Chapitre 7 : Maya

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Même sans ses vêtements princiers, Elios avait du mal à ne pas se faire remarquer.

Ils s’étaient déjà fait arrêter, ou retarder, plusieurs fois pendant qu’ils interrogeaient les passants, mais Maya n’arrivait pas à lui en vouloir. Ils en avaient appris beaucoup plus que si elle avait été la seule à poser les questions. Surtout auprès des filles. Ils avaient préféré se faire passer pour de simples curieux plutôt que de déclarer leurs identités royales afin de moins attirer l’attention. Peut-être qu’ils obtiendraient des détails que certains avaient omis de mentionner aux gardes. Tandis qu’Elios se débarrassait d’une jeune femme un peu trop insistante, la princesse ne put s’empêcher de ressentir une pointe de jalousie. Pas envers la femme, mais envers Elios. Elle aussi aurait aimé avoir cette aura, qui se rapprochait plus d’un panneau « APPROCHEZ-MOI » qu’il trimballait partout. Si ça avait été le cas, peut-être que son père lui aurait plus fait confiance.

Penser à ce genre de chose ne servait à rien, se rappela-t-elle en se massant les tempes. Elle tourna la tête et aperçut Elios qui revenait vers elle avec un sourire satisfait.

  • La pêche a été bonne ?

Il rit.

  • Au sujet de la disparition, je n’ai rien appris que l’on ne sache déjà : le magicien n’avait pas d’ennemis, mais on ne lui connaissait pas vraiment non plus d’amis proches. Le soir de sa disparition, il était de sortie quelque part, personne ne sait où.
  • Ah ! Quel plaisir de voir que l’enquête avance à grand pas !
  • Mais j’ai repensé à ce qu’a dit messire Tristan, à propos de trouver la prochaine victime avant qu’elle ne soit attaquée...

La princesse acquiesça. Même si son ami avait été désagréable, son conseil était bon, et ils n’avaient pas de raison de l’ignorer.

  • Et alors ? Vous avez un nom ?
  • Pas le nom d’une personne, plutôt celui d’un endroit. Un endroit où on peut trouver beaucoup de magiciens puissants et qui n’est pas connu de tout le monde, apparemment.
  • Alors ? Le pressa-t-elle.
  • Avez-vous déjà entendu parler des Arènes Fantômes ?

Le sang de Maya se glaça.

  • Sérieusement ?

Elios hocha la tête. Les Arènes étaient une mauvaise idée. Très mauvaise. Cela faisait des années que son père essayait de s’en débarrasser. Il avait presque réussi il y avait une vingtaine d’années. Mais ils avaient appris que d’autres avaient été reconstruites. Et mieux cachées que les précédentes. Tellement bien cachées qu’encore aujourd’hui les autorités ne savaient pas où elles se trouvaient. Secouant la tête, Maya demanda au prince :

  • Vous savez où elles sont ?
  • Non. Mais j’ai le nom de quelqu’un qui le sait.

C’était de la sorcellerie, pensa-t-elle. Il était là depuis deux jours et il savait déjà où trouver les Arènes ? Aucune magie n’avait pu les localiser, mais il avait réussi ? Juste avec quoi ? Son sourire ? Ses bonnes manières ? C’est vrai qu’il avait du charme, mais cela semblait difficile à croire.

  • Est-ce que vous avez entendu parler de Cardège ?

Elle s’arrêta net.

  • Cardège ?
  • Vous connaissez ?
  • C’est l’une des familles aristocrates les plus puissantes du royaume.

Une lignée millénaire, respectée de tous et qui s’était spécialisée dans la maîtrise de la terre, des plantes, de la nature en général. Ils étaient d'excellents guérisseurs. C’était un de leurs ancêtres qui avait trouvé la formule qui empêchait le bois de pourrir. D’après ce que Maya avait entendu, malgré un grand orgueil de leur rang, les Cardège n’en restaient pas moins de fidèles sujets, elle avait du mal à les imaginer liés d’une quelconque manière aux Arènes.

  • Vous êtes sûr de ce que vous dites ? C’est une accusation grave.
  • Je suis sûr de ce que je dis. Je ne peux pas me prononcer sur la véracité des propos de la personne.

La jeune fille réfléchit. Il y avait plusieurs façons d’appréhender le problème. Avec l’accord de son père, elle pouvait se confronter de manière officielle avec les Cardège. Ou elle pouvait essayer d’obtenir une entrevue plus privée. Sans élément précis à présenter à la famille Cardège, elle craignait que l’une comme l’autre de ces options ne se retourne contre elle. De plus, il lui manquait une précision cruciale :

  • Est-ce que vous savez de quel membre de la famille Cardège il est question ? D’après ce que je sais le chef de la famille s’appelle Elan, il est marié et a une fille.
  • Mon informatrice en parlait comme si c’était une femme.
  • Bien, la liste se réduit. Je n’ai pas envie de mêler mon père à cette histoire alors que j’ai moi-même du mal à y croire. Je propose de tenter notre chance avec la fille Cardège qui est étudiante à l'Académie.
  • Ce qui signifie ?
  • Elle sera plus facile à contacter. Plus simple. Plus discret. Moins officiel.

Elios sourit.

  • Allons voir cette jeune fille alors.

***

La jeune fille, qui était plutôt une jeune femme, s'appelait Flora.

La princesse aurait aimé dire qu’elle le savait parce qu’elle avait pris soin de mémoriser les noms de tous les membres de l’aristocratie lors de ses cours, mais c’était surtout que Flora était populaire à l'Académie, autant pour sa personnalité que pour ses talents magiques, et qu’il n’était pas rare d’entendre des discussions à son propos en arpentant les couloirs. Le concept de discrétion n’était pas connu de tous, apparemment.

Pour l’instant, Maya et Elios marchaient tranquillement. Les rues de Tajolian, et particulièrement celles de Falona, étaient magiques. Pas magiques dans le sens « incroyables » ou « magnifiques », même si ces mots pouvaient aussi être employés. La magie était partout : dans l’architecture des bâtiments défiant la loi de la gravité, dans les chaussées aux couleurs sans cesse changeantes, dans l’harmonie des sons rendus par les machines enchantées, dans la symphonie de parfums embaumant l’air. Tout était empreint d’un défi envers tout ce qui était naturel. La Capitale de la Magie, aussi nommée la Cité des Magiciens, était devenue légendaire. D’un côté, un marchand faisant l’article d’un tissu qui changeait de teinte selon l’humidité de l’air, de l’autre, des enfants courant et se lançant des poignées de poussière étoilée. La poudre, inoffensive, absorbait la lumière du jour pour créer un nuage de paillettes arc-en-ciel qui scintillait quelques secondes avant de s’évanouir. La princesse se souvenait avoir abusé de cette poussière quand elle était plus jeune, et le souvenir la fit sourire.

Se tournant vers Elios, elle remarqua que son regard fixait le tableau avec une fascination qui lui réchauffa le cœur. Quant à Maya, malgré son handicap de magie, elle trouvait cette scène parfaitement naturelle. C’était le royaume dans lequel elle avait grandi. Mais pour le prince, le changement de décor devait être de taille. Elle doutait qu’il ait quoi que ce soit de similaire à Ashralynn. Où que le regard d’Elios se posa, son expression d’émerveillement se renouvelait et Maya pouvait presque entendre les différents rouages s’enclencher dans son cerveau. Ses lèvres étaient entrouvertes, comme sur le point de poser une question, mais son attention était toujours redirigée autre part avant qu’il ne le fasse. C’était peut-être mieux ainsi, se dit-elle. Bien qu’elle ait des connaissances sur la capitale, le rôle d’encyclopédie vivante convenait bien plus à Tristan. Il avait lu tellement de livres que Maya se demandait comment il arrivait encore à absorber de nouvelles informations.

La bibliothèque était pour lui comme un refuge. Peu importait l’heure de la journée, et parfois même de la nuit, la princesse était sûre de trouver son ami là-bas.

Le jeune homme n’avait pas changé. Déjà quand ils étaient enfants, il se promenait toujours un livre à la main, lisant des textes dont il ne comprenait pas la moitié des mots tandis qu’elle s’acharnait lors de ses entraînements d’escrime. La rumeur courait que Tristan n’était pas doué en escrime, ou dans le maniement d’une quelconque arme d’ailleurs, ce qui lui valait des moqueries encore aujourd'hui. La réalité était un peu différente. Ce n’était pas forcément que Tristan n’avait pas de talent, c’était juste qu’il n’avait jamais pris la peine d’essayer. Quand son père, Osto, avait tenté de lui apprendre les rudiments militaires, il s’était tenu crânement devant lui, l’avait fixé du haut (ou plutôt du bas) de ses neuf ans et lui avait dit d’un ton déterminé : Je ne deviendrai pas chevalier. Le cœur d’Osto en avait été brisé, et il avait essayé pendant de longues années de faire changer d’avis son fils. En vain.

Maya aurait dû lui en vouloir pour ça. Elle rêvait d‘être chevalier. Et elle était l’élève d’Osto. Mais elle n’avait pas pu s’empêcher d’être admirative devant la bravoure que ce geste avait demandé. En refusant d’être chevalier, elle pensa paradoxalement qu’il s’était comporté en vrai chevalier. Se battant pour ses convictions, pour ce qu’il croyait juste.

Maya pressa le pas, entraînant le prince avec elle. Leur destination n’était plus très loin, et il était préférable d’y arriver avant la fin de l’après-midi. Après avoir tourné à plusieurs reprises, ils se retrouvèrent dans une rue un peu plus étroite, mais tout aussi animée. La princesse s’arrêta devant la porte d’un salon de thé. La porte était en verre et de grandes fenêtres permettaient de distinguer l'intérieur. Un sol carrelé, des tables rondes blanches décorées de vases fleuris, des divans et des fauteuils blanc et vert confortables. Des tableaux sur les murs.

Dès qu’ils eurent franchi la porte, une serveuse vint les accueillir.

  • Bienvenue à L’Azalée, que puis-je faire pour vous ?
  • Je cherche quelqu’un, répondit la princesse, est-ce que Flora Cardège est là ?

La serveuse sourit.

  • Oui, par là je vous prie.

Elle ne les avait absolument pas suspectés. Elle n’avait pas de raison. L’Azalée était un salon de thé fréquenté par une bonne partie des étudiants de l’Académie, particulièrement ceux de bonne famille. Maya avait préféré vérifier la présence de Flora à cet endroit avant de devoir s’embusquer pour attendre son passage dans un couloir du château, et elle avait manifestement bien fait. La serveuse devait sûrement penser qu’ils étaient de ses amis.

La jeune aristocrate était assise à une table, en train de dire au revoir à des amis. Une fois que ces derniers furent partis, Maya s’avança vers elle.

  • Flora Cardège ?

La jeune femme lui sourit poliment.

  • Oui ?

Elle avait le teint clair et le visage constellé de taches de rousseur. Ses longs cheveux cendrés était coupés en frange droite, deux tresses tombaient de chaque côté de sa tête, le reste de son abondante chevelure était retenu en arrière par un bandana turquoise. Elle portait de grosses boucles d’oreille : des disques dorés échancrés dans leur partie supérieure. Le reste de sa tenue était assorti à son bandana : une robe décolletée turquoise, dénudant une partie de ses épaules, lui arrivant un peu au-dessus de la cheville et retenue à la taille par une fine bande de tissu vert foncé. Ses poignets étaient sertis de bracelets colorés.

A part les bijoux, le reste de sa tenue ne collait pas vraiment avec celle d’une fille d’aristocrate. Comme si une partie d’elle-même essayait de rendre moins évidentes extérieurement ses origines sociales, mais sans les effacer complètement. Flora les observait, ses yeux vert pâle brillant d’une intelligence qu’elle semblait vouloir cacher sous une attitude enjouée, et une petite voix intérieure murmura à Maya qu’elle était sur la bonne piste.

  • Je suis venue pour… vous poser des questions.

L’interrogatoire commençait bien. Si elle n’avait pas l’air confiante, elle n’obtiendrait rien. Se redressant, elle ajouta :

  • Je suis Maya, et voici Elios. Nous sommes à la recherche d’informations sur les Arènes.

Flora, qui était en train de porter une tasse de thé à sa bouche, s’arrêta une fraction de seconde. Puis reprit son geste. Une fois qu’elle eut avalé une gorgée, elle reposa la tasse sur la table et se mit à l’aise sur son siège.

  • Désolée de vous décevoir, mais je n’ai rien à voir avec les Arènes.

Et Maya l’aurait presque crue, aurait presque été convaincue que ce minuscule arrêt, cet petit moment d'hésitation, n’avait été que le fruit de son imagination, si Elios ne s’était pas tenu à côté d’elle, le regard fixé sur la jeune femme, ne disant rien, ne bougeant pas. C’était comme si toute l’attention du prince était concentrée sur Flora, analysant chacune de ses respirations, chacun de ses gestes au millimètre près. La jeune femme ne flancha pas sous l’inspection et soutint son regard. Après ce qui parut une éternité, Elios déclara :

  • C’est à propos des disparitions de magiciens.

Flora écarquilla les yeux. La confusion se peignant sur son joli visage.

  • Quoi ?
  • Les disparitions ont un lien avec les Arènes. C’est pour ça que nous voulons y accéder.

Flora tendit la main pour reprendre sa tasse, mais se rendit compte qu’elle était vide. Poussant un soupir résigné, elle posa quelques pièces sur la table et murmura :

  • Nous allons en parler dehors.

Ils la suivirent sans un mot, mais échangèrent des regards entendus.

Elle les emmena dans un enchevêtrement de ruelles et au bout d’un moment, Maya demanda :

  • Où allons-nous ?

Flora ne prit même pas la peine de se retourner.

  • Quelque part ou nous pourrons parler tranquillement. Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous assassiner, j’aurais du mal à avoir mon diplôme avec le sang de deux royaux sur les mains.

La princesse s’arrêta net.

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