Chapitre 4 - La bibliothèque

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 La bibliothèque de la Montagne de la Lune ne possédait pas de plafond. Lors des intempéries, la pluie et la neige étaient redirigées magiquement au centre de la pièce et tombaient dans les profondeurs de la montagne, la gorgeant d’eau et imprégnant les racines et la roche suintante. La bibliothèque était le cœur même de la Montagne et toutes les parties de l’institution finissaient par y mener. Les grandes et hautes étagères n’étaient pas composées que de livres mais aussi d’objets divers et variés mis à disposition et accessibles tant que l’on en prenait soin. Les bougies infinies semblaient brûler jusqu’à la fin des temps, à moins que lea bibliothécaire ne les remplace d’un coup de claquement de doigts venant alors troubler le silence du lieu. Cet endroit n’avait rien à voir avec la célèbre Bibliothèque d’Alexandrie au Kemet, mais Ruwa avait une tendresse toute particulière pour la Bibliothèque de la Montagne bien plus riche à certains égards car elle rassemblait là tout le savoir existant. La Bibliothèque d’Alexandrie, elle, était un puit exceptionnel dans le passé où l’on pouvait s’y égarer, s’y noyer voire y perdre la raison. Ici, en revanche, tout semblait plus sécurisant.

 Aucun des trois adolescents attablés, pourtant, ne perdait du temps à observer la beauté des lieux.

 Dans un coin entre des rangées de livres, bibelots et fioles de souvenirs, Asfa, Iras et Ruwa étaient penchés sur des parchemins aux couleurs différentes et aux enluminures magnifiques depuis quelques heures maintenant. Ils observaient les différentes notes qu’ils avaient prises, les livres ouverts, sourcils froncés et l’air concentrés.

 – Mais il pourrait t’avoir ici, commenta Iras qui même si elle ne comprenait pas tout à la subtilité de la guerre et la stratégie savait reconnaître que Ruwa prenait un risque non négligeable.

 – Peut-être, mais je pense que de toutes les options, c’est la seule possible…, répondit Ruwa en fronçant les sourcils à son tour.

 – Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dit Asfa qui s’était opposé à toutes les propositions jusqu’à présent. Tu vas être sans protection du début jusqu’à la fin. Que fais-tu si les gardes royaux décident de l’écouter ? C’est de la folie.

 Ruwa fit non de la tête.

 – C’est un risque que je dois prendre, Asfa, mais je veux éviter le bain de sang et à moins que tu aies une autre idée….

 Elle le vit ouvrir la bouche s’apprêtant à lui répondre.

 – Autre que ma fuite, claqua-t-elle.

 Asfa serra les dents, conscient que rien ne la ferait changer d’avis. Ruwa savait qu’il n'avait qu’une seule envie : partir avec elle et Iras dans un endroit sûr, sans doute son royaume à lui. Mais malgré tout, Ruwa ne pouvait abandonner sa famille et son peuple. Le suivre reviendrait à céder à la facilité, au confort et autre chose…

 Le suivre, c’était trahir les siense et se trahir elle-même.

 – Tu dois te reposer, Ruwa, dit Iras en s’approchant de la descendante d’Isis, interrompant le cours des pensées de la kemetienne.

 Les mains baguées d’Iras vinrent prendre en coupe le visage de Ruwa et front contre front elles restèrent un instant ainsi. Iras était une adolescente ronde à la peau caramel et aux cheveux crépus aussi sombres que la nuit. Tout chez elle dégageait une certaine sensualité comme si Hathor elle-même en avait fait une de ses fées. De part leur proximité, son odeur chatouilla le nez de Ruwa. Iras sentait la pêche et les dattes sucrées et goûteuses.

 – Je ne peux pas dormir. Il va faire quelque chose, j’en suis persuadée et je dois être prête ou agir avant lui …, souffle-t-elle.

 Le repos était un surplus pour elle au vu des circonstances. Elle aura le temps de dormir quand son âme aura atteint la Douât.

 – Tu n’arriveras à rien comme cela. On va veiller devant le temple d’Isis avec Asfa.

 Ruwa savait qu’Iras avait parfaitement raison. Elle était épuisée et incapable de réfléchir davantage aux meilleures stratégies. Le front d’Iras se détacha du sien et les deux adolescentes regardèrent le dernier adolescent qui avait bien l’air sérieux.

 – Je veillerai jusqu'au point du jour, dit-il solennellement de son accent chantant.

 Le grand Asfa prit les mains des deux adolescentes et d’un geste tendre et respectueux embrassa leur paume respective, signe de son respect et indéfectible loyauté. Ruwa sentit une pointe de culpabilité la saisir pour son rejet devant le temple d’Isis. S’approchant du jeune homme, elle caressa sa joue doucement.

 – Pardon, souffla-t-elle. Je ne veux pas me disputer avec toi.

 Il sourit de toutes ses dents blanches.

 – Tu es déjà pardonnée, Princesse.

 Sa main se glissa dans la sienne et Ruwa inspira et expira avant de la serrer avec douceur. Avec eux, elle s’était toujours sentie forte et pleine d’énergie sachant que Thot avait eu le même chiffre pour leur existence les liant ainsi dans cette vie. Ils étaient faits pour se rencontrer et s’aimer. Et elle aimait se dire qu’ils ne disparaîtraient pas de sa vie si tout tournait mal, tout en sachant que les déceptions pouvaient être fortes. L’avenir lui semblait plus que jamais incertain.

 Serrant leurs deux mains, les trois adolescents se mirent en route vers le temple d’Isis non sans avoir rangé derrière eux au préalable. Durant quelques instants, Iras se mit à parler de tout et de rien, des derniers enseignements et Asfa lui répondit. Ruwa les écoutait, silencieuse mais non sans sourire consciente alors qu’elle partageait là l’un des derniers moments de son adolescence.

 Participant finalement à la conversation, la jeune fille s’entendit même rire d’un rire léger à une blague d’Asfa. Bras dessus, bras dessous, ils atteignirent le temple d’Isis où un des maîtres de l’école, un corialis, sorcier ayant la capacité de glisser dans la peau d’un tigre, était de garde. Les trois adolescents le saluèrent et Asfa s’arrêta devant les portes du temple. Il reprit les mains de ses deux amies et déposa un baiser sur leur paume avant de souffler :

 – Je resterai éveillé autant que je peux.

 Ruwa s’approcha et déposa un baiser sur son front non sans se mettre sur la pointe des pieds. Puis, elle le remercia et s'éclipsa avec Iras à l’intérieur du temple.

 – Tu veux que je reste un peu ?, demanda la jeune fille en train de refermer la porte de la salle d’eau dans les parties privées du temple.

 L’endroit n’était pas très grand et elles pouvaient à peine tenir à deux dedans. Le mobilier y était sommaire et la baignoire était plus une grosse bassine qu’autre chose pour faire la toilette minimum. Ruwa savait qu’il y avait une chambre dans laquelle Antef devait sûrement être en compagnie du prêtre ou de la prêtresse. Elle avait tenu à ce qu’il ne soit pas seul pendant qu’elle était avec Iras et Asfa.

 – Cela ira. Je n’en ai pas pour longtemps, promis, dit Ruwa qui ne put s’empêcher de regarder un instant le vide prêt de la porte.

 Elle crut avoir vu une silhouette mais elle n’était pas sûre. La porte se referma cependant la laissant seule. Ce ne fut qu’à ce moment-là que Ruwa sentit le mal de tête lui venir. Posant sa tête contre la pierre froide du mur, Ruwa resta un moment à réfléchir à tout ce qui s’était passé lors de cette journée. Une part d’elle en vint à la conclusion que c’était peut-être plus judicieux de fuir mais à peine l’idée émise qu’elle la rejeta et avec colère, elle se déshabilla pour faire sa toilette.

 Quand elle sortit, quelques minutes plus tard, sans fard, sans bijou et une simple robe de lin sur elle, sa longue chevelure noire tombant dans son dos, elle vit Iras et Antef discuter assis sur la couche où ils passeraient la nuit. La chambre n’était pas très grande. En observant les petites idoles des dieux et déesses sur la seule étagère de la pièce, elle se sentit un instant génée pour le prêtre et la prêtresse. Se devait être une de leurs deux chambres.

 – Tu restes avec nous, Iras ?, demanda Antef, le regard plein d’espoir.

 Cette dernière releva la tête vers Ruwa qui s’assit à côté d’Antef. Le garçon se retrouvait entre elle et Iras.

 – Si Iras le veut, oui. Mais nous allons être serrés dans le lit à trois, le prévient-elle.

 – C’est pas grave ! On fait comme ce qu’on fait quand on est avec Tiyi !, s’exclama le garçon dont le visage s’illumina, visiblement rassuré.

 Ruwa sourit et Iras éclata de rire.

 – Ok, mais c’est toi le plus petit alors c’est toi au milieu, d’accord ?, dit Ruwa, enjouée.

 Elle vit le garçon foncer droit sur la minuscule chambre et les deux filles se levèrent pour l’y rejoindre en riant.

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