Chapitre 14 : Laelie

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La chambre dans laquelle Laelie se trouvait était un refuge possédé par la guilde La Cage d’Argent. Celle-ci possédait toutes sortes de refuge et abris disséminés aux quatre coins du pays, certains dans des emplacements secrets et uniquement accessibles par leurs membres. Membres dont Arel faisait parti.

C’était la raison pour laquelle personne ne les avait trouvés. Néanmoins, ils ne pouvaient pas rester là-bas indéfiniment. Les guildes ne pouvaient pas prendre parti dans ce genre de situation, utiliser leurs quartiers était donc hors de question.

Vu qu’elle avait laissé sa cape dans le Sanctuaire, Arel lui prêta un de ses manteaux. Quand ils sortirent, Laelie se rendit compte qu’ils se trouvaient dans une petite chaumière, au milieu de la forêt.

  • On est à environ une heure du manoir Raisviel.

La jeune fille ne dit rien et se contenta de le suivre. La forêt était calme, la neige recouvrait un bonne partie du sol tandis que les arbres nus se tordaient dans des formes baroques, les brindilles se brisaient sous leurs pieds, rompant le silence à un rythme régulier. Au bout de plusieurs minutes de marche, Laelie se demanda sur quoi se reposait l’approximation d’Arel. S'ils étaient à une heure de marche du manoir, alors combien de temps avait-il pris pour la porter jusqu’ici ? La Sanctuaire était encore plus éloigné, et avec un poids en plus, il avait dû marcher pendant encore un long moment. Elle ne voyait pas ce qu’il avait à y gagner. Les mercenaires ne faisaient rien sans attendre de récompense. Mais Laelie n’avait rien à lui donner. Rien qui ne rivalise avec ce que l’autre seigneur lui avait probablement payé. Il avait violé un contrat de manière publique, sa réputation avait dû en prendre un coup. Et la réputation était vitale à un mercenaire. Si on ne pouvait pas croire en sa parole, alors personne ne prendrait le risque de l’employer.

Quand ils sortirent enfin de la forêt, Laelie s’entendit demander :

  • Vous pensez que mon père va m’accepter ?

Arel continua à marcher et au bout de quelques secondes, il répondit :

  • Qu’est-ce que mon opinion peut bien valoir à vos yeux ?

Après cela, ils finirent le chemin en silence. Il prirent des sentiers déserts, avant de se rediriger vers la route principale menant vers le manoir. Une fois devant le grand portail de métal noir, Laelie sentit ses mains s’engourdir. Ou il était plus juste de dire que ses mains étaient engourdies depuis un moment, mais qu’elle venait de le remarquer. Si près du but, si près de son foyer. Pourtant, elle se sentait étrangère. Et quand le portail s’ouvrit dans un grincement, elle ne put s’empêcher de penser que le son ressemblait à un rire sinistre.

Ils montèrent les quelques marches qui menaient à la porte d’entrée. Quand Laelie frappa, un serviteur vint lui ouvrir. La femme semblait surprise de la voir, mais revêtit aussitôt une expression neutre en l’accompagnant au bureau de son père.

L'intérieur était comme dans ses souvenirs. Le grand bureau de bois vernis recouvert de papiers. Un bougie dans un coin, un encrier et un pot rempli de plumes de l’autre. Derrière, elle pouvait reconnaître la grande étagère remplie de livres qu’elle connaissait depuis l’enfance.

Son père était assis sur la chaise, courbé sur une feuille de papier qu’il semblait se forcer à lire. Quand elle entra dans la pièce, il eut un léger soubresaut qu’il tenta de cacher. Il leva les yeux vers elle et, dans son regard, Laelie lut la peine, la déception. La peur.

Et ce fut comme un coup en pleine poitrine. La jeune fille garda ses mains le long de son corps et entra dans la pièce, laissant Arel l’attendre derrière la porte. Une fois seuls, son père fut le premier à prendre la parole :

  • Qu’y-a-t-il, Laelie ?

Est-ce que tu me détestes ? Tout ce qu’elle voulait, c’était courir dans les bras de son père, mais quelque chose lui disait qu’il ne serait pas aussi accueillant qu’avant. Son expression était crispée, et l’affection avait complètement quitté sa voix.

  • Je… je suis heureuse de voir que tu vas bien.

Le seigneur de Cardola poussa un long soupir, comme s’il était embêté par la situation.

  • Que veux-tu ?

Laelie se sentait sur le point de pleurer, mais fit de son mieux pour retenir ses larmes. Elle avait l’impression que si elle essayait de dire quoi que ce soit, sa voix allait se briser. Retenant ses tremblements, elle tenta de calmer les battements de son cœur et de se concentrer sur chaque mot :

  • Est-ce que ...tu veux… que je parte ?
  • Je n'en sais rien, Laelie.

Il se leva pour se rapprocher d’elle. Il tendit la main pour la toucher, mais fronça les sourcils avant de se reprendre.

  • Tu es une Nymphe, je ne dois pas… je ne peux pas me permettre de tenir à toi. Prends ce qu’il te faut et part. Une fois que tu auras franchi la grille, tu ne seras plus ma fille. J’ai comme un doute que tu ne l’as jamais été de toute façon.
  • Quoi ? gémit-elle.
  • Laelie, ni moi, ni ta mère n’avons les yeux bleus.

Ni moi, ni ta mère n’avons de magie. Voyant son expression horrifiée, son père ajouta avec un sourire amer.

  • On dirait qu'Olise a oublié de mentionner certaines choses.

Ne pouvant plus supporter d’entendre un mot de plus, la jeune fille sortit du bureau pour aller dans sa chambre. Ou du moins c’était ce qu’elle supposait. Après ce que son père lui avait dit, elle avait l’impression que quelque chose s’était irrémédiablement brisé en elle. Sa place dans l’univers avait disparu. Comme pour lui épargner cette réalisation pendant quelques secondes de plus, son corps s’était mit à bouger tout seul, laissant son esprit quelques pas derrière. Quand elle avait rouvert les yeux, elle s’était trouvée debout devant son lit. Et malgré l’envie de pleurer qui subsistait, c’était une immense rage qui avait commencé à la gagner.

Injuste. La situation était tellement injuste. Elle n’avait jamais rien fait de mal, jamais rien demandé à personne et maintenant sa vie était réduite en poussière ? Elle avait tout perdu en l’espace de quelques minutes. La jeune fille observa sa chambre, et sa colère ne fit qu’augmenter. Rien ici ne lui appartenait, pas vraiment. C’était comme si tous ces meubles et objets faisaient partie d’un décor dans lequel elle avait évolué toute sa vie. Et maintenant que le rideau était tombé, elle devait quitter la scène. Mais que faisait un acteur qui avait perdu son rôle ? Qui l’avait joué et rejoué tant de fois qu’il ne savait plus qui il était avant ?

Elle s’empara de la boîte à musique posée sur sa commode et s'apprêtait à la fracasser contre le sol quand une main lui entoura le poignet.

  • Si vous voulez vraiment vous en débarrasser, vendez-là, au moins ça vous fera de l’argent.

Laelie tourna la tête vers Arel.

  • Lâche-moi.

Ils ne relâcha pas sa prise, ses yeux gris la fixant intensément. Elle essaya de lui retourner le regard, mais fut la première à céder. La jeune fille poussa un soupir.

  • Je ne vais pas casser la boite. Lâche-moi.

Quand il la laissa enfin partir, elle se massa le poignet, impressionnée par sa force.

  • Laelie, souffla-t-elle.
  • Comment ?
  • Appelle-moi Laelie. Pas de vous. Ou de mademoiselle, ou quoi que ce soit d’autre. Je ne suis plus la fille d’un seigneur, je ne suis … personne.
  • Vous êtes sûre que…

Elle leva un sourcil et il se reprit.

  • De toute façon, nous n’allons pas passer plus de temps ensemble donc je ne vois pas l’utilité de…
  • Si. Parce que je t’engage.

Ce fut à son tour de lever le sourcil.

  • Et avec quel argent serai-je payé ?

Elle fit un signe en direction de sa chambre.

  • Il y a beaucoup de choses de valeur ici, et je n’en ai plus vraiment besoin. Comme tu l’as dit, au lieu de les casser je pourrais les vendre. Et puis si ça ne suffit pas, mon père m’a dit de prendre ce qu’il faut, pas forcément juste ce qui se trouve dans ma chambre.

Elle sentit une piqûre au niveau de la poitrine en prononçant ces mots, mais ne le laissa pas paraître sur son visage. A la place, elle continua de sourire. Si elle se forçait, peut-être qu’elle pourrait se convaincre que la situation n’était pas si terrible.

Arel hocha la tête, réfléchissant à sa proposition.

  • Si ça ne tenait qu’à moi, j’accepterais, mais puisque j’ai renoncé à mon ancien contrat, ma guilde s’attend à ce que le suivant soit bien plus avantageux. Et ce qu’il y a ici ne suffit pas.
  • Est-ce que ça, ça suffirait ?

Elle posa la main sur sa poitrine, juste en dessous de sa broche. Elle ne l’avait pas enlevée depuis la cérémonie, et le saphir, au moins, n’avait pas subi une égratignure. Le mercenaire s’approcha pour l’inspecter. Au bout de quelques secondes, il recula et dit :

  • C’est un plaisir de faire affaire avec toi.

Laelie tendit la main et il la serra d’une poigne ferme.

  • De même.

***

Un fois qu’ils eurent assemblé tout le nécessaire dans un grand sac-à-dos, ils descendirent les escaliers pour sortir. Son père ne revint pas lui parler, et peut-être était-ce pour le mieux. Laelie ne savait pas si elle arriverait à tenir une autre conversation avec lui.

Les préparations se firent dans le calme. Et pour la première fois, la jeune fille se mit à réaliser à quel point le manoir était vide, stérile. Surtout sans la présence de sa mère. Un sourire triste se dessina sur son visage. Pouvait-elle encore appeler Olise sa mère ? Mais cela sonnait faux de se référer à elle d’une quelconque autre manière. Tout comme son père d’ailleurs. Peu importe ce qu’il disait, elle ne pourrait jamais considérer qui que ce soit d’autre comme son père. C’était impossible. Mais… elle était tout de même curieuse. S’il n’était vraiment pas son père biologiques alors… qui était-ce ? Elle n’arrivait pas à l’imaginer. Une partie de son esprit ne voulait pas l’imaginer. Même si celui qui l’avait élevée l’avait reniée, cela semblait comme une trahison que de chercher à en savoir plus sur un père qui l’avait apparemment abandonnée. Et la question restait la même pour sa mère : l’avait-elle aussi adoptée, ou avait-elle trahi son mari ? Cela lui était insupportable de devoir suspecter sa mère (adoptive ou non) d’une telle chose, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de songer à toutes les possibilités.

Pas que ça ne lui éclaire quoi ce soit.

Au final, elle était aussi perdue qu’avant. Cependant, un nouvel objectif commençait à se former dans son esprit, et elle n’était pas prête à le laisser lui filer entre les doigts. Elle en avait trop besoin. Le manoir avait été son premier but. Une fois accompli, elle devait s’en trouver un autre. Et le temps pressait, une fois qu’elle aurait franchi la grille, elle serait seule. Enfin, pas tout à fait seule. Arel l’accompagnerait.

Arel qui n’avait pas peur de ses pouvoirs, alors qu’elle même en était effrayée. Il y avait quelque chose de confortant dans l’idée qu’elle ne serait pas complètement livrée à elle-même. Et malgré le fait qu’elle doive le payer pour qu’il l’accompagne, sur le moment, cela ne semblait pas si terrible. L’argent était une valeur sûre, et tant qu’ils tenaient tous les deux leur part du contrat, elle ne pouvait pas imaginer de relation plus honnête.

Cette idée lui aurait paru tellement incongrue un jour plus tôt que c’en était presque drôle. Peut-être qu’elle était vraiment une Nymphe, qui sait ?

S’avançant vers le jeune homme qui l’attendait devant le pas de la porte, le sac sur le dos, Laelie sourit. Pas parce qu’elle était heureuse, mais parce qu’elle n’avait pas le choix. Parce que sourire était la dernière chose à laquelle elle pouvait se raccrocher. Et comme dans ses rêves, si elle y pensait assez fort, elle pouvait se convaincre que ce qu’elle voyait était la réalité. Tout allait bien. C’était ce que son visage lui dirait à chaque fois qu’elle en verrait la réflection.

Serrant la nouvelle cape, plus chaude, qu’elle avait prise dans son armoire, elle passa la porte, savourant le froid mordant de l'extérieur.

Au moins quelque chose était assorti à son humeur.

  • Quelle est notre destination ? demanda Arel sans la regarder.
  • La capitale, je veux retrouver ma mère, et obtenir la vérité sur ma magie, et ma naissance.

Le jeune homme hocha la tête.

  • Dans ce cas, ne nous attardons pas.

Et ils disparurent dans la blancheur immaculée de la neige.

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