Chapitre 18 : Kasmir

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  • Je vous suis.

S’il passait en premier, elle voudrait bien le suivre.

Le prince comprit le message et descendit les escaliers que le passage avait dévoilés. Kasmir le suivit quelques pas en arrière. Ils descendirent une dizaine de marches, puis se trouvèrent dans un couloir sombre. Ils n’y voyaient pas grand chose, mais Astar avait l’air de se repérer en gardant une main sur le mur, et il ne semblait y avoir qu’un chemin. Ils ne marchèrent pas longtemps avant d’arriver à une autre porte. Celle-ci débouchait sur une autre chambre, visiblement abandonnée aussi mais en bien meilleur état que celle d'où ils venaient. Les murs étaient peints en blanc avec des incrustations de motifs floraux dorés. Un énorme lit aux draps en soie occupait presque la moitié de la pièce luxueusement meublée. Coffrets, vases, commodes, tout semblait être en or. Kasmir jeta un regard curieux à Astar, qui haussa les épaules et répondit nonchalamment :

  • Nous sommes dans la chambre de la reine Zahirah.

Malgré ses efforts, elle ne put cacher son étonnement. La reine Zahirah ? La mère du prince Elios, celle qui avait jalousement gardé la place de favorite de l’Empereur avant son mystérieux décès dix ans auparavant ?

  • Pourquoi sommes-nous ici ?
  • Ce n’est pas ici que je voulais t’amener, si ça peut te rassurer. Je suis persuadé que tu meurs d’envie de passer plus de temps dans la pièce même où la reine est décédée. Hélas, ta récompense est un peu plus loin. Ouvre la porte.

La remarque lui fit froid dans le dos, mais Kasmir resta de marbre. Elle s’avança vers la véritable porte d’entrée de la chambre et l’ouvrit. La jeune femme se trouva face à un long corridor, plusieurs portes s’alignant à interval régulier.

  • Nous sommes…
  • Dans le Harem ? Tout à fait. Je me suis dit que tu ne refuserais pas de voir ta camarade dans ces conditions. Troisième porte à gauche.

Kasmir le fixa sans savoir quoi dire. Elle avait des centaines de questions dont l’ordre de priorité de ne cessait de changer, sans compter qu’elle n’avait aucune garantie qu’il réponde. Le prince soupira.

  • Pour faire court, la chambre de Zahirah était liée à l’autre chambre, l’ancienne chambre de mon père. Après le meurtre, il a déménagé et la chambre de la reine n’est plus utilisée depuis.
  • Le meurtre ?

Il ricana.

  • Elle n’est pas morte en trébuchant dans les escaliers ! Enfin, la version officielle, c’est qu’elle a attrapé une vilaine maladie. Mais vu l’influence qu’elle avait sur l’Empereur, on a du mal à y croire. Quelqu’un avait forcément quelque chose à y gagner.

Il prononça la dernière phrase d’une voix glaciale, le regard distant. Pendant une seconde, Kasmir eut l’impression qu’il n’était plus vraiment avec elle. Puis, il reprit son sourire arrogant habituel. Il l’avait fait si rapidement, si naturellement, qu’elle avait cru l’avoir imaginé. Il leva le sourcil.

  • Qu’est-ce que tu attends ?

Il désigna la porte du menton. La jeune femme leva les yeux au ciel et parti, décidant que se rebeller maintenant n’en valait pas la peine. Il lui avait déjà divulgué un quantité considérable d’information. Connaître ce passage pourrait s'avérer très utile, il ne lui restait plus qu'à comprendre comment l’ouvrir.

Elle serait plus attentive lors du retour.

Kasmir traversa le couloir à grandes enjambées et entra dans la chambre indiquée. La pièce ressemblait à celle qu’elle venait de quitter, et la jeune esclave trouva Samsara assise sur son lit. Ses grand yeux dorés s’écarquillèrent quand elle aperçut qui était venu lui rendre visite.

  • Kasmir !

Elle se leva pour la prendre dans ses bras, puis recula brusquement.

  • Désolée, dit-elle en baissant les yeux, embarrassée. Je suis tellement heureuse de te voir. Mais comment es-tu arrivée ici ?
  • C’est un secret, dit Kasmir d’un ton mystérieux.

Samsara fit de son mieux pour avoir l’air contrariée, mais son sourire resurgit aussitôt.

  • Tu es vraiment incroyable.

Elles s’assirent toutes les deux sur le lit.

  • Qu’est-ce que tu racontes ? Je viens juste te faire une visite.
  • Non, (la jeune femme secoua la tête) enfin si, ah (elle semblait sur le point de pleurer), tu ne comprends surement rien à ce que je raconte (elle rit): Réussir à entrer dans le Harem n’est pas mince affaire, mais tu as toujours été incroyable, je t’ai toujours admirée.

Kasmir ne savait pas quoi répondre à cela. C’était la première fois qu’elle voyait son amie dans un tel état. Habituellement, Samsara était la plus calme et réfléchie d'entre elles, elle faisait ce qu’on attendait d’elle, et jamais Kasmir ne l’avait vue aussi émue.

Kasmir n’était plus habituée à montrer de l’affection. Avec hésitation, elle attira Samsara contre elle, appuyant la tête de la jeune fille contre son épaule, ses longs cheveux rouges ses déversant comme une cascade de sang sur elles. Kasmir murmura :

  • De nous deux, je pense que c’est toi la plus digne d’admiration.
  • Samsara fronça les sourcils, lui jetant un regard curieux.
  • Pourquoi ?
  • Je ne pense pas que j'aurais survécu une journée dans le Harem.
  • Tu t’en serais surement mieux sortie que moi. Depuis que je suis arrivée, tout le monde essaye de m’intimider.
  • Ca fonctionne ?

La jeune femme ajusta sa position sur l’épaule de Kasmir et soupira.

  • Un peu. Je crois… je crois que je suis beaucoup trop sensible à l’opinion que les autres ont de moi, ou plutôt, je ne supporte pas l’idée que quelqu’un me déteste.

Kasmir sentit la respiration de son amie s’arrêter, comme si Samsara appréhendait sa réaction à sa confession. Il n’y avait aucune raison pourtant.

  • Aucune personne digne de ce nom ne serait capable de te détester. S'ils ont quelque chose contre toi, c’est leur problème et tu es mieux sans eux, tu n’as pas besoin de te soucier de ce qu’ils pensent.

Samsara rit.

  • Tu vois ? C’est pour ça que je t’admire, ça a l’air tellement facile quand tu le dis.

Elles restèrent silencieuses pendant un long moment, baignant dans l'atmosphère confortable qui s’était installée. Kasmir avait l’impression d’avoir rencontré Samsara pour la première fois. L’image de la jeune fille naïve et insouciante n’avait pas complètement disparu, mais elle réalisait à présent qu’elle n’avait jamais prit le temps de chercher ce qu’il y avait au-delà de cette façade. Samsara est une personne aimable. Cela lui avait paru comme une évidence, quelque chose de naturel. Mais les choses choses n’étaient pas aussi simples, elle aurait dû le savoir. Combien de fois avait-elle été vraiment honnête avec Samsara ? Peu de fois, tellement peu de fois en six ans. Alors elle ne devrait pas s’étonner de voir la jeune fille faire la même chose, elle ne devrait pas se sentir blessée. Elle le méritait. C’était ce qu’elle avait voulu.

Kasmir se rendait compte qu’elle avait sous-estimé les conséquences de la vie au Palais. Elle n’était pas là depuis très longtemps, mais déjà la solitude et l’isolement commençaient à se faire sentir. Partout où elle allait, la jeune femme avait l’impression d’être réduite à une ombre, une poussière insignifiante. Les nobles traitaient la plupart des esclaves commes s’ils n’existaient pas, comme si poser les yeux sur eux était indigne de leur rang. Bien sûr, les femmes du Harem étaient des exceptions, parce que les reines en faisaient partie. À Ashralynn la polygamie était autorisée et il n’était pas rare de voir des hommes influents avoir plusieurs femmes. L’Empereur était un cas spécial cependant : il n’épousait que les femmes qui lui avaient donné un enfant. Et le titre d’Impératrice n'existait pas. La plus haute position à laquelle une femme pouvait accéder était donc celle de reine.

Puisque l’Empereur avait cinq enfants, il aurait normalement dû avoir cinq reines. Hélas, deux d’entre elles avaient connu une fin tragique. La mère de la princesse Cléor, Veena, était morte des suites de l’accouchement, et la mère du prince Elios, Zahirah, était décédée il y a dix ans de cela de causes pour le moins suspectes. Il restait donc trois reines : Ashaki, la mère d’Astar, Amberlyne, la mère de Jamil, et Lilan, la mère de Shahi. Les trois femmes n’avaient pas exactement le même statut. Puisque l’héritier ne pouvait être que mâle, celles qui avaient donné naissance à un fils avaient plus d’influence dans le Harem. Avec la mort de Zahirah, la figure dominante était maintenant la reine Ashaki.

Quoi qu’il en soit, Kasmir était heureuse d’avoir Samsara à ses côtés. Une amitié était un trésor bien plus précieux et rare que n’importe quelle autre richesse dans le Palais.

  • Je te protégerai, s’entendit-elle murmurer.

Kasmir ne la laisserait pas finir comme Rudilia.

  • Laisse-moi t’aider aussi. Je sais que tu as une raison d’être ici.

Elle rit.

  • Je ne vois pas de quoi tu parles.

Samsara se dégagea de son emprise et se leva. Elle secoua ensuite la tête, regardant Kasmir droit dans les yeux.

  • Non, quelqu’un d’aussi fière que toi n’aurait pas suivi les ordres de Stafi pendant six ans s’il n’y avait rien à y gagner. Et la seule chose qui nous est offerte est l’opportunité d’entrer dans le Palais.

Kasmir haussa les épaules.

  • Peut-être que je voulais goûter au pouvoir ? C’est ce que veulent la plupart des esclaves qui arrivent jusqu’ici.

Son amie sourit.

  • Effectivement, mais ce n’est pas ton cas. J’ai connu beaucoup de gens horribles Kasmir, et après avoir passé six ans avec toi, je sais que tu ne leurs ressembles en rien.

C’était hilarant de voir à quel point elle s’était trompée sur le compte de Samsara, alors que celle-ci l’avait tellement bien cernée. Soupirant, elle leva les yeux vers son amie. À ce stade, elle ne pouvait plus le nier, et elle avait terriblement besoin d’une alliée.

  • C’est vrai, j’ai un objectif.

Elle entrouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, mais aucun son ne sortit. Je veux tuer l’Empereur. La phrase était si simple, pourtant, elle resta coincée dans gorge. La jeune femme avait l’impression que si elle prononçait ces mots à voix haute, ils allaient s’évaporer et disparaître, ou alors ils deviendraient tangibles : une preuve irréfutable de sa trahison et une mise à nue. Cette vengeance était la seule chose qui lui appartenait encore, c’était la bouée qui l’empêchait de couler. En parler serait l’équivalent de… partager, ou donner cette bouée à quelqu’un d’autre. Kasmir ne s’en sentait pas capable, elle n’en avait pas le courage, ne l’aurait probablement jamais. Elle referma la bouche, refusant de croiser le regard de Samsara.

  • Ne te sens pas obligée de m’en parler. De toute façon, je doute que ce soit quelque chose de bon. Mieux vaut que je n’en sache rien, vu à qui j’appartiens.

Kasmir hocha la tête.

  • Désolée.
  • Ne dis pas ça. S’il je peux t’aider dans quoi que ce soit, n’hésite pas à m’en parler, je ferai de mon mieux, en échange… est-ce que tu pourrais continuer de me rendre visite ?

La jeune femme se leva pour enlacer son amie.

  • Bien sûr.

Elle ne savait pas si la récompense était la visite en elle-même, ou l’autorisation d’utiliser le passage. Cependant, elle se promit de répondre à la requête de Samsara. Après s’être dégagée, elle murmura :

  • Il se fait tard, je ferais mieux de partir.

La jeune femme aux cheveux rouges acquiesça, et Kasmir sortit aussi discrètement qu’elle était rentrée. De retour dans la chambre de l’ancienne reine, elle trouva Astar appuyé contre le mur, le regard perdu dans le vague, presque nostalgique. Il l’observa pendant quelque secondes en silence avant demander :

  • Alors ? Tu as apprécié ta surprise ?

Oui, elle avait beaucoup apprécié cette surprise.

Toutefois, elle ne savait pas quoi répondre. Merci beaucoup mon maître ? Elle préférerait se crever les yeux. Mais elle ne pouvait pas ne rien dire.

  • Est-ce que je pourrais la revoir ?

Astar haussa les épaules.

  • Je te montrerai comment ouvrir le passage au retour.

Kasmir s’avança vers lui, plongeant son regard dans le sien.

  • Merci.

Le prince écarquilla les yeux, ne s’attendant probablement pas à cette réaction. Une amitié était un trésor bien plus précieux et rare que n’importe quelle autre richesse dans le Palais. Elle ne savait pas si cela avait été son intention ou non, mais il lui avait offert quelque chose de beau et d’irremplaçable. En silence, ils regagnèrent l’ancienne chambre de L’Empereur.

Cette fois, c’est elle qui entra dans le couloir secret en premier.

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