Chapitre 8 - Le réveil

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 Son sommeil n’était peuplé d’aucun rêve. Il n’y avait qu’un vide apaisant là où aucun cauchemar, aucune peur ne pouvait l’atteindre. Lentement, elle émergea de la lourdeur des effets de la potion. Les battements de son cœur s’accélérèrent et elle ouvrit lentement les yeux. La pièce était plongée dans le noir mais elle sentait qu’elle n’était pas seule. Ce fut le parfum rassurant de Tasi Hangbé qui la saisit en premier et elle sut que la dame du Dahomey avait tenu son engagement et était restée éveillée à son chevet pendant son sommeil.

 – Comment te sens-tu, Princesse du Kemet ?, demanda la vieille femme avant d’allumer une bougie, puis une autre sans bouger d’un battement de cil.

 – Assoiffée…, répondit la kemetienne d’une voix engourdie à cause du contrecoup des effets de la potion de sommeil.

 Déjà, elle se retrouva avec un verre d’eau entre les doigts et le but avidement. Peu à peu, à mesure que l’eau coulait dans sa gorge, elle sentit son corps se réveiller pleinement, sa mémoire aussi, les évènements de la soirée lui revenant et la faisant frissonner et se raidissant.

 – Quelle heure est-il ?, demanda-t-elle d’une voix enrouée avant de terminer de boire avidement.

 – Les premiers prêtres ne feront les premières prières que dans une heure et le jour aussi. Tu as dormi trois heures, lui répondit calmement Tasi Hangbé.

 Elle laissa l’adolescente terminer son verre et le lui reposa sur la petite table de chevet. Puis, elle reprit :

 – Le Septième Fils a agi gravement en envoyant cet homme. La Montagne et le reste des peuples ne peuvent pas cautionner cela.

 L’air sombre et caverneux de la Directrice n’échappa pas à Ruwa. Tasi Hangé lui semblait effrayante subitement, lui provoquant un frisson. Restant silencieuse un long moment, l'aînée et la jeune fille s’observèrent. Ruwa ne put s’empêcher de ressentir comme si elles lisaient chacune dans les pensées de l’autre alors qu’elles n’étaient nullement douées du don de télépathie. Lorsque Ruwa ouvrit la bouche, elle essaya de parler d’une voix un peu plus forte que précédemment comme pour montrer qu’elle allait mieux et que les derniers effets de la potion s’étaient dissipés.

 – Si vous voulez laisser la rumeur se répandre, je ne sais pas si ce sera suffisant pour faire reculer les Seth, dit finalement Ruwa.

 – Mais ce sera sûrement suffisant pour te donner un avantage.

 – Je croyais que nous ne pouviez pas prendre parti, s’étonna Ruwa d’un froncement de sourcils.

 – Il a changé cela à partir du moment où cet homme t’a agressé en ces lieux. Ce n’est pas que le temple, Ruwa. C’est aussi le Montagne. La Montagne de la Lune est, comme tu le sais, la plus vieille école de magie et elle a su perdurer parce que tous les peuples magiques ont décidé que ce serait le seul lieu de paix, et crois-moi en des milliers d’années d’existence, il y en a eu des guerres entre les peuples magiques. Peu importe la culture, c’est un sacrilège que de pénétrer dans un temple de la sorte et encore plus d’y pénétrer armé et d’attenter à la vie de quelqu’un. Aucune nation n’acceptera un tel sacrilège. Peu importe qu’ils soient alliés du Kemet ou non.

 Ruwa acquiesça avant de poser son verre. Tasi Hangbé n’avait pas besoin de continuer plus. Ruwa avait saisi les tenants de l’acte du descendant de Seth par le biais de cet assassin. C’était la paix de ce lieu même qui était remise en cause par ce geste. Qu’est-ce qui disait qu’il n’y avait pas eu non plus d’autres tentatives sur les autres étudiants ? C’était le Kemet qui allait se mettre à dos tous les autres peuples.

 Un frisson la parcourut.

 Si son royaume était encore puissant, une telle catastrophe pourrait leur faire beaucoup de mal. Des alliances pouvaient disparaître mais aussi des accords commerciaux, sans compter les menaces de guerre. Elle espérait que les Lucra sauraient rattraper leur erreur et ils le feraient sûrement, ou ils n’auraient plus rien sur quoi régner s’ils persistaient dans cette voie.

 – L’homme en question, où est-il ?, demanda Ruwa.

 – Enfermé dans une des salles et sous bonne garde. Il ne peut plus rien te faire..., commença Tasi Hangbé.

 – Je voudrais le voir, l’interrompit Ruwa.

 Sa voix était ferme et elle affronta le regarda de la vieille femme avec une certaine dureté.

 Tasi Hangbé garda le silence un instant et sembla la sonder attentivement. Ruwa n'interrompit pas le cours de ses pensées. Elle attendit simplement.

 – Je ne devrais pas t’autoriser à cela après ce que tu viens de vivre …

 – S'il vous plait, la supplia-t-elle. Il peut peut-être m'aider à arrêter Amenhotep.

 Tasi Hangbé eut une hésitation.

 – Certaines règles m’obligent à assister à cet entretien avec toi, l’avertit Tasi Hangbé et Ruwa savait qu’elle ne lui demandera pas si elle était sûre ni pourquoi.

 La vieille femme déplia son corps comme si elle tendait le fils de son arc et y tendait une flèche. Tasi Hangbé ne le lui interdisait pas sa requête. Ce n’était pas un non définitif. Ruwa se releva à son tour. La princesse et l’amazone se retrouvèrent debout face à face.

 – Merci, souffla Ruwa.

 – De quoi, Ruwa ? demanda patiemment la femme.

 – De me faire confiance pour la suite.

 Pour toute réponse, un sourire se dessina sur les lèvres de la femme aux cheveux neige qui sembla subitement sans aucun âge et les deux femmes s’inclinèrent respectueusement l’une en face de l’autre.

 Le prêtre et la prêtresse veillaient ayant rallumé toutes les bougies et les braseros qui distillaient des odeurs agréables. A peine ses yeux se posèrent sur elle qu’Antef courut droit sur elle pour la prendre dans ses bras.

 – Ruwa ! J’ai eu si peur !, s’exclama le garçon dont elle sentait la voix trembler et qu’à la façon dont il la serrait, il était épuisé et n’avait pas beaucoup dormi lui aussi.

 Ruwa le serra dans ses bras fortement comme pour se donner un peu de courage et souffla :

 – Isis m’a protégée. Elle en fera autant avec toi, petit scarabée.

 – Je veux rester avec toi ! Je te jure que je veillerai pour que rien ne t’arrive !

 Attendrie, l’adolescente releva le menton du garçon pour qu’il la regarde dans les yeux.

 – Même la vaillante Sekhmet a besoin de dormir, tu sais. Alors petit Sekhmet, si tu veux veiller sur moi, il va falloir dormir un peu.

 – Mais je ne veux pas !, dit-il avec les paupières qui se ferment toutes seules.

 – Est-ce que cela te rassurera si je reste un peu avec toi ?

 L’enfant eut une moue comme s’il n’osait pas demander. Ruwa savait qu’elle perdait du temps mais elle ne pouvait pas le laisser s’inquiéter et elle n’avait pas tout bu le contenu de sa potion. Cela irait vite. Sans attendre sa réponse, elle prit sa main et l'entraîna dans la chambre.

 – La potion t’aidera à dormir rapidement et sans rêve.

 – Mais tu restes ?, demanda-t-il avec de grands yeux.

 – Bien sûr. Jusqu’à ce que tu t’endormes, dit-elle avec un sourire.

 Antef s’installa dans le lit et Ruwa lui donna la fiole avant de venir se mettre à côté de lui. Comme elle le lui avait dit, il ne lui fallut pas longtemps pour qu’il ne s’endorme. Elle ne sortit pas tout de suite de la chambre et l’observa dormir, se disant que c’était peut-être la dernière fois qu’elle le voyait si son plan se passait mal. Elle essaya d’imprimer dans son esprit ses traits, lui qu’elle considérait comme son petit frère avant de finalement s’arracher à son étreinte enfantine, le cœur lourd.

 Le regard perdu, l’adolescente arriva devant Tasi Hangbé, le prêtre et la prêtresse.

 – Si je ne reviens pas… commença-t-elle, la gorge serrée.

 – Nous prenons soin qu’il ne lui arrive rien, je te le promets, la rassura Tasi Hangbé en posant sa main sur l’épaule de la jeune fille qui essaya de se contenir devant la peur subite qui la prenait.

 Elle ne pouvait pas flancher. Elle n’en avait pas le droit. Elle ne pouvait non plus reculer. Laissant le prêtre et la prêtresse continuer d’apposer des protections magiques en cas d’intrusion, Ruwa et Tasi Hangbé sortirent du temple suivies d’un enseignant, celui des arts du combat. Il s’agissait d’un homme à la carrure impressionnante et qui dégageait une animalité brute. C’était lui le tigre de toute à l’heure réalisa Ruwa qui n’avait aucune idée qu’il était un thérianthrope.

 – Princesse Ruwa, je tiens à m’excuser pour avoir failli tout à l’heure, lui dit-il, le visage fermé.

 Ruwa lui adressa un signe de tête.

 – Vous n’êtes pas fautif, Maître.

 Elle voyait bien qu’il n’était pas content de sa réponse et que cela le travaillait. Elle ne lui en voulait pas. L’assassin était de toute façon neutralisé et c’était finalement tout ce qui comptait. Elle ne savait pas comment il s’était introduit ici mais si le corialis n’avait pas réussi à le détecter c’était que cet homme en question était doué dans son domaine.

 Le reste de la marche se fit en silence. Ils parcoururent les couloirs, descendirent les escaliers pour arriver dans une aile plus isolée des entrailles de la Montagne de la Lune. Ruwa vit la présence de deux autres enseignants devant une porte.

 – A-t-il dit quelque chose, Maître et Maîtresse ?, demanda Ruwa après les avoir salués en s’abaissant légèrement.

 Les deux enseignants s’inclinèrent légèrement.

 – Il n’a pas décroché un mot et est calme, dit la femme à la peau couleur basalt et au magnifique afro.

 – Est-il seul ?, demanda Ruwa.

 – Il y a Maître Salim avec lui mais vous ne vous apercevrez pas de sa présence, répondit l’autre enseignant.

 Ruwa devina donc qu’il utilisait sa thérianthropie également. Tasi Hangbé acquiesça et se tourna vers la kemetienne.

– C’est quand tu veux, Ruwa, dit-elle d’une voix calme. Mais je veux que si je te dis de sortir tu obéisses sans détour. C’est compris ?

 Tasi Hangbé la regardait droit dans les yeux et Ruwa en fit de même lorsqu’elle répondit :

 – C’est promis.

 Sentant une certaine appréhension la saisir, Ruwa observa finalement la porte close. Elle n’avait pas peur, pas vraiment, mais elle sentait que tout ce qui allait se dire dans cette pièce allait être décisif pour la suite.

 Après quelques instants de silence, immobile, la main de la jeune fille se leva. La poignée s’actionna toute seule et la porte s’ouvrit comme si quelqu'un d’invisible venait d’entrer dans la pièce.

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