Chapitre 17 : Kasmir

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  • Aïe !

Kasmir gémit quand la brosse fut arrêtée par un noeud particulièrement résistant. La jeune esclave avait beau aimer ses vagues brunes, à cet instant précis, elle les aurait bien rasées juste pour échapper au supplice.

Tout le contraire de celle qui lui brossait actuellement les cheveux. Lauréa avait la chevelure blonde et fine, semblable à des fils d’or blanc, et dans lequel le peigne se glissait sans effort. Kasmir supposait qu’elle était plutôt agréable à regarder, avec ses jolis yeux bruns en amande et sa peau hâlée. Toutefois, l’émerveillement s’arrêtait là. Son visage ainsi que son corps n’avaient rien d’exceptionnel, aussi elle se demandait comment la jeune femme avait atterri au Palais.

Son apparence ne lui aurait pas valu de se faire sélectionner par Stafi, et elle n’avait pas l’air d’avoir été entraînée ou dressée. Kasmir ne voyait en elle aucun des automatismes normalement acquis pendant les années d'entraînement.

Perdue dans ses pensées, elle laissa la jeune femme lui brosser les cheveux et la coiffer. Après plusieurs minutes de silence, Kasmir demanda :

  • Depuis combien de temps es-tu au service d’Astar ?

Elle sentit Lauréa ramener ses cheveux vers le haut en un chignon.

  • Cela va faire sept ans.

Sans laisser paraître son étonnement, elle continua.

  • Quel âge as-tu ?
  • Vingt-deux ans. Quand j’ai été achetée, j‘en avais seize, et maître Astar douze.

Il était drôlement jeune, remarqua Kasmir. Elle avait du mal à s’imaginer servir un enfant de douze ans. Non, c’était plutôt qu’elle avait du mal à s'imaginer servir qui que ce soit. C’était déjà étrange de se dire qu’elle avait le même âge qu’Astar. Elle n’arrivait pas à deviner ce qui lui passait par la tête. Parfois, il était tellement absorbé par ses jeux qu’il lui faisait penser à un enfant. Néanmoins, elle ne se leurrait pas : Le prince était loin d’être idiot.

Astar voulait découvrir son objectif, mais elle ne pouvait pas se le permettre. Cela signerait son arrêt de mort, et l'impossibilité pour elle d’accomplir sa vengeance.

Kasmir ne tenait pas tellement à la vie. A la mort de ses proches, elle avait sentit un trou béant s’ouvrir dans sa poitrine. Rien ne pouvait le combler, et plus le temps passait, plus elle le sentait s’agrandir et avaler ce qui lui restait d’émotion. Ressentir quoi que ce soit était devenu un effort, un fardeau. Cependant, elle ne s’autorisait pas à sombrer dans l'apathie. Ce serait trahir ceux qui s’étaient sacrifiés pour qu’elle survive. Elle voulait leur crier que c’était complètement idiot. S’ils n’étaient plus là, elle n’avait aucune raison de vivre. La jeune femme avait songé au suicide, mais avait abandonné l’idée. Enfin, pas tout à fait. Sa vengeance était une sorte de suicide, elle en était bien consciente. Personne ne pouvait tuer l’Empereur et en sortir vivant. Mais là n’était pas le problème. Kasmir n’avait jamais eut l’intention de survivre.

Si s’ôter la vie était un blasphème envers ses proches, mourir de manière honorable après les avoir vengés semblait acceptable. C’était un piètre excuse, mais c’était tout ce qu’elle avait trouvé. Si elle parvenait à tuer l’Empereur, alors leur sacrifice n'aurait pas été vain. Dans l’au-delà, elle pourrait les regarder dans les yeux et dire : “ Je n’ai pas gâché cette vie que vous m’avez offerte”. Ensuite, elle pourrait enfin reposer en paix à leur côté.

  • Terminé ! s’exclama joyeusement Lauréa.

Kasmir se retourna pour lui offrir un sourire.

  • Merci.
  • Tiens, ça ne sert à rien si tu ne peux pas t’admirer.

Lauréa lui donna un petit miroir, et Kasmir put enfin admirer le travail de l’esclave. Deux mèches ondulées tombant de chaque côté de son visage, avec une tresse lui entourant le front. Le reste de sa chevelure avait été ramenée en un chignon décoré d’une broche.

  • C’est très joli, mais pourquoi ?
  • Les esclaves qui accompagnent leurs maîtres durant la partie de chasse sont en quelque sorte… paradés ? C’est un rassemblement de nobles, alors il ne peuvent pas s’empêcher de vouloir montrer par tous les moyens qu’ils sont les meilleurs. Bien sur, ils ne peuvent pas faire ça de manière trop évidente, surtout avec des membres de la famille royale présents, alors il parent leurs esclaves pour faire étalage de leur richesse.

Kasmir haussa un sourcil.

  • Et Astar veut me parader ?
  • Qu’il le veuille ou non, ton apparence aura une influence sur la façon dont il sera perçu par les invités. C’est pour ça que je suis en train de tester plusieurs coiffures. Tu devras faire bonne figure quand tu l'accompagneras.

Grognant, Kasmir laissa la blonde la faire tourner sur elle même une, deux, trois fois afin d’inspecter ses cheveux de tous les angles possibles. Quand elle fut satisfaite, elle permit à Kasmir de défaire le chignon. Moins d’une minute plus tard, les vagues brunes de la jeune femme lui tombaient de nouveau le long des épaules.

Soudain, elles entendirent la poignée de la porte tourner, et Astar entra dans la chambre. Il sourit en les voyant et déclara :

  • Mes chères amies, vous semblez radieuses aujourd’hui !

Kasmir ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel tandis que Lauréa réprima un sourire.

  • Qu’y a -t-il ? demanda platement Kasmir.
  • Ne soit pas comme ça, je suis venu te donner ta récompense.

Ah.

Effectivement, il lui avait promis quelque chose si elle parvenait à viser la pomme au dessus de sa tête, et le fait qu’il se tenait devant elle était preuve de sa réussite. La jeune femme ne savait pas ce qui lui avait pris de tirer cette flèche. Cela avait été de l’inconscience pure. Et maintenant il connaissait ses aptitudes avec un arc. Elle aurait dû tirer à côté et prétendre s’être trompée. Pour une raison qu’elle ignorait, Astar arrivait à réveiller cette inconscience et cette témérité qu’elle avait enfouie au fond d’elle il y a bien longtemps. Kasmir savait que presser les choses ne lui servirait à rien et que l'effronterie ne ferait que précipiter sa mort. Elle devait prendre son mal en patience et obtenir le plus d’informations possible. Ensuite, elle guetterait le moment opportun pour passer à l’action.

Finalement, elle avait beau avoir été imprudente en tirant cette flèche, peut-être que la récompense en vaudrait la chandelle.

La jeune femme se leva du lit pour s’approcher du prince. Il lui tendit son bras et Kasmir le dévisagea. Soupirant, il s’empara de sa main et la posa sur son poignet.

  • Nous allons être absents pendant un petit moment, ne nous attends pas.

Astar sortit de la chambre, entraînant Kasmir avec lui.

  • Quelle est cette récompense ?

Il eut un sourire malicieux.

  • C’est une surprise.
  • Ce n’est pas très rassurant, venant de vous.
  • Très bien, un indice alors : Je vais vous amener dans une pièce sombre ou nous serons seuls, à l’abris des regards.

Kasmir sentit tous les muscles de son corps se tendre en un instant. Elle était soudain parfaitement consciente de tous les points de contact entre leurs peaux, de leur différence de carrure, du poids du bracelet en or à son poignet. Elle voulait s’enfuir en courant, mais elle ne le laisserait pas la voir effrayée. Elle fit appel à toute sa maîtrise de soi et se força à se relaxer, s’appuyant davantage contre lui. Utilisant la main libre, elle se mit à lui caresser le bras, posant sa tête contre son épaule.

  • Je me demande ce que nous allons faire, susurra-t-elle.
  • Oh, Kasmir, nous savons tous ce que font une femme et un homme seuls dans un endroit isolé.

A cet instant, la jeune femme aperçut deux courtisans dans le couloir, marchant dans le sens opposé. Quand ils arrivèrent au niveau du prince, ils firent une révérence. Puis, le regard de l’un d’eux glissa sur leurs bras entrelacés et il reprit son chemin sans rien dire.

Une fois qu’ils furent assez loins, Astar ricana.

  • Si j’avais sut qu’il me suffisait d’avoir une belle femme à mon bras pour qu’ils me laissent en paix.

Ses yeux pétillaient quand il regarda Kasmir et soudain, elle comprit. Personne ne poserait de questions s’ils le voyaient se diriger quelque part avec son esclave. Elle était une diversion. Toute sa tension se dissipa en un long soupire silencieux. Elle fixa Astar du coin de l’oeil en criant intérieurement : Je te hais. Est-ce qu’il l’avait fait exprès ? L’avait-il manipulée pour qu’elle se comporte comme il le désirait ? Ou était-ce encore un de ses jeux, pour s’amuser de sa réaction ?

Ils marchèrent pendant plusieurs minutes, la scène se répétant encore deux fois. Ils arrivèrent dans une aile apparemment abandonnée du Palais, et Astar poussa un porte, lui faisant signe d’entrer. Kasmir s'exécuta, ne voulant pas qu’il voit de la faiblesse dans son hésitation. Il la suivit, fermant la porte derrière lui.

La pièce était spacieuse. Un fin trait de lumière filtrant à travers le grand tapis recouvrant la fenêtre laissait entrevoir ce qui semblait être une chambre. Kasmir pouvait distinguer un grand lit, une armoire et un bureau recouverts de poussière, l’odeur de renfermé empreignant la pièce se faisant de plus en plus intense. Le prince s’avança vers l’armoire et la poussa le long du mur, découvrant une partie de la tapisserie. La partie découverte paraissait légèrement moins usée par le temps, un rectangle blanc se détachant contre le mur gris.

  • Qu’est-ce que vous faites ?
  • Patience.

Astar posa sa main contre le mur. Puisqu’il était dos à elle, Kasmir ne vit pas exactement ce qu’il fit, mais aussitôt, une porte s’ouvrit. Époussetant sa tenue, puis ses mains, il se tourna vers elle.

  • Tu viens ?

Est-ce que j’ai le choix ? Ce mystérieux passage ne lui inspirait pas confiance. Croisant les bras, elle demanda :

  • Où est-ce que ça mène ?
  • À ta surprise.
  • Si possible, j’aimerais que vous soyez un peu plus spécifique.

Elle avait tenté de s’exprimer d’une voix douce, mais la pointe de sarcasme n'échappa pas au prince. Il sourit un instant puis prit une mine sérieuse.

  • Tu as des suspicions. C’est normal, j’admet que je ne suis pas la personne la plus digne de confiance. Mais n’oublie pas ceci : j’aime les jeux, et aucun jeu n’en vaut la peine si seulement un des participants passe un bon moment.

Kasmir hocha la tête, sentant la sincérité dans sa voix. C’était stupide, se disait-elle, de faire confiance à un prince de l’Empire. C’était le fils de l’Empereur : tout ce qu’il possédait venait de conquêtes d’autres nations, toute sa vie bâtie sur des ruines d’autres peuples. Cependant, si elle ne prenait pas de risque, elle n’obtiendrait rien en retour. C’était une vérité immuable, dans les relations, mais aussi dans les jeux. Aucun pari n’était sans risques, et plus celui-ci était gros, plus la récompense était élevée. Bien sûr, les chances de perdre augmentaient également.

Et cela faisait si longtemps qu’elle n’avait fait confiance à personne, une part d’elle ressentait un besoin presque viscéral de se confier, de pouvoir compter sur quelqu’un. Toutefois, elle ne se sentait pas prête, pas complètement. Pas avec lui.

Mais elle pouvait lui tendre une perche.

  • Je vous suis.

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