Chapitre 41

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Point de vue de Thomas :

Sa question me prend de cours. Pendant un moment j’envisage de lui mentir, faire comme s’il ne s’était rien passé. Mais si je ne peux pas le lui dire à elle, à qui d’autre ? La honte m’étouffe, les mots ont du mal à sortir au début. Ce sont les larmes qui prennent leur place. Mais je finis par tout lui raconter. Ce pari stupide, l’agression de Chloé, ses trahisons, l’humiliation que j’en ai ressenti. A la honte du début succède un soulagement de pouvoir enfin confier mes malheurs à quelqu’un qui ne me juge pas, qui se contente juste de m’écouter. Les larmes que je pense être de compassion coulent sur le visage de ma mère lorsque j’arrive à la fin de mon récit. Elle m’ouvre ses bras pour que je vienne m’y réfugier comme lorsque j’étais son petit enfant. En sentant ses larmes dégouliner sur mes cheveux, la culpabilité revient. De quel droit je la fais pleurer encore plus en ce jour funeste ? Mais la déclaration qu’elle fait alors vient totalement bouleverser mes sentiments :

-J’espère que tu pourras me pardonner un jour Thomas, mais j’ai moi aussi quelque chose à te dire. Je suis en grande partie responsable de ce qui t’arrive ?

Je me décolle de ses bras l’interrogation au creux de la bouche.

-Je ne vois pas en quoi tu pourrais être responsable de quoi que ce soit. J’ai fait des choix qui m’ont conduit là, tu n’as rien à voir là-dedans.

-Justement, je crois que sans moi, ces choix tu n’aurais pas eu à les faire. Mais pour que tu comprennes, il faut que je revienne en arrière peu de temps avant ta naissance.

Tu sais qu'à l’époque, je travaillais dans ton entreprise, j’étais une des collaboratrices de Jean Pierre Chapelier, le père de Pierre-Jean. Le travail me plaisait, ce n’était pas une aussi grosse boîte que maintenant, mais nous développions les marchés, nous baignions dans un dynamisme qui irriguait tout. Jean Pierre appréciait mon travail et me donnait de plus en plus de responsabilités. Tout serait allé dans le meilleur des mondes s’il n’y avait pas eu mon couple qui battait de l’aile. Avec ton père nous nous disputions fréquemment, cela faisait plusieurs années que nous essayions d’avoir un enfant, chaque mois lorsque je constatais que je n’étais pas enceinte, cela me minait un peu plus. Il n’y avait plus de complicité entre nous, nos rapports en étaient devenus mécaniques et ton père refusait d’aller voir les médecins. En cela il n’a pas changé avec le temps !!!  Je lui en voulais de ne pas tout faire pour que la situation évolue.

Puis j’ai eu un retard de règle, léger, seulement quelques jours, mais je me suis mise à nouveau à espérer. Ma joie est devenue intense pendant quelques jours, je me voyais enfin avoir une vie avec mon enfant, mon couple qui allait enfin aller mieux. Et un soir, alors que j’allais partir du travail, mon monde s’est à nouveau écroulé quand mon corps m’a montré que je n’étais pas enceinte. Je suis restée seule à mon bureau à pleurer, je me rappelle on était à la veille du week-end, les collègues étaient tous déjà partis. Moi, je n’avais aucune envie de rentrer chez moi et me confronter à une nouvelle déception de ton père. C’est là que Jean-Pierre m’a trouvé.

Jusqu’ici nos rapports étaient restés strictement professionnels, mais sa bienveillance a su me faire parler, je me suis livré à lui en m’épanchant comme je ne l’avais jamais fait sur la situation. Il a su m’écouter et en retour il s’est lui aussi confié à moi sur ses propres difficultés de couple. Il avait des doutes sur la fidélité de sa femme. Ils avaient des disputes fréquentes, mais il n’osait pas la quitter, car un divorce lui aurait sans doute couté l’entreprise qu’il avait patiemment mis des années à construire. Il avait peur qu’elle ne l’ait en fait épousé que pour son argent. Et puis il espérait toujours qu’elle lui donne un enfant, lui aussi éprouvait cette envie qui me tenaillait.

Lorsque je suis rentré le soir, notre discussion m’avait en partie apaisée. Je me sentais plus forte et j’ai pu mettre ton père devant le fait accompli, soit nous faisions appel à la médecine, soit il me perdait, mais il fallait que quelque chose se passe.

C’est alors qu’il m’a livré la vérité, il ne pourrait pas avoir d’enfants, il avait fait les investigations de son côté, c’était irrémédiable. Il ne m’avait rien dit par peur de me perdre. Si tu sais comme je lui en ai voulu à ce moment-là.

Ses mots me font l’effet d’une bombe lâchée dans un cerveau déjà bombardé à de multiples reprises ces derniers temps. Cela veut dire que mon père n’est pas mon père.

-Attends maman, tu es bien en train de me dire, ce que je crois ?

Tristement, elle me regarde et me dit :

-Oui Thomas, mais s’il te plaît laisse-moi aller au bout, j’ai tût tout cela pendant tellement d’années, après je répondrais à toute tes questions.

Dévasté, tétanisé, j’ai envie de fuir cette conversation, mais je veux entendre ce qu’elle a à me dire. J’ai besoin d’explications. Je me contente donc d’opiner pour lui faire signe de poursuivre.

-Ce soir-là, il a dormi sur le canapé, les suivants aussi. J’ai commencé à me chercher un appartement, j’avais décidé de le quitter. Pendant ce temps au travail, une certaine complicité s’était établie avec Jean-Pierre, j’en étais venu à le considérer comme un ami proche, nous plaisantions de nos situations respectives, cela m’aidait à relativiser et puis cela faisait du bien d’avoir un confident et je crois qu’il en était de même pour lui. Jusqu’au jour où nous sommes partis en déplacement professionnel ensemble. Je ne sais plus qui de lui ou moi a embrassé l’autre le premier. Si je suis honnête, je crois que c’est moi. Ce qui est sûr c’est qu’aucun de nous deux ne l’a regretté. Nous sommes devenus amants. Ce furent des mois de bonheur pour moi et je crois pour lui aussi. Il me disait envisager de quitter sa femme, pour fonder une famille avec moi, quitte à y laisser son entreprise. De mon côté, je n’avais rien caché à ton père. Nous vivions chacun de notre côté et étions totalement séparés.

Bref à l’époque, je pensais que tout ne pourrait aller que mieux pour moi, à quel point je pouvais me tromper alors !!! Ta patronne avait découvert notre liaison. Mais au lieu de faire un scandale, elle a été beaucoup plus maligne que ça. Elle s’est montrée de plus en plus attentive à son mari, de plus en plus aimante. Jean-Pierre a commencé à culpabiliser, même s’il envisageait toujours de la quitter, il prenait juste le temps avec ses avocats pour perdre le moins possible dans le divorce. Tout a changé le jour où elle lui a appris qu’elle était enceinte.

Elle lui a alors balancé notre relation en pleine figure et lui a donné un ultimatum. Soit il me quittait et me licenciait de l’entreprise, soit il ne verrait jamais son fils qui devait naître quelques mois plus tard, sans parler de l’argent qu’il perdrait au passage. Jean-Pierre m’a dit avoir longuement hésité, mais l’idée de ne jamais connaître son enfant lui était insupportable. C’est elle qui a procédé à mon licenciement. Il avait accepté de la laisser prendre en tant que collaboratrice. Elle s’est montrée odieuse, en me disant qu’elle se vengerait que j’aie cherché à lui prendre son mari et elle a tenu parole. Je me suis vite rendu compte qu’elle avait pris contact avec les entreprises de la région pour me faire une mauvaise réputation. Quelques mois plus tard, Jean-Pierre a repris contact avec moi. Stupidement, j’ai cru qu’il avait changé d’avis, lorsque je l’ai vu sur le pas de la porte, j’ai cédé à la passion, nous avons fait l’amour quasi immédiatement. Mais en fait, il venait s’excuser pour le comportement de sa femme, il m’a dit qu’il m’aimerait toujours, mais que son fils passait avant tout. Il m’a proposé de contacter des amis pour m’aider à trouver du travail. A ce moment-là, je me suis sentie une nouvelle fois trahie, je l’ai éjecté manu-militari de mon appartement et je n’ai plus eu de ses nouvelles jusqu’à son décès. J’ai eu beaucoup de difficultés à retrouver un emploi, j’envisageais de retourner chez tes grands-parents, d’autant plus qu’à ma grande surprise, cette dernière fois avec Jean-Pierre n’avait pas été sans conséquence. C’est lui ton père biologique Thomas…


J'encaisse le choc, ses révélations remettent en cause le socle même de mon existence. Mais je continue de l'écouter. Le temps des questions viendra après. Je ne voudrais pas qu'elle se ferme maintenant qu'elle est lancée.

- Une seule chose était sûre pour moi c’est que quoiqu’il se passe, j’allais te garder. Après t’avoir tant attendu, même seule, je te garderais, quitte à t’aimer pour deux.

C’est ton père qui a repris contact avec moi. Il avait appris pour mon licenciement. Il est venu me voir pour s’excuser, il m’a dit qu’il m’aimait toujours, qu’il voulait passer sa vie avec moi, qu’il t’accepterait comme son fils. Bref, il m’a donné une échappatoire inespérée dans ma situation. Il m’a juste fait promettre que je ne te dirais jamais la vérité, afin qu’il puisse t’aimer sans que tu ne puisses lui dire un jour qu’il n’était pas ton père. Et il a tenu parole, n’en doute pas il t’a autant aimé que n’importe quel père biologique, il se serait sacrifié sans aucune hésitation pour toi. Tu aurais vu ses larmes de joie le jour où j’ai accouché. Bien sûr, cela a été un peu compliqué entre nous au départ, la situation était bizarre, mais avec le temps, notre amour est revenu comme quand je l’avais rencontré la première fois.

Voilà, je suis désolé de t’avoir caché la vérité toutes ces années, mais j’étais tenue par la promesse faite à ton père. J’espère juste que mes révélations ne diminueront pas ton amour.

Je reste totalement abasourdi par tout ce qu’elle vient de me dire. Je suis partagé entre la colère, la tristesse pour tout ce temps perdu, si j’avais su, la relation avec mon père aurait été différente, sans doute plus apaisée. Je ne peux pas imaginer qu’elle aurait été plus compliquée que ce qu’elle a été. Mais je reste intrigué, je lui demande donc :

-Tu m’as dit que tu étais responsable de ce qui m’arrive. Je ne vois pas en quoi ? Certes tu as eu une relation avec le père de Pierre-Jean, tu m’excuseras de ne pas l’appeler mon père, pour moi c’est comme si c’était un donneur de sperme, mais je ne vois pas le rapport avec ma situation actuelle ?

Ma mère prend son souffle, avale sa salive, je vois qu’elle retient ses sanglots, elle semble encore plus abattue si cela était possible.

-Tout à l’heure pendant la cérémonie, je ne sais pas si tu as vu ta patronne me parler. Au départ, je pensais qu’elle venait juste pour toi, après tout tu es son employé, c’est normal. Mais elle m’a dit qu’elle avait enfin eu sa vengeance, elle m’a dit avoir brisé ton couple, comme j’avais brisé le sien et qu’à travers toi, elle était sûr de me faire le mal qu’elle avait gardé en elle pendant toutes ces années. Je m’en rends compte encore plus aujourd’hui, mais elle est vraiment mauvaise Thomas. Il va falloir que tu quittes ton travail, parce que si elle en a la possibilité, elle ne s’arrêtera pas là. Je suis désolé, je t’ai fait tant de mal, j’espère que tu me pardonneras un jour.

Puis elle s’effondre en larmes sur la table, fuyant mon regard emplit de rage. Car là c’est le seul sentiment qui subsiste. Bien sûr il y a la colère vis-à-vis de tout ce qu’elle a pu cacher, mais ma haine est à ce moment-là dirigée principalement envers PJ et sa manipulatrice de mère, qui je m’en rend compte maintenant, a téléguidé son fils depuis le début. Le fait qu’elle ait choisi ce jour entre tous pour s’en prendre à ma mère ne la rend que plus détestable. Une interrogation me trotte dans ma tête.

-Vu comment ça c’était fini pour toi, pourquoi est-ce que tu m’as conseillé de postuler dans cette boîte, tu aurais dû te douter qu’elle risquait de s’en prendre à moi.

-C’est vrai, mais sur le moment, je n’y ai pas pensé. Beaucoup de temps avait passé, elle ne me connaissait que sur mon nom de jeune fille, tu te rappelles que nous nous sommes mariés après ta naissance. Je pense que pour moi c’était une manière de te faire connaître indirectement ton père biologique. Et puis je n’ai jamais pensé qu’elle pouvait être machiavélique à ce point. Ensuite tu semblais bien t’y plaire, tout se passait parfaitement pour toi, je n’y ai plus pensé.

-Une dernière question, est-ce que tu penses qu’elle sait pour mon père biologique ?

-Non, je ne pense pas, cela s’est passé plusieurs mois après mon départ de l’entreprise et ton père est revenu dans ma vie quelques semaines après. Pourquoi ?

-J’espère ne pas me tromper, mais je pense que ces deux connards risquent d’avoir une mauvaise surprise prochainement. Je ne peux pas t’en dire plus pour le moment.

Je me lève subitement et avec détermination, je vois l’inquiétude dans le visage de ma mère.

-Qu’est-ce que tu fais Thomas, je t’en supplie ne me laisse pas, attends demain. Je comprends que tu m’en veuille, mais s’il te plaît attend demain, avant de me sortir de ta vie. Pas aujourd’hui c’est trop dur.

Sa question a le mérite de me faire réfléchir à ce que je veux pour notre relation. Instantanément, je sais que je dois lui pardonner. C’est ma mère, je n’en ai qu’une. Je ne peux pas être en guerre avec le monde entier. Et puis ce que je retiens de son récit, c’est que son seul tort est de m’avoir caché la vérité par amour. Je ne peux pas lui en vouloir à elle, ce serait trop dur. Je dissipe immédiatement ses inquiétudes.

-Mais je ne veux pas te sortir de ma vie maman. Je t’aime, je t’aimerai toujours. C’est juste que là j’en ai marre de subir, ce qui s’est passé avec Chloé, la mort de papa, tes révélations, je n’ai fait que subir !!! Maintenant c’est à mon tour d’agir. Mais ne t’en fais pas, je reviens vite vers toi.

Le soulagement mâtiné d’un peu d’inquiétude se lit sur son beau visage. Je lui ouvre mes bras et elle vient s’y blottir en sanglotant. Je lui caresse doucement les cheveux pendant qu’elle me répète en boucle combien elle m’aime et à quel point elle ne mérite pas de m’avoir comme fils. Je finis par me décoller doucement, en lui disant que j’ai des choses à faire. Avant que je franchisse le seuil de la porte, elle me dit :

-Thomas une dernière chose ne condamne pas trop vite Chloé. Elle n’est pas la seule responsable dans ce qui se passe. Ton père et moi avons su nous pardonner mutuellement et je n’ai jamais regretté ce choix. Tu as peut-être la possibilité d’avoir encore une belle vie avec elle.

-Là tu m’en demande un peu trop maman. Je ne suis pas sûr d’en avoir même l’envie.

-Fais comme tu veux, mais pose-toi la question de ce qui te rendra le plus heureux, vivre avec ou sans elle.

Elle me laisse partir sur ces derniers mots. Lorsque j’arrive dans ma voiture, je prends mon smartphone et envoie ce message :

« Est-ce que tu peux m’envoyer votre adresse, j’ai besoin de vous voir. »

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