Chapitre 1 : Maya

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Maya sentit une goutte de sueur perler sur son front, tandis que son père l'observait, perché sur son trône avec une expression de reproche. Ce n’était pas la première fois, et ce ne serait probablement pas la dernière, mais la princesse était décidée à lui faire entendre raison. Jodias Firyali, roi de Tajolian, répétait ce qui était devenu l'équivalent d'un salut dans leurs conversations :

  • C’est trop dangereux.

Maya ne se découragea pas. Calmement, elle répliqua :

  • Pas autant que ça en a l’air. Je ne suis pas ciblée, et de toute façon je sais me défendre. En plus, nous pourrions prouver que nous prenons cette situation au sérieux en envoyant un membre de la famille royale.

Le roi se tut un instant, considérant son argument. Sa peau ébène et son crâne lisse brillaient sous la lumière du soleil qui filtrait à travers les vitres. Ses yeux bruns, d’ordinaire chaleureux, se teintaient toujours de tristesse quand la situation de Maya était abordée. Il ne la tenait pas pour responsable, ne l’avait jamais blâmée pour son manque de magie, et Maya lui en serait toujours reconnaissante. Mais à la place, il essayait de rattraper cette « méprise » de la nature en la protégeant du monde, ou plutôt en essayant. Rester sagement entre les murs du château était contre la nature de la jeune fille.

Dès qu’elle en avait eu l’âge, elle avait appris à s’échapper sans se faire remarquer pour se promener dans les alentours. Bien sûr, elle n’allait jamais bien loin, ne voulant pas causer trop d’inquiétude si son absence était constatée.

  • Je vais prendre en considération ta proposition.

Il soupira, s’enfonça dans son siège et, après quelques instants, reprit :

  • Une délégation provenant d’Ashralynn arrive dans deux jours, et j’ai prévu d’organiser un banquet en son honneur.

Surprise par le changement brusque de sujet, elle ne répondit pas tout de suite.

  • Ah oui ?
  • Oui. Le prince Elios les accompagne.

Maya ne dit rien et le laissa continuer, se préparant à ce qui allait suivre.

  • Il n’a que deux ans de plus que toi et ce serait une alliance qui bénéficierait à nos deux pays si vous veniez à vous unir.

Voyant qu’elle se préparait à protester, son père leva la main pour faire signe de silence. Elle ravala ce qu’elle allait dire, communiquant toute sa contestation dans son regard. Son père sourit.

  • Je ne te force à rien Maya, je te fais seulement part d’une autre option à laquelle tu devrais songer, par égard pour ton royaume. Je vois que tu n’es pas tentée, alors voilà ce que je propose : lors de la réception, tu fais l'effort d’aller parler au prince, passes la soirée avec lui et apprends à le connaître. Si tu me promets de faire ça, je veux bien t’autoriser à partir enquêter sur les disparitions.

La princesse sentit sa frustration monter. Elle n'appréciait pas de voir son père traiter sa volonté d’aider son peuple comme un caprice. Il parlait de « l’autoriser » à y aller comme s’il s’agissait d’un lieu de vacances à la réputation douteuse. Maya n’avait jamais été aussi sérieuse de toute sa vie, mais il semblait ne pas vouloir le comprendre. Cependant, elle savait que faire une histoire à ce stade reviendrait à lui donner raison.

La princesse resta silencieuse, pesant le pour et le contre : les mondanités en lien avec son titre lui avaient toujours posé des difficultés. Ce n’est pas qu’elle détestait discuter, comme la plupart des gens, elle appréciait une bonne conversation. Mais au château, il y avait toujours une intention cachée. Comment pouvait-elle s’amuser en sachant que la personne devant elle calculait chaque mot avec soin, dans le but d’affaiblir une ennemie ou de gagner une alliée ? Démêler le vrai du faux paraissait hasardeux, et demandait beaucoup plus d’efforts que Maya ne voulait en fournir. Elle aimait les choses simples, directes, claires. Comme l'escrime.

Néanmoins, la proposition de son père restait généreuse. Une princesse doit apprendre à faire des sacrifices, se répéta-t-elle. Une soirée. Juste une soirée et elle pourrait faire ses preuves. Elle n’aurait à épouser personne pour devenir reine.

  • Je promets de faire de mon mieux pour divertir notre invité.
  • Et je promets de te laisser enquêter pendant les vingt jours suivants.

Maya serra les dents, agacée par la contrainte, mais finit par incliner la tête avant de sortir de la pièce. Elle arpenta plusieurs couloirs, empruntant le chemin le plus rapide vers la tour Sud. Le château avait deux tours. Sud et Nord. Elles étaient reliées par deux demi-lunes, la forme créant un cercle parfait. Les quatre étages représentaient chacun des éléments : la Terre, le Feu, l’Eau et l’Air. Un hommage à tous les magiciens qui avaient travaillé sur l’ouvrage.

Arrivée au quatrième étage, elle s’arrêta un instant devant la porte de la bibliothèque. Elle avait été façonnée dans un bois imputréscible et plus dure que la pierre par Valuse, l'un des plus grands artisans d'il y a quelques siècles. La porte avait été recupérée dans un temple en ruine, puis restaurée. Plutôt rare, car généralement les temples n'étaient dédié qu'à une déité, on pouvait y voir les six divinité du panthéon Tajolien : Sur le vantail gauche, à l'intérieur d’un cercle, elle distingua le profil peint de Nil, Dieu du Néant, se détachant sur le noir le plus profond. Sur le vantail droit, lui faisant face, Vera, Déesse de l’Existence, entourée de lumière. Sur la partie inférieure des deux battants, de gauche à droite, on pouvait distinguer des représentations de leurs quatre enfants : Obra, Dieu du Temps, Tessali, Déesse du Juste, Alma, Déesse de la Vie, et Cirnos, Dieu de la Matière. Enfin, c'est apélations n'étaient qu'une partie de ce que représentaient chacun de ces dieux, qui étaient associés à un nombre quasi infini d'éléments, concepts ou émotions. Bonne chance à celui qui voulait faire une prière pour trouver à qui l'adresser.

Poussant la porte, Maya fut assaillie par l’odeur familière de vieux livres qui imprégnait la pièce. Chaque mur était recouvert d’étagères atteignant le plafond, à une dizaine de mètres de haut. Des nacelles magiques permettaient d’accéder aux volumes placés en hauteur. Dans l’espace central, des bibliothèques accueillaient les ouvrages qui n’avaient pas trouvé place le long des murs, et des tables, des bureaux et de confortables fauteuils étaient à disposition. C’est dans l’un de ces fauteuils que la princesse trouva son ami Tristan. Il dormait paisiblement, sa poitrine montant et descendant à un rythme régulier, une mèche de ses cheveux bruns foncés tombait sur ses paupières et se soulevait à chaque fois qu’il expirait.

S’approchant discrètement, elle s’inclina pour lui souffler dans l’oreille. Le jeune homme se réveilla en sursaut, laissant échapper un livre de ses mains. Il se leva précipitamment pour le ramasser et l’épousseta. Satisfait de voir l'ouvrage indemne, il se tourna vers Maya :

  • Très drôle ta petite farce, Maya, comme tu peux le voir, je suis mort de rire.

La princesse retint un sourire.

  • Tu ne peux pas m’en vouloir. C’était trop facile.

Il s’affaissa à nouveau dans le fauteuil.

  • Je te pardonne. Je me sens d’humeur généreuse aujourd’hui.
  • Tu veux dire que tu as fait bonne sieste ?
  • Exactement.

Elle sourit un instant, puis son expression redevint sérieuse.

  • J’ai besoin de toi.
  • Ça, ça veut dire « j’ai besoin que tu m'informes de quelque chose parce que je suis trop fainéante pour le chercher moi-même ».
  • Exactement.

Il soupira.

  • Que veux-tu savoir ?

Maya lui expliqua la conversation qu’elle avait eue avec son père.

  • Et donc ? Tu veux des informations sur le prince ?
  • J'ai déjà de bonnes bases, mais comme tu passes plus de temps ici que moi, je me suis dit que tu aurais peut-être des informations supplémentaires.

En effet, durant ses longues heures de cours, elle avait appris qu' Ashralynn était l’empire le plus puissant du continent d'Arhka, réputé non seulement pour son immense armée, mais également pour sa culture qui était un mélange des traditions des différents pays conquis durant le règne de l'Empereur. Ses précepteurs avaient aussi laissé entendre que celui-ci cavait des vues sur Tajolian, mais n'avaient pas insisté sur le sujet. Falona, La Cité des Magiciens, était une forteresse imprenable d'après eux.

  • Je vois. Et tu voudrais des conseils de mode aussi ? J’ai du mal à croire que ton père t’ais autorisée à entrer dans la salle du trône dans cette tenue.

Maya baissa les yeux pour s’examiner et grimaça. Elle sortait tout juste de son entraînement d’escrime. La jeune fille avait passé toute la journée dans la cour intérieure du château à enchaîner coups et parades avec son maître d’armes, qui était aussi le père de Tristan. Sir Osto était l’un des chevaliers les plus respectés du royaume, possédant une maîtrise hors pair de l’épée et de la magie. Talents dont Tristan ne semblait pas avoir hérités.

Les vêtements de la princesse étaient en grande partie couverts de boue (elle était tombée dans un parterre de fleurs encore humide, courtoisie des fortes pluies des derniers jours), sa tunique indigo humide de sueur, quelques brins d’herbe encore coincés dans ses cheveux bouclés noués en queue-de-cheval. Au moins, ses vêtements étaient assortis au marron de ses bottes. Et de sa peau. Et de ses cheveux. Et de ses yeux. L’apparence était loin d’être une priorité chez Maya, mais il y avait quelque chose de profondément injuste dans le fait d’être née princesse, mais d’avoir un physique si anodin. À part une musculature qu’elle avait développée à force d’entraînement, elle n’avait rien qui puisse attirer l’attention. Dans les légendes, les princesses étaient toujours belles, gracieuses, délicates. La réalité était cruellement décevante.

  • Non, merci. Même moi, je pense avoir besoin d’un bain.

Tristan leva les bras au ciel dans un geste dramatique.

  • Bénis soient les dieux !
  • Tu sais que tu devras probablement aussi venir à la réception ? Ton père est un Chevalier Sacré après tout.
  • Je ne vois pas pourquoi je devrais participer à quelque chose juste parce que mon père est quelqu'un d’important, je n’ai rien fait pour mériter cette attention.
  • Si cette excuse était valable, je l’aurais déjà utilisée.

Il grogna, mais ne la contredit pas.

  • Tes précepteurs ont sûrement fait le tour, je ne pense pas avoir grand-chose à ajouter. Mais je te conseillerais de ne pas sous-estimer leurs ambitions, c'est toujours comme ça que les grandes puissances se font vaincre. S’ils s’emparaient de toute la magie présente ici, rien ne pourrait les arrêter. Mais il faudrait déjà réussir à nous battre, et l'Empereur n’est pas idiot. Il serait peut-être capable de nous vaincre en nous épuisant, mais le coût serait beaucoup trop grand pour justifier la campagne. La proposition de ton père ne sort pas de nulle part, je pense que l’empereur Malorus gagnerait aussi beaucoup grâce à ce mariage - si mariage il y a -, il aurait un droit légitime à puiser dans nos ressources.
  • Une situation gagnant-gagnant pour tout le monde donc ? Ce serait presque parfait, si on ne me forçait pas à épouser un inconnu. Et mon avis dans tout ça ? Et encore, je suppose que je suis chanceuse, mon père ne m'a engagée à rien. Tu crois que l’empereur donne ce genre de libertés à ses enfants ?

Tristan haussa les épaules.

  • Qui sait ? Mais sois prudente. Il parait que les gens de là-bas sont des vipères, prends garde à ne pas te faire mordre. Simple conseil, spécialement pour ma meilleure amie !
  • Ta seule amie tu veux dire ?
  • L’un n’exclut pas l’autre !

Maya éclata de rire.

  • Merci du conseil, je ferai attention.

Elle sortit de la bibliothèque, lui faisant un dernier signe de la main avant de refermer la porte derrière elle.

***

Plongeant une jambe puis l’autre dans la baignoire, Maya laissa échapper un gémissement de plaisir au contact de l’eau chaude. Immergeant son corps pendant quelques secondes, elle releva ensuite la tête pour s’essuyer les yeux, s’adossant contre la paroi. Inspirant le parfum des huiles essentielles, elle laissa son esprit divaguer sur la soirée du lendemain, sur ce mystérieux prince dont elle n’avait jamais entendu parler avant aujourd’hui mais qui était devenu le centre des conversations.

Elle se demanda s’il allait ressembler à ces princes de contes, beaux, charmant et courageux, ou s’il allait être comme elle, exécrablement banal ? Elle ne savait pas laquelle de ces options elle préférait.

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