Chapitre 19 : Laelie

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Après avoir quitté le manoir, Laelie suivit Arel le long de sentier autour de la propriété et ils finirent par arriver devant un mur de pierre. La ville de Nivalis était entourée par un long mur de pierre, et les entrées étaient peu nombreuses et surveillées. Emprunter l’une de ces entrées semblait dangereux, et Arel avait probablement choisi ce passage pour être plus discret. Le mur devant la jeune fille était à moitié écroulé sur la partie supérieur, mais l’interstice était assez large pour qu'une personne puisse s’y faufiler. Arel passa en premier, sautant au dessus du tas de pierres d’environ un mètre, puis tendit la main à Laelie pour qu’elle le suive. L’espace avait beau être assez large, les pierres étaient inégales et recouvertes de neige. Elle risquait de glisser. La jeune fille prit la main du mercenaire et traversa sans problème.

Nivalis était entourée d’une large et dense forêt, et malgré la notoriété qu’elle possédait en tant que lieu de pèlerinage, la ville demeurait assez isolée. Ils marchaient depuis un moment déjà et Laelie était essoufflée. Les deux n’avaient pas échangé un mot depuis le manoir, mais le silence n’était pas gênant. La jeune fille ne savait pas exactement ou ils allaient, elle avait demandé à Arel de l’emmener à la capitale, mais ils n’avaient discuté d’aucun détail. Toutefois, Laelie n’était pas trop inquiète, elle avait le sentiment qu’elle pouvait lui faire confiance...

Ou peut-être qu’elle ne voulait juste pas briser ce fragile moment de calme. Ils étaient seuls au milieu de la forêt, coupés de toute civilisation, le silence interrompu seulement par le bruit de la neige aplatie sous leurs chaussures. Elle avait l’impression d’être dans un autre monde. Rien n’était plus comme avant, mais dans cet instant de flottement entre leur point de départ et leur destination, elle se sentait… libre. Elle n’avait pas besoin de justifier qui elle était, ou ce qu’elle était à qui que ce soit, elle pouvait juste être. Son regard glissa sur Arel, qui marchait à côté d’elle. Il avait probablement ralenti pour s’adapter à son rythme. Elle lui en était reconnaissante, mais ressentit une pointe de culpabilité.

Elle se rendit soudain compte qu’il ne lui avait pas lâché la main depuis qu’ils avaient traversé le mur. Le geste lui avait paru si naturel sur le moment, elle n’avait pas pensé à se dégager. Arel continuait de lui tenir la main comme si de rien n'était, la chaleur de sa paume se diffusant dans celle de Laelie. La jeune fille ne savait pas comment réagir : maintenant qu’elle l’avait remarqué, elle ne pouvait s’empêcher d’être embarrassée. Elle n’avait jamais tenu la main d’un garçon et Arel était… Sentant ses joues s’empourprer, elle chassa ces pensées de son esprit tout en essayant de reprendre une expression normale. Sa tentative résulta probablement en un échec, puisque le jeune homme se tourna vers elle et demanda :

  • Quelque chose ne va pas ?

Laelie rougit et murmura :

  • Non...rien.

Elle évita instinctivement son regard, mais les yeux de la jeune fille dérivèrent sur leurs mains jointes. Arel suivit la ligne de vision de Laelie et réalisa, enfin, qu’il lui avait tenu la main tout le long du chemin. Il écarquilla les yeux et la lâcha aussitôt. Le bout de ses oreilles et ses joues avaient pris une légère teinte rosée, probablement dû au froid.

  • Excuse-moi.

Néanmoins, le jeune homme reporta son attention sur elle. Il la fixa, l’air de dire : Pourquoi n’as-tu rien dit ? Laelie ne savait pas quoi répondre. Après avoir calmé les battements de son coeur, elle justifia avec difficulté :

  • Non, c’est juste que… il fait froid… et je n’ai pas de gants alors…
  • Oh.

Il hésita un instant avant de lui tendre à nouveau la main.

  • Si c’est pour te réchauffer...

Laelie le dévisagea. Elle ne s’attendait pas à cette réponse. La jeune fille sentit les coins de sa bouche s’étirer, puis elle éclata de rire, une main contre son ventre et l’autre devant sa bouche.

Arel l’observa sans rien dire, confus. Laelie se contenta de lui sourire, l’expression énigmatique, et prit fermement sa main. Elle entremêla leurs doigts, sentant un immense poids quitter ses épaules. C’était un miracle que quelqu’un puisse encore être aussi attentionné envers elle après tout ce qu’il s’était passé. Même son père ne l’avait pas acceptée, mais pour une raison inconnue, Arel n’avait pas l’air d’être dérangé par ce qu’elle était. C’était en quelque sorte rassurant, avec lui, elle ne se sentait pas différente. La jeune fille pouvait presque oublier l’explosion des vitraux du Sanctuaire, presque se convaincre qu’il s’agissait des actions de quelqu’un d’autre. Mais… le soudain mal de tête, et les mots d’Arel : Oui, c’est votre magie qui a fait exploser les vitraux. Comment pouvait-il en être sur ? Est-ce qu’il connaissait d’autres Nymphes ? Cela expliquerait pourquoi il ne semblait pas perturbé par ses pouvoirs ou ses origines. Elle ne savait rien de lui, alors les possibilités étaient infinies. La jeune fille pouvait choisir la version qui lui convenait tant qu’elle ne connaissait pas la vérité.

Satisfaite de sa conclusion, elle se mit à fredonner joyeusement. Encore un peu, se dit-elle, laissez-moi rester dans cette bulle encore un peu.

***

Après environ deux heures de marche, ils arrivèrent dans un village. De taille plus modeste que Nivalis, il était entouré non pas par un grand mur de pierre, mais par une petite muraille arrivant à la taille de la jeune fille. Personne ne gardait l’entrée, qui était déserte sur plusieurs mètres, mais Laelie pouvait distinguer un petit chemin de terre qui serpentait jusqu’au coeur du village.

Ils prirent soin d’éviter les rues principales, Arel les guidant le long de ruelles étroites jusqu’à ce qu’ils se retrouvent devant un magasin de vêtements. Il entra dans la boutique sans rien dire, et une jeune femme vint aussitôt les accueillir. Arel fit tomber la capuche de sa cape et elle dut le reconnaître immédiatement car elle demanda :

  • Vous voulez que j’appelle Monsieur Keller ?

Il hocha la tête et elle fila aussitôt vers ce qui semblait être la réserve. Laelie en profita pour observer la boutique. Elle n’était pas très grande, mais l’espace était bien réparti, dégageant une atmosphère relaxante et élégante. La tapisserie vert mousse aux motifs floraux épousait le lambris de bois brun ciré, tandis que les rouleaux de tissus alignés verticalement de chaque côté du comptoir formaient une forêt colorée d’étoffes exotiques, séparée en son milieu par un long tapis de la même teinte que les murs.

La jeune femme revint une minute plus tard.

  • Veuillez me suivre, s’il-vous-plaît.

Ils traversèrent une porte derrière le comptoire pour entrer dans la réserve. La pièce était plus spacieuse que ce qu’avait imaginé Laelie, et ressemblait plus à un entrepôt miniature. Un jeune homme d’environ vingt-cinq ans se leva pour les accueillir. Ses cheveux châtain clair étaient noués en une queue de cheval basse lui tombant le long de l’épaule et recouvrant une partie de la tenue sophistiquée qu’il portait. Il se fendit d’un sourire chaleureux quand il vit Arel, et Laelie jura que le regard de celui-ci s’adoucit.

Si le mercenaire faisait confiance à ce monsieur Keller, elle ne devait avoir rien à craindre. Poussant un soupir de soulagement, elle s’inclina pour saluer le jeune homme. Il s’inclina en retour, puis s’adressa directement à Arel.

  • C’est un plaisir de te revoir, mon ami. Je vois que tu faisais seulement semblant de m’ignorer que je t’ai dit que j’allais faire une visite à Gilios.

Son ton était plus amusé qu’accusateur, et le mercenaire afficha une mine blasée avant de lever les yeux au ciel.

  • Quoi que je fasse tu aurais continué à parler, autant économiser ma salive.
  • Haha, pas faux, pas faux. Sinon, qui est cette charmante jeune fille, tu vas nous présenter tout de même ?

Arel soupira.

  • Tu sais très bien qui elle est. Laelie, je présente Lucien Keller, il vend des vêtements et des bijoux, et fournit également les équipements d’un bon nombre de mercenaires. Lucien, voici Laelie de Raisviel.

Lucien hocha la tête.

  • Bien sur, je m’en doutais, mais je n’aime pas sauter aux conclusions. Enchanté de vous rencontrer, mademoiselle. Je dois dire que vous me semblez un peu moins maléfique que la description.
  • Les apparences sont souvent trompeuses.

Il la fixa pendant un instant et elle crut l’avoir effrayé, mais il éclata soudainement de rire.

  • Elle a de l’esprit en plus !

Laelie n’était pas habituée à ce genre de réaction. L'exubérance et l’entrain de Lucien semblait aux antipodes du calme ordonné du foyer où elle avait grandi. Tout comme la balance qui symbolisait Sana Tezialie, mesure était le maître mot de son père. Néanmoins, cela faisait aussi partie intégrante de leur moeurs. Elle ne pouvait pas marcher trop vite ni parler trop fort. Son père fuyait l’excès sous toutes ses formes, comme si un trop plein de bonheur ou d’affection les rendrait fades ou avariés. Laelie comprenait ce raisonnement, du moins, c’est ce qu’elle croyait. Mais parfois, il lui arrivait de se demander comment un trop plein d’amour pouvait être négatif. Et même si c’était vraiment le cas, comment faisait-il pour mesurer cet équilibre qui lui était si précieux ? Il n’existait pas de toise que mesure la mesure. Cependant, Laelie n’avait pas cherché à réfléchir plus loin. Ils étaient heureux après tout, alors son père devait avoir trouvé la formule parfaite. Peut-être que c’était elle qui avait tout fait râter. Si elle n’avait pas voulu sortir et s’amuser, si elle n’avait pas voulu porter une jolie robe… D’une manière ou d’une autre, elle avait ruiné la balance avec son égoïsme.

Voir quelqu’un comme Lucien, si rayonnant de bonne humeur, était déstabilisant parce que qu’elle ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il avait échangé pour ça. Comment équilibrait-il sa balance ?

Elle sentit la main d’Arel sur son épaule et revint soudainement à la réalité.

  • P-Pardon.

La jeune fille baissa la tête, les joues brûlantes. Depuis toute petite, elle avait la mauvaise habitude de se perdre dans ses pensées. Le lieu ou le moment de la journée importait peu, mais il était presque impossible de la faire revenir à elle. Elle pouvait fixer le vide pendant des heures sans bouger, laissant son esprit vagabonder à des contrées inexplorées et des idées fantasques. Si elle avait des ailes, elle se serait déjà envolée, plaisantait sa mère.

  • Ne vous en faites pas, la rassura Lucien, le chemin à dû vous fatiguer.

Il se tourna ensuite vers Arel.

  • Je suppose que tu veux quelque chose de chaud pour elle ? Ne t'en fait pas, j'ai ce qu'il te faut. Mallory ! Tu peux aider la jeune fille, s'il te plaît ?

La jeune femme qui les avait accueilli accouru aussitôt. Avec un sourire, elle dirigea Laelie vers une autre pièce plus petite, encore derrière la réserve. Celle-ci ne contenait qu’un sofa, quelques mannequins et une cabine d’essayage. Mallory fit signe à Laelie d’aller dans la cabine, et lui passa une pile de vêtements avec des chaussures à travers les rideaux. La jeune fille les prit entre ses mains, et resta immobile un moment. Elle était mal à l’aise à l’idée de se déshabiller chez quelqu’un d’autre. Toutefois, elle faisait confiance à Arel. Il ne les aurait pas amenés ici s’il y avait un quelconque danger. De plus, elle ne pouvait pas continuer à voyager avec les vêtements qu’elle avait sur le dos. Ils étaient trop légers et ne la protégeaient nullement du froid. Après tout, elle ne sortait que très rarement et n’avait donc pas besoin de porter d’habits chauds.

Réalisant qu’elle ne pouvait pas se permettre de faire la difficile, elle se dévêtit enfin et enfila la robe qu’on lui avait donnée. Elle était un peu plus courte, lui arrivant un peu en dessous du genoux. Le style en lui-même n’était pas très différent de la précédente, mais le tissu était beaucoup plus épais et lui donnait l’impression de porter plusieurs couches de vêtements. Par-dessus la robe, elle avait un manteau gris doublé de fourrure qu’elle refermait à l’aide d’une ceinture. Mallory avait également ajouté une paire de collants et des bottines noires rembourrées.

Quand elle sortit enfin de la cabine, Laelie eut l’impression d’être emmitouflée dans une couette de lit.

  • Comment vous sentez-vous ?
  • Très bien.
  • Me voilà rassurée !

Elle lui tendit une paire de gants.

  • Pour quand vous sortirez, lui dit-elle en souriant.

Laelie repensa soudain à la main d’Arel qu’elle avait tenue tout le long du chemin et se sentit rougir à nouveau.

  • Merci, dit-elle le plus naturellement possible.

Mallory s’assit sur le sofa et invita la jeune fille à prendre place à côté d’elle.

  • Vous devez être fatiguée après tout ce chemin.
  • Un peu, admit-elle en s’asseyant.

La vérité était qu’elle avait commencé à avoir des ampoules aux pieds, mais n’avait rien dit pour ne pas les ralentir. Ses chaussures n’étaient aussi probablement pas adaptées à une longue marche.

Laelie trouvait le comportement de la jeune assistante curieux. Elle n’était effrayée, et semblait s’être comportée comme elle le ferait avec n’importe quel client. La jeune fille arrivait à accepter ce genre de comportement chez Arel et même chez Lucien. En effet, les deux jeunes hommes, chacun à leur façon, se détachaient des normes de leur société. Mais Mallory avait l’air d’une employée tout ce qu’il y a de plus normal. Laelie voulait l’interroger, mais avait peur de paraître impolie.

Par automatisme, elle s’était assise le dos droit, les jambes collées l’une contre l’autre, avec ses deux mains reposant sur ses cuisses.

  • Vous pouvez vous relaxer un peu plus, vous savez ?
  • Ah.

Laelie retira ses mains de cuisses, puis réalisa qu’elle ne savait pas où les mettre. Embarrassée, elle les laissa tomber le long de son corps, puis agrippa le bord du sofa. La jeune fille baissa la tête, jetant un regard en biais à Mallory. Celle-ci lui sourit et Laelie cligna des yeux, surprise. Elle voulu lui sourire en retour, mais il était déjà trop tard. Que faisait-on dans ce genre de situation ? C’était comme si elle avait oublié toutes les règles de politesse et d’étiquette dans le manoir quand elle était partie. Elle voulait faire quelque chose mais avait peur de se ridiculiser. Toutefois, ne rien dire était tout aussi impoli. Elle serra encore plus fort la bordure du sofa, frustrée par son propre comportement.

La jeune fille courba le dos instinctivement et ses cheveux lui tombèrent le long du visage, un voile noir qui lui donnait l’illusion d’être coupée du monde. Elle détestait être comme ça, détestait la version d’elle qui était comme ça. Laelie ouvrit la bouche pour dire quelque chose, n’importe quoi, mais rien ne sortit. Ce n’était pas compliqué pourtant, elle devait juste s'excuser, si elle s’excusait alors… Alors quoi ? Mallory était polie parce qu’elle faisait son travail. Laelie sentit ses épaules commencer à trembler. Elle ne pouvait pas l’endurer. Si elle se faisait rejeter encore une fois, elle ne pourrait pas le supporter.

C’était mieux ainsi. Mallory la détestait surement déjà de toute façon, et ils allaient bientôt partir. Cela ne changeait rien au final, rien du tout. Alors pourquoi… Elle laissa échapper un hocquêtement et des larmes chaudes se mirent à couler le long de ses joues. Elle avait honte. La jeune fille mit aussitôt ses mains sur son visage pour s’empêcher de faire un son de plus, pour étouffer ces pleurs qui remontaient incontrôlablement à la surface comme une casserole d’eau chaude qu’on aurait oubliée sur le feu et qui s’était mise à bouillir puis à déborder.

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