Chapitre 2 : Maya

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Au moins maintenant elle avait sa réponse.

La salle de réception était pleine à craquer, des orbes de lumières blanches et dorées flottaient au-dessus des invités, leur chatoiement se reflétant sur les tenues des couples qui dansaient. Ils avaient probablement enchanté les robes spécialement pour l’occasion car, tandis que certaines s’illuminaient de l’éclat même des orbes, d’autres changeaient de couleur sous leurs auras. Des tables de bois sans pieds, suspendues dans l’air, étaient garnies de mets aussi somptueux que délicieux, uniquement réalisables grâce aux prouesses des magiciens cuisiniers du château. Ça et là, Maya distinguait également des plateaux de boissons zigzagant entre les invités selon un circuit défini par un enchantement.

Falona, la capitale de Tajolian, était également surnommée “la capitale de la Magie”, et l’un des plus grands exploits des magiciens de cette ville était d’avoir découvert un enchantement qui permettait au bois de ne pas pourrir. Depuis, par fierté, ou comme le pensait la princesse, par arrogance, l’enchantement était utilisé partout dans le château et dans les milieux les plus riches du royaume. Quoi de mieux pour entretenir l’ego d’un magicien que de transformer l’un des matériaux les moins chers et résistants en produit de luxe ? Maya aurait fait remarquer que ce n’était pas parce qu’une planche de bois ne pourrissait pas qu’elle ne pouvait pas prendre feu, mais des enchantements existaient déjà pour ça aussi, et le feu d’éclairage ainsi que celui des cheminées étaient spéciaux, ne posant pas de risque d’incendie.

Ce genre d’observation mettait la jeune fille mal à l’aise. Cette sensation d’être entourée de magie, presque étouffée par son omniprésence dans sa vie. Peu importe où elle allait, la magie était partout. Un rappel constant de ce qui lui manquait, de ce qui la rendait incomplète, de ce qui l’empêchait de se mêler à la foule. Oui, elle était mal à l’aise, mais pas autant qu’elle l’avait été quand le prince était arrivé, plus beau que dans ses rêves les plus fous, et que son père lui avait jeté un regard qui en disait long sur la promesse qu’elle lui avait faite.

Cela faisait plusieurs minutes qu’elle l’observait depuis un coin de la salle, essayant de trouver une excuse pour lui parler, ou pour s’enfuir, elle n’était pas sûre. À peine était-il arrivé, qu’il avait été entouré de monde, comme exerçant une force héliocentrique sur les invités. Prince Elios. Le nom avait été bien choisi. Plongée dans sa réflexion, elle ne le remarqua pas quand il s’approcha d’elle pour lui offrir un sourire qui lui aurait gagné la main de la moitié des jeunes filles du royaume. Les orbes dorés faisaient ressortir sa peau hâlée et le dégradé de ses cheveux, blond miel passant au platine sur les pointes. Ses yeux verts émeraude se posèrent sur elle.

  • Nous n’avons pas eu l’occasion de discuter.

Le prince lui sourit. Voyant qu’elle avait un verre à la main, il en prit un quand un plateau volant passa à côté d’eux. Il prit une gorgée, avec une expression indéchiffrable.

  • Qu’est-ce que c’est ?

Maya baissa les yeux sur sa boisson : un liquide bleu foncé légèrement transparent. Elle fronça les sourcils.

  • Bonne question.

Il s'esclaffa.

  • Vous êtes amusante.
  • Ah oui ?

Elle ne comprenait pas ce qu’il y avait eu de si drôle dans ce qu’elle avait dit, mais si ça l’amusait, tant mieux.

  • Ce n’est pas seulement ce que vous avez dit qui m’a fait rire, c’est votre expression. Je vois bien que vous n’avez pas envie d’être là. Vous êtes assez facile à lire.
  • Ah oui ?

Le ton était plus sec cette fois.

  • Ne le prenez pas mal, c’était un compliment. Là d'où je viens, ce genre d’attitude serait considéré comme une faiblesse, mais le fait que vous puissiez encore vous comporter comme ça prouve que les choses sont différentes ici. Je vous envie un peu.

La princesse resta silencieuse, ne sachant pas quoi répondre. Finalement, elle dit :

  • Vous voulez danser ?

Il parut surpris, mais il hocha la tête.

  • Avec plaisir.

Ils se dirigèrent vers la piste de danse, quelques regards curieux se posant sur eux. Il mit sa main sur sa taille, tandis qu’elle posa la sienne sur son épaule, et l’autre sur son bras. Ils commencèrent à danser, suivant le rythme de la musique. La robe de Maya était simple : blanche, drapée, à taille haute, retenue à son cou par un anneau doré. Ses servantes avaient fait de leur mieux pour rendre ses cheveux présentables, mais elles n’avaient pas pu accomplir de miracle. En effet, non seulement Maya n’avait pas de magie, mais en plus celle-ci n’avait aucun effet sur elle ! Ce qui signifiait, pas de sorts pour démêler ses cheveux, hydrater sa peau et autres rites utilisés par la gente féminine. Tout se faisait à l’ancienne. Ou à la normale, si l’on prenait comme référence la personne moyenne en dehors de Tajolian. Mais comme beaucoup de choses, cette idée semblait étrangère aux gens qu’elle fréquentait.

Parfois, elle avait l’impression qu’elle avait une meilleure compréhension que son entourage de la situation de la minorité la plus pauvre du royaume, qui coïncidait, ô surprise, avec ceux qui n’avaient pas de capacités magiques. Cependant, elle supposait que l'absence de magie ne pouvait pas n’être que négative. Après tout, cela forçait les personnes à être plus astucieuses ou originales pour s’adapter à certaines situations. C’était ce qu’avaient fait ses servantes en saupoudrant le long de ses joues et sur son nez de petits éclats d’or, donnant l’effet d’une galaxie d’étoiles scintillant sur son visage et créant un contraste saisissant avec sa peau sombre.

  • Ça vous surprend tellement que je vous invite à danser ?

Elle repensa à son expression quand elle le lui avait demandé.

  • Non, enfin si. À Ashralynn, la danse est plus un spectacle qui s’observe qu’une activité pratiquée par les nobles, et quand cela arrive, c’est plus souvent l’homme qui propose. C’est une bonne surprise cependant.

Maya sourit.

  • Tant mieux. Si vous passez plus de temps ici, vous comprendrez rapidement que le sexe d’une personne n’a que peu d’importance dans ce genre d’affaires. Et dans la plupart d’entre elles pour être honnête.

Tout ce qui compte c’est la magie, se retint-elle de dire.

  • J’ai hâte de voir ça.

Ils continuèrent de danser en silence. L'activité avait beau ne pas être courante chez lui, le prince se déplaça avec grâce et légèreté. Quand la musique prit fin, Elios lui fit un baisemain et ils s'écartèrent pour laisser la place aux autre invités. Adossés contre l’un des murs, ils ne dirent rien pendant quelques instants jusqu'à ce que le prince brise le silence :

  • C’est un accueil très chaleureux que vous m’avez offert, j’en suis reconnaissant.

La princesse haussa les épaules.

  • Mon père est un souverain juste, et il n’a pas spécialement envie d’offenser ses voisins. (Elle repensa à la suggestion qu’il lui avait faite, à la possible union entre Elios et elle) Mais même si, comme vous le suggérez, les choses ne sont pas aussi… tendues qu’à Ashralynn, ne vous bercez pas de l’illusion qu’il n’a pas pour autant ses propres plans pour protéger son royaume.

Maya observait les autres couples qui dansaient, la fatigue commençant à la gagner. Elle voulait retourner dans sa chambre, au calme. Une danse lui avait amplement suffit.

Pressée de mettre fin à son calvaire, elle avait préférée être directe. Ce qu'elle avait dit au prince n'avait rien d'étonnant. Ce serait la position de n'importe quel monarque digne de ce nom. Maya était persuadée que son père avait d’autres idées en tête si elle décidait de ne pas poursuivre sa relation avec le prince. Il ne l’avait pas obligée après tout, ce qui sous-entendait que ce n’était probablement qu’une option parmi d’autres. Restait à savoir combien d’autres.

  • Je n’en doute pas, se contenta-t-il de répondre, comme s’il avait compris.

Au bout d’un moment, il finit par s’excuser, déclarant que le voyage l’avait fatigué et qu’il allait se reposer dans sa chambre.

  • Où est-ce qu’on vous a installé ?
  • Premier étage. L’une de mes fenêtres donne sur la cour intérieure.

Il lui fit un clin d’oeil et elle se sentit rougir.

  • Bonne nuit dans ce cas.
  • Merci.

Il s'éclipsa. Maya jeta un dernier regard en direction de son père, qui lui fit un signe de tête. Enfin libérée de ses obligations, elle sortit, soudainement épuisée par les événements de la soirée. Quand elle arriva enfin dans sa chambre, qui se trouvait au deuxième étage, elle retira sa robe pour mettre quelque chose de plus confortable. Allongée sur son grand lit, elle fixa le plafond. Plusieurs orbes flottant diffusaient une lumière tamisée dans la pièce. Son cœur battait la chamade et elle dut se retourner une dizaine de fois avant de réussir à s’endormir.

***

Le lendemain matin, après son petit déjeuner, la princesse descendit à nouveau dans la salle du trône pour faire part de ses plans à son père. Il l’attendait et quand elle s'avança pour faire une révérence, il se leva pour aller à sa rencontre. Maya leva les yeux vers lui, cherchant sur son visage un quelconque signe qu’il allait revenir sur sa promesse. Elle n’en trouva aucun.

  • Comme convenu, je te laisse enquêter. Par quoi vas-tu commencer ?
  • Je vais me rendre en ville, sur les lieux de la dernière disparition et interroger les passants pour m’assurer qu’aucun indice n’a été raté. Selon les résultats, je verrai ce que je ferai.

Le roi hocha la tête. Il lui mit une main sur l'épaule et sourit.

  • Bonne chance.
  • Merci.

Elle le salua une dernière fois avant de sortir. Quand les portes de la salle se refermèrent derrière elle, Maya remarqua que quelqu’un se tenait là en retrait. Se retournant pour lui faire face, elle déclara sur un ton sarcastique :

  • Il est un peu tôt pour m’espionner, vous ne trouvez pas ?

Elios lui offrit un autre de ses sourires solaires et haussa les épaules.

  • Je ne me cachais pas vraiment, donc ce n’est pas de l’espionnage. J’ai appris que vous alliez chercher des informations à propos des disparitions de magiciens. Serait-il possible que je vous accompagne ?

La princesse leva un sourcil, surprise qu’il soit au courant des disparitions. Vu la façon dont il avait formulé la phrase, il ne venait pas de l’apprendre en écoutant la conversation avec son père. S’il avait appris cela en une nuit, alors il ne devait pas être sous-estimé. Peu de personnes avaient été informées en dehors du chateau pour éviter la panique. Tajolian avait beau avoir un taux de criminalité assez bas, les chevaliers ne manquaient pas de travail. Ils étaient dispersés dans tout le royaume, parfois sous le commandement d'un Chevalier Sacré, pour combattre les attaques de groupes anti-magie.

Ces groupes existaient depuis déjà très longtemps, mais leurs actions étaient devenues de plus en plus audacieuses au fil des années. Ils étaient ce qui empêchait le royaume d'être complètement en paix. Ils n'y avait pas beaucoup d'informations sur eux, à part, bien sûr, qu'ils haïssaient les magiciens et particulièrement ceux de grandes lignées. Les adeptes ne se laissaient jamais capturer, et Maya avait entendu dire qu'ils se donnaient la mort quand ils réalisaient qu'ils ne pouvaient pas s'échapper. Personne ne savait d'où venait cette haine si intense, sans compter qu'ils comptaient apparemment des magiciens dans leurs rangs. Son savoir s'arrêtait là, le reste était confidentiel même pour une princesse.

  • Ça dépend. Est-ce que mon père vous tient en laisse ?
  • Non.
  • Dans ce cas, pourquoi pas ? Je suis sûre qu’il n’aura pas d’objection à nous voir ensemble, même si je suis certaine qu’il préférerait une après-midi thé et petits gâteaux.
  • Vous avez quelque chose contre les petits gâteaux ?
  • Non, même si en général je préfère le salé.
  • C’est noté.
  • Très bien, dans ce cas je vais juste aller dire bonjour à un ami et nous pourrons partir.

Il acquiesça et ils se mirent en chemin. Maya prenant la direction familière de la bibliothèque. Ils croisèrent la route d’étudiants de L’Académie Royale de Magie qui était affiliée au château. Une passerelle avait été construite de sorte qu'ils puissent naviguer entre les deux bâtiments sans avoir à quitter l’enceinte des fortifications magiques. C’était une façon de concentrer les défenses en un seul endroit au lieu de gaspiller des ressources en protégeant deux constructions à deux emplacement différents.

C’était également utile, car les étudiants avaient pour mission, chaque semaine, de réapprovisionner en magie les centaines d’enchantements activés de manière permanente dans tout le château. Cela leur servait d'entraînement, mais était également un moyen pour eux de « payer » leur scolarité. L’Académie, financée sur la cassette royale, dispensant ses cours gratuitement aux élèves ayant réussi l’examen d’entrée.

Au bout d’un moment, les couloirs devinrent déserts et un silence gênant s’installa entre eux. Mais avant que Maya ait pu trouver quelque chose à dire, un grognement se fit entendre. Le son venait de l’infirmerie, et la princesse interrogea une des guérisseuses qui venait d’en sortir.

  • Quelqu’un est blessé ?

Celle-ci sembla hésiter pendant une seconde, puis répondit :

  • Votre ami, messire Tristan.

Son sang se glaça. Inquiète, elle demanda :

  • Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

La guérisseuse haussa les épaules.

  • Demandez-lui, il refuse de donner des détails.

Maya se précipita à l'intérieur de l’infirmerie et trouva Tristan, assis sur l’un des lits, des hématomes sur le visage et les bras. Il s’efforça de lui sourire.

  • Maya ! Ça fait plaisir de te voir.

Sa peau, d’ordinaire basanée, était terriblement pâle et la princesse sentit son cœur se serrer. Derrière elle, la porte se referma et Elios vint près d’elle. A sa vue, tout ce qu’il y avait d’agréable dans l’expression de son ami disparut instantanément, remplacé par une froide indifférence.

  • Vous formez déjà la paire à ce que je vois.

Elle ignora le mordant de sa voix et s'assit à côté de lui. Elios s'approcha aussi mais resta debout.

  • Qu’est-ce qui s’est passé ?
  • Rien ! Je ne vois pas pourquoi vous en faites tout un plat ! Après la soirée j’étais un peu ivre et je suis tombé dans les escaliers. Point final.
  • Je ne te crois pas.
  • Tant mieux pour toi ! Moi je me crois et, franchement, est-ce que ce n’est pas le plus important ?

Maya se retint de lui donner une bourrade, par peur de lui faire mal. Elle n'insista pas car elle savait que quand il s’entêtait, il était impossible de le faire changer d’avis. Et elle ne voulait pas l’embêter encore plus alors qu’il était déjà en piteux état. Mais elle n’allait pas en rester là. On ne se faisait pas ce genre de blessures en tombant dans les escaliers. Elle allait trouver celui ou ceux qui lui avaient fait ça. Et ils allaient payer.Se souvenant qu’il avait mentionné la soirée, elle se sentit soudainement coupable de ne pas l’avoir cherché. Si elle avait été lui parler, elle l’aurait raccompagné à sa chambre et il ne lui serait peut-être rien arrivé.

  • Je suis désolée de ne pas avoir été là.
  • C’est rien, tu n’aurais rien pu faire de toute façon.

Maya leva le sourcil.

  • Je veux dire que même ta présence ne m’aurait pas empêché de me casser la figure comme un idiot.

Elle soupira.

  • Si tu le dis.
  • Je le dis. Et donc, où alliez-vous de si bon matin ?

Ce fut Elios qui répondit :

  • J’allais accompagner la princesse pour une enquête sur les disparitions de magiciens.
  • Je suis sûr qu’avec l’aide de Son Altesse, Maya n’aura pas de soucis à se faire.

Le ton sur lequel il avait dit Son Altesse était tellement acerbe qu’elle prit quelques secondes pour assimiler ce qu’elle venait d’entendre.

  • Tristan, qu'est-ce que tu…
  • Est-ce que je vous ai fait quelque chose ? l’interrompit Elios.

Tristan ricana.

  • Non, je suppose que non.

Il ne dit plus rien, et Elios le dévisagea pendant quelques secondes avec un air étrange avant que son visage ne redevienne inexpressif. Exaspérée par le comportement de son ami, Maya se dirigea vers la sortie. La main sur la poignée, elle se retourna une dernière fois dans sa direction.

  • Tu as quelque chose à dire avant que je parte ?

Il resta silencieux, évitant de croiser son regard. Elle eut tout juste le temps d’entrouvrir la porte avant de l’entendre dire :

  • Cherche la prochaine victime.
  • Quoi ?
  • Si tu ne trouves pas le responsable des disparitions, essaye de trouver la prochaine personne sur la liste. Il ne pourra pas s’échapper si tu le prends la main dans le sac. Probablement...

Elle le remercia d’un signe de tête et sortit, suivie pas Elios. Une fois de retour dans les couloirs, le prince dit :

  • Je présume qu’il est l’ami dont vous me parliez.

Maya secoua la tête.

  • Je suis désolée. Il n’est pas comme ça d’habitude, je ne sais pas ce qui lui a pris.
  • J’aimerais bien le savoir aussi.

Il jeta un dernier coup d’oeil vers l’infirmerie, les sourcils froncés, comme si, en faisant assez d'effort, il arriverait à voir à travers la porte, et à travers le comportement de Tristan.

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