Chapitre 23
La tête entre les mains, me tirant les cheveux, je pesais le pour et le contre de la situation. Tel à un des personnages de Corneille dans ses dramaturgies, je me sentais pris entre deux feux. Le côté sombre de la pièce n'arrangeait pas les pensées négatives qui m'assaillaient. Je comprenais de mieux l'aphorisme philosophique « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ».
Je regardais un instant la femme en face de moi faisant parti du conseil des voyageurs. Rousse, la quarantaine, lunette carré, cintrée et droite sur sa chaise, me jaugeant d'un air sévère. Celle-ci sétait invitée dans mon bureaux une demi-heure auparavant entourée de ses deux gardes. Elle n'avait pas tord dans son argumentation mais comment réagir face à cette révélation ? N'aurais-je pas envie d'empêcher tout ça au moment voulu ? Bien sûr que si, la question ne se posait pas. Mes larmes montèrent un instant, je ravalais ma salive et respirais un grand coup.
- Donc, Madame Pinson, pourquoi vous venez me voir, Moi ?
Celle-ci était venu à ma rencontre il y a à peine quelques heures. Ma vie avait déjà pris un grand tournant depuis la rencontre avec Lili, mais depuis que cette dame avait franchi le seuil de mon bureau, je mesurais de plus en plus à quel point je n'étais qu'un pion dans la balance de notre présent actuel.
- Sans en dévoiler d'avantage, je vais vous dire que ce qu'il faut que vous sachiez afin de ne pas modifier le court des événements. Dîtes-vous que cela est dû à votre présence à cet instant T et que vous serez le plus à même d'achever cette mission.
Je n'osais même pas penser que ce jour viendrait. Techniquement, celui-ci avait déjà eu lieu, mais mon présent ne l'avait pas encore vécu. Étais-je vraiment prêt à faire ce que l'on attendait de moi ? Aurais-je vraiment le courage de vivre cet épisode de ma vie ? Le choix n'était pas d'actualité.
- D'ailleurs en parlant de cette dernière, reprit la femme, nous savons où est-ce qu'elle se trouve au moment où nous parlons.
je tressaillis à cette évocation, cela faisait plusieurs jours que nous n'avions pas réussie à la localiser. C'est avec le cœur battant la chamade et des yeux pleins d’interrogations et d'espoir que mon interlocutrice répondit à ma question muette.
- Elle se trouve à quarante-six avant la bataille de La Rose et de la Pierre.
- Mais comment vous savez...
La quarantenaire me coupa et reprit.
- Peu importe, dit-elle avec fermeté. Vous allez bientôt la retrouver. Mais avant, j'ai quelques points à mettre au clair avec vous.
J'acquieçsais d'un air entendu.
- Vous comprenez bien qu'il ne faudra pas lui parler de notre accord une fois que vous la reverrez. - Cela me paraît évident, répondis-je sur un ton agressif malgré moi.
Mon libre arbitre n'avait bien sûr aucune place face aux enjeux auxquels nous étions confronté. Mais ma colère et l'injustice que je pouvais ressentir était tout à fait concevable. Je sentis un brin d'empathie vis à vis de moi chez la conseillère. Elle reprit avec une voix plus douce.
- Vous comprenez aussi qu'il va falloir être très prudent avec les « anti-LRP ». Nous avons pour le moment un train d'avance mais ils nous suivent à la trace. Dit-elle d'un air grave en remontant ses lunettes sur son nez. Ils n'ont pas la connaissance que nous avons pour le moment et sont mal informés sur la situation mais c'est ainsi. À chaque conflit, il existe un rival n'est-ce pas ? Sinon celui-ci n'aurait pas lieu.
Effectivement, cette dernière phrase prenait tout son sens. L'incessante bataille du bien et du mal. Sauf que chaque partie a toujours sa part de vérité, celle à laquelle l'on décide d’adhérer ou non, selon notre position et peu importe le camp dans lequel on se place, on pensera toujours faire partie des « gentils » et faire le bien. Me mettant alternativement à la place des pro-LRP et des anti-LRP, je me demandais alors si j'avais raison de prendre la route que j'allais bientôt emprunter. Je faisais confiance à Lili mais en aucun cas je l'accordais aux deux parties. Je décidais alors de prendre celui de ma petite amie. Elle était moins en danger avec le partie de l'intransigeante membre du conseil. Enfin, tout est relatif ruminais-je dans ma barbe. Tellement de questions se bousculaient dans ma tête que lorsqu'elle demanda si j'en avais, aucunes ne franchirent mes lèvres.
-Très bien, pouvons-nous faire appel à vous ?
- Je crois que je n'ai pas vraiment le choix dis-je en un claquement de langue.
- On a toujours le choix, Monsieur Edmund. Mais il est clair qu'il serait plus simple de vous compter dans nos rang que dans celui de nos ennemis.
Oui, la facilité était toujours le moyen le plus adéquat mais pour ma part je n'y avais pas accès. Je devais endosser une responsabilité que je ne souhaitais pas, si je ne le faisais pas, ils trouveraient une solution aux risques de modifier le continuum espace temps. Mais je savais que ce chemin était le plus juste même s'il me paraissait le plus sinueux.
- J'accepte dis-je la gorge serré.
Je vis alors apparaître un sourire de satisfaction sur les lèvres jusqu'ici pincées de la quarantenaire.
-Très bien, nous vous joindrons d'ici peu pour la suite des événements. Expliqua-t-elle en se levant de sa chaise.
Elle tendit sa main vers moi que je serrais avec amertume puis sortit. Une fois la porte fermée, mes émotions se relâchèrent, mes joues inondées par mes larmes, je me demandais à quoi ressemblerait ma petite vie, si celle-ci n'avait pas croisé Lili.
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