censé rentrer dans les temples kemetiens. Elle savait qu’Asfa avait toujours son épée réglementaire en tant qu’héritier de son royaume, peu importe où il allait. Si d’habitude elle lui aurait dit de rentrer en laissant son arme à l’entrée, en cet instant, elle n’en fit rien. Son regard se mit à briller de colère, son iris changeant de la couleur bleutée du Nil pour une couleur or dûe à son affliction magique.

  – S’il te plait ne l’angoisse pas plus qu’il ne l’est déjà !, siffla-t-elle alors qu’elle passait devant lui et que les portes se refermaient.

  Asfa lui prit le bras pour l’arrêter.

  – Je suis désolé, je ne voulais pas. Mais j’insiste, que vas-tu faire Ruwa ?

  – Je n’en sais rien encore Asfa, mais déjà je vais rester ici, au temple…, commença Ruwa, frustrée et pas plus apaisée que cela par ses excuses.

 – Tu ne peux pas rester ici… Il y a les sous-terrains, on peut te faire fuir par les eaux et les peuples des eaux pourront t’aider…

 S’en fut trop pour Ruwa qui se dégagea brutalement de sa main, marquant une certaine distance envers lui.

 – Mais je ne veux pas fuir ! Pour allez où ensuite ? Je laisse mon peuple aux mains de ces sales suppôts de Seth ?! Et mon père ? Et ma famille !

 Elle se sentait estomaquée et malade de sa proposition. Jamais, jamais elle ne laisserait les siens derrière elle. Comment osait-il seulement lui proposer cela ?

 – Il est trop tard… et tu peux venir dans mon royaume, on t’y protègera le temps de…, l’implora-t-il, sa main se levant pour essayer d’initier un contact physique.

 Elle savait qu’il essayait de la calmer mais elle refuse de se faire manipuler même si ses intentions étaient bonnes, et c’était précisément la sensation qu’il lui donnait en posant la main sur elle. Ruwa se sentait en colère, une colère légitime bien qu'elle ne devait pas être tournée contre lui qui n'y était pour rien dans tout cela. Pourtant, elle le repoussa. Asfa s’arrêta et ils s’observèrent longuement en silence jusqu’à ce que Ruwa ne reprenne :

 – Non, tu veux uniquement que je vienne avec toi et que je fuis pour des raisons purement égoïstes.

 Elle n’était pas idiote. Elle savait très bien ce qu’il voulait, ce qu’il avait toujours voulu dans le fond et ce qui semblait se préciser entre eux depuis un certain temps. La mettre à l'abri, c’était une opportunité de réaliser ce rêve, de rendre ce fantasme réalité, et plus que jamais, Ruwa avait conscience qu’elle pourrait accepter sa proposition. Dans le royaume d’Aksoum, elle serait protégée. Khéphren ne risquerait pas une guerre avec ce puissant royaume, tout du moins, pas tant qu’il n’aurait pas l’assurance qu’elle ne serait pas une menace. Mais c’était égoïste et Ruwa ne pouvait pas faire une chose pareille. Elle savait qu’elle n’oserait plus jamais se regarder dans un miroir si elle faisait cela. Ce n’était pas le moment de laisser les émotions flouer son jugement.

 – Je n’abandonnerai pas mon père, ni mon peuple et je ne fuirai pas avec toi, dit-elle catégorique, essayant de se radoucir tout en restant ferme. Je ne peux pas faire cela. Mais si toi et les tiens voulez nous aider, vous pouvez faire des rondes à tour de rôle pour surveiller le temple.

 – Ruwa…, commença Asfa.

 Ruwa se détournait déjà, tremblante de colère et d’indignation qui se mua en un autre sentiment. Ce sentiment, c’était le début d’un mal de cœur qu’elle sentait et de l’angoisse qu’elle essayait de refluer ailleurs. Abandonnant Asfa, elle rentra de nouveau dans le temple. Entendant les portes du temple se clore Ruwa ne se retourna pas pour adresser un dernier regard à Asfa. Le prêtre et la prêtresse étaient agenouillés sur le côté de l’autel, allumant l’encens qui se répandit dans la pièce. Ruwa inspira profondément à s’en faire tourner la tête, le cœur battant, trouvant dans cette odeur le réconfort de quelque chose qu’elle connaissait bien. Le temple était tout d’or et de marbre, hiéroglyphes peints et colorés gravés à même la pierre. Quelques bancs étaient disposés et une fontaine d’eau coulait, venant accompagner les prières du prêtre et de la prêtresse. Au fond se trouvait une statue d’Isis aux couleurs d’or, de blanc, et noir. Le regard de Ruwa se posa sur le faciès inexpressif de son ancêtre avec une dévotion sincère. D’un pas léger, elle s’approcha et vint s’agenouiller entre le prêtre et la prêtresse aux crânes rasés. Puis, elle pria avec la dévotion qu'on lui connaissait.

Ô Grande Isis, Enchanteresse, Mère patiente et femme aimante, protège les miens. Envoie ta lumière et tes protections sur mon père, ma mère, mon oncle, ma tante et mes cousins. Accorde-moi ta malice qui a si souvent gagné contre le dieu rouge Seth. Ô Grande Isis…

 Les genoux ankylosés, elle se rendit compte alors qu’elle émergeait de sa transe spirituelle que le prêtre et la prêtresse n’étaient déjà plus là. Il était tard, suffisamment tard pour que son ventre se rappelle à elle. La petite silhouette d’Antef apparut dans son champ de vision.

 – Je meurs d’une faim d’Apophis, dit Ruwa avec un sourire qui se voulut léger.

 – Moi aussi, dit le garçon en remontant ses lunettes sur son nez avec un sourire. Allons manger.

 Retrouvant la motricité de ses mouvements, Ruwa prit la main de son frère-cousin et ils sortirent du temple.

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