Chapitre 2
Lyra
« Elle aimait la vie, heureuse d’exister,
Voulait aider les gens et puis grandir en paix,
C’était un don du ciel, toujours souriante,
Fleurs et nature, qu’il pleuve ou qu’il vente. »
Cocoriccooooooooooo. Je relève la tête, tirée de mon sommeil par George, le coq de la famille.
— Lyraaa, chérie, tu vas encore être en retard ! Debout !
— Oui, Grand’ma, j’arrive.
Je saute dans le premier jean que je trouve, c’est un cargo gris cendré. J’attrape mon tee-shirt bleu roi qui va avec et l’enfile. Je passe deux coups de peigne dans ma chevelure rousse indomptable en chantonnant et me brosse les dents. Je prends deux cahiers au hasard et me dirige vers la sortie. Je pousse la porte, traverse l’enclos de Gabie et Cala, nos chèvres, en sautillant, heureuse de savoir que je vais le voir tout à l’heure. Elles viennent et me mordillent les mains affectueusement, partageant ma joie, inconsciemment. Je les caresse affectueusement et saute le portillon de l’enclos.
Je me précipite vers ma bicyclette, monte à califourchon dessus et mets le cap pour le collège. CLAIR Nom’s JUNIOR est un des meilleurs collèges de la ville… Du haut de mes 14 ans, je me considère comme une des plus âgées du collège (je suis en 3ᵉ). Logan est là, il m’attend. Je saute dans ses bras et dépose un baiser sur ses lèvres, mais il me repousse. Je le regarde, un air interrogateur. Il lâche un « Lyra, je suis désolé je ne peux pas être en couple en ce moment. » puis un « je te quitte. » mais je ne l’écoute déjà plus, je pars en courant, reprends ma bicyclette et retourne à la maison. Je me sens nulle. Je finis toujours par être abandonnée… C’est quoi mon problème ? Grand’ma et maman sont déjà parties.
Je m’éloigne de la maison et cours vers l’écurie après avoir balancé mon vélo à terre. J’entre en larmes dans le box d’Uranus, ma jument gris pommelé. Je lui mets son mors et passe derrière ses belles oreilles si douces que j’aime tant. Je boucle la sous-gorge et la muserolle dont le cuir, rugueux, est usé. Je ne prends même pas le temps de seller ma jument, je monte à califourchon sur son dos et pars au galop vers la forêt, je m’accroche à sa crinière grise soyeuse. Je sens mes cheveux qui volent derrière nous. Je lui indique de s’arrêter seulement quand j’arrive à la rivière. Je pose doucement mon torse sur son encolure et la caresse longuement, savourant la douceur de son pelage d’hiver, puis je saute et mets pied à terre. J’ôte mon jean et bondis dans l’eau glacée sans réfléchir. Je nage jusqu’au rocher grisâtre que je connais tant. Je m’assieds et regarde la cascade, son son m’apaise. Mon tee-shirt, mouillé, épouse ma silhouette.
Je venais souvent ici quand papa nous a quittés, nous ne l’avons plus jamais revu. Le froid du rocher me ramène neuf ans en arrière, mes traumatismes refont surface : papa qui me laisse seule dans le noir sur la paillasse gelée et s’en va avec une bouteille de vodka à la main, mes propres hurlements qui me font peur à moi-même, mes yeux qui me brûlent. Je me focalise sur les gouttes qui font des « plocs » et pense à autre chose. Je croise mes jambes en tailleur et ferme les yeux. J’écoute l’eau et tente de me calmer. Je les rouvre quand j’entends craquer une brindille. Je l’aperçois, je l’ai vu tellement de fois ici, mais il ne m’a jamais vue. Il est de l’autre côté de la rive, en haut de la falaise. Je l’ai souvent contemplé, il est si calme et toujours posé. Il est blanc comme neige, mais ça lui donne un charme. Depuis mes sept ans je trouve refuge ici, et à chaque fois que je viens, je le vois, toujours à la même heure, comme si on était connectés. J’ai l’impression que cet endroit est notre refuge, à lui et à moi. Un endroit où on rêve et où on hurle silencieusement. Un endroit où toutes nos pensées s’envolent et fuient comme l’eau froide de la rivière...
Il m’a l’air plus âgé que moi et si triste. Il se lève, il part, j’aurais dû l’interpeller, je le vois depuis tellement longtemps que j’ai l’impression de le connaître. Je me détourne et observe les poissons, ils ont l’air heureux. Si insouciants et si libres… Sans véritable conscience, ils ne souffrent pas mentalement, même enchaînés, même torturés, même seuls, même dans le noir et dans le froid.
— Au moins vous n’avez pas de rupture ou de truc de ce genre, pas de chagrin d’amour ou… aucun de ces problèmes, murmurai-je en plongeant ma main dans l’eau glaciale.
Une cigogne s’approche, victorieuse, avec ses grandes ailes et son grand bec. Quelle grâce avec son duvet grisâtre et ses longues plumes soyeuses ! Elle se penche et se désaltère. Uranus se cabre et la fait fuir, je ne lui en veux pas vraiment.
Je passe là, assise, de longues heures, le vent me caressant le visage et mes poils dressés par le froid. Vers midi, je reprends la route. Uranus détale, elle galope vraiment vite… Qu’est-ce que j’aime cette sensation d’être la reine du monde ! Quand je monte, je me sens libre comme l’air, libre de mes choix, libre. Je vais partout et nulle part, je m’endors sous un arbre fruitier dont j’ignore le nom à quelques centaines de mètres de la ferme. L’étendue vaste me permet de vérifier que grand’ma n’est pas en avance.
Je rentre à la maison une dizaine de minutes avant seize heures. Je desselle et caresse pendant longtemps ma jument. Quand maman rentre, je l’embrasse fort et lui propose mon aide. Grand’ma arrive, je la salue tout sourire, et décide de ne plus penser à Logan, entre nous ça n’aurait pas marché… Je sors traire les vaches Milou, Kili et Resta. La première est blanche tachetée de noir, la seconde à des taches marron comme la dernière. Quand j’entre dans l’étable, Praline, le jeune veau, m’accueille gaiement. Avant de commencer ma tâche quotidienne, je caresse longuement Praline. La nuit tombe quand je rentre avec deux bons litres de lait.
À table, j’évite le sujet de ma journée… Maman n’est pas encore au courant que j’ai fait l’école buissonnière. Je m’endors paisiblement, en repensant à ce jeune homme de la rivière.
Journal de Lucian
Cher journal, ici Lucian… Nous sommes le 23 octobre 2024, j’ai 17 ans et je ne sais pas pourquoi j’écris ça… En fait si, mais bon bref, c’est pour docteure Mila New. Tu sens le livre neuf au fait… Bon, pour que tu te fasses une idée : je suis blanc, tout blanc. Sauf mes yeux, ils sont gris… Bon après, il y a quelques nuances mais passons…
Je suis au lycée, celui en face du vendeur de glace pour les amoureux… Le glacier est très gentil, il offre même des glaces à la Saint-Valentin ! Sauf que moi, je n’ai personne avec qui les partager.
À côté, il y a aussi le café qui sent le kebab. J’aime bien cette odeur. Pour te faire simple, je n’ai pas beaucoup d’amis… Il y a Gégé (mais il est en Asie, il a déménagé) et aussi toi et maman si ça compte. Ça fait trois.
Y a un endroit que j’aime bien, c’est au bord d’une falaise. En bas, il y a une rivière qui coule tellement doucement qu’on ne l’entend presque pas, offrant un contraste avec le son assourdissant de l’eau qui chute de la cascade… Rien d’autre à dire…
Fin du rapport : 20h37

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