Chapitre 3- Antoine
Antoine Mallet était installé dans un petit café poussiéreux, au cœur du village. La lumière blafarde d’un lampadaire traversait la fenêtre embuée, dessinant des ombres tremblantes sur la table où reposait son ordinateur portable ouvert. Autour de lui, le murmure des conversations et le tintement des tasses formaient un fond sonore familier, presque rassurant.
Mais lui, il était ailleurs, concentré sur l’écran où défilaient une série d’articles, de forums et de blogs traitant de la maison Leclerc. Depuis des semaines, il recueillait toutes les rumeurs et témoignages liés à cette bâtisse oubliée, au passé lourd et mystérieux. Beaucoup parlaient de phénomènes étranges, de disparitions inexpliquées, de bruits dans la nuit, parfois même d’apparitions.
Il griffonnait dans son carnet des noms, des dates, des détails, essayant de trouver un fil conducteur dans cet enchevêtrement d’histoires et d’invraisemblances.
« Fenêtre cassée. Murmures la nuit. Maison verrouillée. Lucien Leclerc. »
Une tasse de café refroidissait à côté de lui, oubliée.
Ses yeux fatigués se posèrent sur une vieille photographie en noir et blanc, encadrée au fond du café : la maison Leclerc, imposante et austère, figée dans le temps. Antoine se demanda combien de secrets elle pouvait encore dissimuler derrière ses murs.
Il tapa une nouvelle requête : disparitions village Leclerc.
Plusieurs forums s’ouvrirent, certains racontant des histoires de familles parties en catastrophe, d’autres évoquant des enfants qui parlaient d’une femme étrange dans la maison.
Un message retint particulièrement son attention. L’auteur affirmait que la maison avait été abandonnée pendant des années, suite à un incendie partiel dont peu de détails subsistaient. Puis, récemment, une jeune femme nommée Zoé serait revenue s’y installer, sans jamais vraiment parler de son passé.
Antoine sentit un frisson parcourir son échine. Ce pourrait être son angle d’attaque.
Il ferma son ordinateur et regarda autour de lui.
La nuit s’installait.
Demain, il irait voir cette maison. Il devait voir de ses propres yeux.
Il avait besoin de comprendre.
Le lendemain matin, le ciel était gris, chargé d’une pluie fine qui semblait peser sur le village tout entier. Antoine s’était levé avant l’aube, l’esprit déjà tourné vers la maison Leclerc. Après un rapide petit déjeuner, il enfila sa veste et prit son sac, glissant soigneusement son carnet à l’intérieur.
Arrivé devant la maison, il se figea un instant. La bâtisse, telle une sentinelle immobile, semblait observer le village d’un œil froid et distant. Les volets grinçaient sous la pluie, et la mousse envahissait peu à peu les pierres des murs. Une atmosphère lourde, presque oppressante, enveloppait les lieux.
Il s’avança sur le petit chemin de gravier, son cœur battant un peu plus vite. Il se surprit à penser à toutes ces histoires qu’il avait lues la veille : les disparitions, les pleurs dans la nuit, la mystérieuse femme dont parlaient les enfants.
Arrivé sur le seuil, il frappa doucement à la porte. Le bruit résonna comme un coup de tonnerre dans le silence alentour.
Après quelques instants, une silhouette apparut derrière une fenêtre. Une femme aux cheveux châtains, le regard vif, s’approcha lentement. C’était Zoé Leclerc, la propriétaire de la maison.
- « Bonjour, je suis Antoine Mallet, journaliste. Je viens m’informer sur la maison et… » commença-t-il, espérant un accueil plus chaleureux.
Zoé le coupa net d’un geste de la main. « Je ne vous laisserai pas entrer. » Sa voix était ferme, presque froide.
Antoine essaya de négocier.
- « Je ne veux pas déranger, je cherche juste à comprendre ce qui se passe ici. Les rumeurs, les histoires… Peut-être pourrions-nous parler ? »
Mais Zoé secoua la tête, les traits tirés.
- « Non. Cette maison, ces histoires, c’est ma vie privée. Je ne veux pas que ça se sache. »
Un sentiment de frustration monta en lui. Pourtant, il ne se laissa pas démonter.
- « Si je peux seulement voir l’intérieur, même rapidement, ça m’aiderait beaucoup. »
- « Je vous ai dit non. » Zoé posa une main ferme sur la poignée de la porte, comme pour lui rappeler qu’elle avait le contrôle.
Antoine observa la porte close, les murs qui semblaient se refermer comme un piège invisible. Il prit une profonde inspiration. Cette maison, pensa-t-il, refusait de livrer ses secrets aussi facilement.
Sans un mot de plus, il recula lentement, ses yeux captant chaque détail du jardin envahi par les herbes folles, chaque fenêtre aux vitres sales.
Il se promit de revenir, plus préparé, plus patient. Car il savait que derrière cette porte verrouillée, des vérités attendraient d’être découvertes — même si Zoé refusait encore de lui ouvrir.
Antoine longea le chemin boueux qui menait à la maison la plus proche de celle de Zoé. La pluie avait cessé, mais l’air restait lourd, chargé d’une humidité qui collait aux vêtements. Devant la vieille bâtisse aux volets décrépis, il s’arrêta un instant, hésitant. C’était la seule habitation encore habitée à proximité, et il espérait y trouver un interlocuteur.
Il frappa à la porte en bois, usée par le temps. Le bruit résonna plusieurs secondes avant qu’une vieille femme aux cheveux gris et aux yeux perçants ouvre lentement. Son regard scrutateur sembla sonder Antoine.
- « Que me vaut la visite d’un étranger ? » demanda-t-elle d’une voix rauque, méfiante.
Antoine se présenta calmement, expliquant qu’il enquêtait sur la maison Leclerc, curieux des histoires qui entouraient le village depuis des années.
La vieille dame fronça les sourcils et referma la porte à moitié. « La maison Leclerc, hein ? Beaucoup de malheurs sont passés par là. Vous feriez mieux de ne pas trop vous y attarder. »
Antoine insista avec douceur, lui demandant si elle connaissait des détails ou des anecdotes sur la famille Leclerc, ou sur Lucien en particulier.
Après un long silence, elle finit par murmurer :
- « Lucien… il était différent, obsédé par des choses qu’il ne fallait pas toucher. Des secrets, des ombres. La maison elle-même semble les garder prisonniers. »
Elle fit signe à Antoine d’entrer dans un petit salon poussiéreux. Sur une vieille table, une photo en noir et blanc montrait une famille souriante devant la maison.
- « Je vous raconte ça, mais ne croyez pas que vous trouverez la paix en fouillant là-dedans. Certains secrets doivent rester enfouis. »
Antoine sentit la gravité dans ses mots, mais sa détermination ne faiblit pas. Il savait qu’il était sur la bonne piste.
Antoine décida de ne pas attendre plus longtemps pour percer les mystères de la maison Leclerc. Cette nuit-là, il revint sous un ciel obscur, armé d’une lampe torche, d’un carnet et d’une petite caméra. Il s’installa à une centaine de mètres de la maison, derrière un vieux buisson, où il pouvait observer sans être vu.
Les heures passèrent lentement, chaque bruit semblait amplifié dans le silence épais de la nuit. Le vent jouait avec les branches, produisant des craquements qui donnaient l’impression que la maison elle-même respirait.
Vers minuit, un faible bruit de pas se fit entendre, venant du côté opposé de la bâtisse. Antoine tendit l’oreille, les yeux rivés sur la maison. Rien ne bougeait derrière les fenêtres poussiéreuses, pourtant, un souffle léger semblait s’élever du sol.
Soudain, une ombre glissa furtivement derrière un rideau au premier étage. Une silhouette féminine, mince, vêtu d’une robe ancienne, sembla flotter à travers la pièce. Antoine retint son souffle, notant tout dans son carnet.
Un gémissement lointain, presque un murmure, s’éleva alors, glaçant l’atmosphère. Une voix de femme, étouffée, semblait appeler quelqu’un. La fillette de Zoé, se rappela Antoine, avait parlé d’une femme qui lui parlait.
Le cœur battant, Antoine observa la maison pendant plusieurs minutes encore, mais la silhouette avait disparu. Le silence retomba, lourd et pesant.
Au petit matin, il rangea son matériel, emportant avec lui une multitude de notes et d’images floues, preuve d’un phénomène difficile à expliquer, mais réel.
Il savait que cette nuit n’était que le début de son immersion dans l’énigme Leclerc.
Le lendemain matin, Antoine arpenta les ruelles poussiéreuses du village, cherchant à recueillir le maximum d’informations. Il croisa un groupe d’enfants qui jouaient près de la place principale, leurs rires contrastant avec l’atmosphère lourde qui régnait autour de la maison Leclerc.
L’un d’eux, un garçon aux cheveux en bataille, s’approcha timidement d’Antoine. Il semblait intrigué par l’étrange homme avec son carnet et sa caméra.
« Vous cherchez des choses sur la maison Leclerc ? » demanda le garçon d’une voix basse.
Antoine hocha la tête, invitant l’enfant à lui en dire plus. Le garçon jeta un coup d’œil nerveux autour de lui avant de murmurer :
- « Parfois, la nuit, je vois une dame en robe blanche qui marche près de la maison. Elle fait peur. »
Intrigué, Antoine l’encouragea à raconter tout ce qu’il savait, sans juger. Le garçon expliqua que cette femme ne parlait pas, mais que ses yeux semblaient briller dans l’obscurité, et qu’elle glissait comme un fantôme.
- « Ça fait plusieurs mois que je la vois, » confia-t-il. « Parfois, elle pleure et parfois elle regarde vers la forêt, comme si elle attendait quelqu’un. »
Antoine nota chaque détail, conscient que ce récit mystérieux pouvait être une clé pour comprendre les phénomènes dans la maison.
Le garçon le regarda avec sérieux :
- « Faites attention, monsieur. La dame n’aime pas qu’on s’approche trop près. »
Avant de s’éloigner, il ajouta d’une voix encore plus basse : « Certains disent que c’est l’âme de Lucien… ou peut-être celle de quelqu’un d’autre. »
Antoine resta pensif, sentant que cette apparition n’était pas seulement une légende, mais un message.
Antoine, le cœur encore lourd des révélations de la veille, décida de retourner près de la maison Leclerc en plein jour. Le soleil, rare dans cette région, perçait à peine à travers les nuages gris, jetant une lumière blafarde sur le terrain en friche qui entourait la vieille bâtisse.
En s’approchant, il remarqua que le jardin, envahi par les herbes folles, semblait dissimuler quelque chose. Intrigué, il scruta le sol avec attention, et ses yeux s’arrêtèrent sur une forme dessinée dans la terre battue, presque effacée mais encore visible.
Il s’accroupit pour examiner de plus près : un cercle complexe, entrelacé de symboles qu’il ne reconnut pas immédiatement. Au centre, une sorte de croix inversée était inscrite, entourée de traits sinueux qui évoquaient un rituel ancien, presque oublié.
Antoine sortit son appareil photo et prit plusieurs clichés sous différents angles, conscient que cette découverte pouvait être capitale. Il nota soigneusement chaque détail dans son carnet, tentant de dessiner le symbole à la main pour mieux l’analyser plus tard.
Une fois ses photos prises, il s’éloigna discrètement pour ne pas attirer l’attention, puis retourna vers le village en emportant avec lui la lourde atmosphère qui semblait peser sur le lieu.
De retour chez lui, il alluma son ordinateur et ouvrit ses fichiers, intégrant les photos du symbole à ses notes numériques. Il commença à chercher des références dans des livres anciens et sur internet, tentant de décrypter la signification de ce signe mystérieux.
Il tomba rapidement sur des pistes liées à des rites d’exorcisme et des protections contre les esprits, mais aussi sur des légendes locales parlant de malédictions liées à la famille Leclerc.
Plus la nuit avançait, plus Antoine sentait qu’il s’enfonçait dans un labyrinthe où le surnaturel et le passé se mêlaient. Ce symbole était une clé, mais aussi un avertissement.
Il se demanda si Zoé et sa fille avaient conscience de ce qu’elles avaient réveillé en venant habiter cette maison.
Quelques jours plus tard, Antoine reçut un message d’un certain Henri Dubois, un homme âgé qui avait lu ses articles et semblait en savoir long sur Lucien Leclerc. Curieux, Antoine accepta de le rencontrer dans un petit café en bordure du village.
Henri avait un visage marqué par le temps, les rides creusant son front, mais ses yeux brillaient d’une vive intelligence. Dès les premières minutes, il parla de Lucien avec une familiarité troublante.
- « Lucien n’était pas comme les autres, » confia-t-il. « Il avait des idées étranges, obsessionnelles. Il s’intéressait aux choses occultes, aux forces que les hommes devraient laisser tranquilles. »
Antoine lui parla du symbole dans le jardin, des ombres aperçues, et des apparitions signalées par les enfants du village. Henri hocha lentement la tête, comme si tout cela confirmait ce qu’il redoutait.
- « La maison Leclerc a toujours été un point d’ancrage pour quelque chose de sombre. Lucien a essayé de contenir cette force, mais à quel prix ? Personne ne sait. Il est parti, mais il a laissé derrière lui une porte entrouverte. »
Henri raconta ensuite une histoire troublante : Lucien avait un frère jumeau, disparu mystérieusement peu avant que la famille ne s’installe dans la maison. Certains disaient qu’il avait été victime d’un rituel raté.
- « Il y a des choses que je ne peux pas expliquer, mais je peux vous dire ceci : ne vous approchez pas trop de la porte verrouillée. Ce n’est pas un simple cadenas, c’est un sceau. »
Avant de partir, Henri donna à Antoine un vieux carnet jauni, appartenant à Lucien, rempli de notes cryptiques et de dessins étranges.
- « Étudiez-le bien. Il contient peut-être la clé… ou le piège. »
Antoine quitta le café, le carnet serré contre lui, sentant plus que jamais que l’enquête allait basculer dans l’inconnu.
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