Chapitre 8- Zoé

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Zoé était assise près de Clara dans le salon, quand soudain, l’air sembla changer autour d’elles, s’alourdir. Clara, jusque-là silencieuse, se figea brusquement, ses yeux s’élargirent étrangement, une lueur froide et dure y brûlait.

— Maman… dit-elle d’une voix qui n’était plus la sienne, rauque, cassante, comme déformée.

Zoé recula d’un pas, le cœur battant à tout rompre. Elle sentit la présence noire s’imposer, invisible mais suffocante, comme un voile épais qui s’abattait sur sa fille.

— Laisse-moi sortir, cria Clara, ou plutôt ce qui parlait à travers elle.

Ses mains se crispèrent, ses doigts tordus en gestes nerveux et violents. Elle fixait Zoé avec une intensité qui glaçait le sang.

Zoé tenta de s’approcher, posant une main tremblante sur son épaule.

— Clara, je suis là, reviens à moi, ce n’est pas toi…

Mais Clara secoua la tête violemment, et d’un coup, une force invisible la repoussa en arrière.

Les phrases sur les murs semblèrent vibrer, une chaleur glaciale envahit la pièce. Puis, lentement, les yeux de Clara s’adoucirent, la lumière familière revint. Elle cligna plusieurs fois des paupières, confuse.

— Maman… qu’est-ce qui s’est passé ?

Zoé la serra contre elle, tremblante.

— Ne t’inquiète pas, c’est fini… Je suis là, je ne te laisserai pas seule.

Mais au fond d’elle-même, Zoé savait que ce n’était qu’un répit, et que la lutte venait à peine de commencer.

Zoé tenait Clara serrée contre elle, son cœur battant à tout rompre, les mains tremblantes. Elle cherchait à comprendre ce qu’elle venait de voir — cette force sombre qui avait traversé sa fille, quelques minutes à peine, mais assez pour tout changer.

« Ce n’est pas elle… Ce n’est pas ma Clara », murmura Zoé, la voix étranglée par la peur.

Elle posa son front contre celui de sa fille, cherchant à lui transmettre la chaleur rassurante d’un refuge, une protection contre ce qui semblait vouloir l’engloutir. Mais la peur était là, insidieuse, et une boule d’angoisse serrait sa poitrine.

Après quelques minutes, elle prit une profonde inspiration. Elle devait agir, comprendre ce qui se passait, protéger Clara coûte que coûte.

Ce soir-là, Zoé s’installa à son bureau, alluma une lampe tamisée, et sortit tous les carnets et lettres qu’elle avait découverts dans la pièce verrouillée. Chaque mot, chaque photo, chaque dessin semblait soudain receler un sens plus profond, plus menaçant.

Elle relut en silence les lettres des enfants, cherchant un indice, un signe, un avertissement qu’elle aurait pu manquer. Et dans ce silence lourd, elle fit un pacte avec elle-même : elle ne laisserait plus rien se cacher, plus rien dérober son enfant.

Les jours suivants, l’atmosphère dans la maison se fit pesante. Clara paraissait fatiguée, parfois absente, et ses rêves agités laissaient Zoé inquiète. Chaque fois qu’elle essayait d’aborder le sujet avec sa fille, Clara détournait le regard, murmurant des choses indistinctes à propos d’une femme, d’un secret, et de peur.

Zoé, de son côté, commença à chercher un soutien. Elle contacta discrètement un médium qu’elle avait entendu mentionner dans une émission locale, puis un prêtre de la région réputé pour sa bienveillance et sa fermeté face aux esprits.

Mais au fond d’elle, elle savait que la solution ne viendrait pas uniquement de l’extérieur. La maison elle-même, ses murs et ses secrets, étaient liés à ce mal qui s’était emparé de Clara.

Elle décida alors qu’elle ne pourrait plus attendre. Elle devait retourner dans la pièce verrouillée, affronter ce qu’elle y trouverait, et découvrir ce que Lucien Leclerc avait réellement fait, ce que cette maison retenait encore prisonnier.

Les jours suivants, Zoé n’arrivait plus à chasser cette inquiétude lancinante. Chaque fois qu’elle regardait Clara, elle y voyait une ombre qu’elle ne connaissait pas, un éclat étrange dans ses yeux qui la glaçait.

Un soir, alors que Clara dormait enfin, épuisée, Zoé prit son téléphone et chercha sur internet les contacts d’un médium réputé dans la région. Après plusieurs hésitations, elle appela.

« Allô ? » La voix était douce, légèrement rauque, mais pleine d’assurance.

Zoé expliqua rapidement la situation, la possession, la maison, les lettres. Le médium écouta sans interrompre, puis lui parla avec calme :

« Vous n’êtes pas seule, Madame. Ce que vous décrivez est une énergie ancienne, liée à des douleurs non réglées. Je peux venir, mais il faudra que vous soyez prête à affronter des vérités que vous ne soupçonnez pas encore. »

Zoé sentit une lourde pression sur sa poitrine. Elle accepta, même si une part d’elle redoutait cette visite.

Quelques jours plus tard, le médium arriva, une femme d’âge moyen, les cheveux longs et argentés, portant une cape sombre. Elle demanda à voir la pièce où Zoé avait découvert les lettres.

Le médium s’installa au centre de la pièce, ferma les yeux, et murmura des paroles dans une langue ancienne, presque oubliée. Zoé sentit l’air vibrer, comme chargé d’une présence invisible.

« Il y a des enfants ici », dit-elle enfin, les yeux toujours fermés. « Ils souffrent encore. Mais il y a un esprit plus fort, plus sombre, qui retient leur douleur prisonnière. »

Zoé sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine.

Le médium posa une main sur son épaule. « Il faudra du courage, beaucoup de courage, pour libérer ces âmes et protéger ta fille. »

Après le départ du médium, Zoé se sentait à la fois soulagée et encore plus inquiète. Elle savait que l’ombre qui avait traversé Clara n’était pas une simple frayeur.

Le lendemain, elle prit rendez-vous avec le père Morel, un prêtre respecté de la région, connu pour son aide dans les situations difficiles.

Chez lui, dans son bureau tapissé de livres anciens et de crucifix, Zoé raconta son histoire.

Le père Morel l’écouta attentivement, les mains jointes.

« Les lieux peuvent conserver les souffrances, » dit-il. « Ce que tu ressens est réel. Mais la lumière peut percer les ténèbres. »

Il proposa une bénédiction de la maison, une cérémonie pour purifier les lieux et éloigner les esprits malveillants.

« Mais souviens-toi, Zoé, » ajouta-t-il gravement, « la vraie force vient de ta foi et de ton amour pour ta fille. »

De retour chez elle, Zoé prépara la maison pour la cérémonie. Elle sentait que ce combat allait la changer, elle et Clara.

Le jour de la bénédiction arriva, aussi lourd qu’un orage. Zoé avait nettoyé la maison de fond en comble, rangé les lettres dans une boîte scellée et envoyé Clara passer la journée chez une voisine. Malgré cela, l’air semblait vicié, la lumière différente.

Le père Morel arriva peu après dix heures, accompagné de son vieux missel et d’un flacon d’eau bénite. Il entra lentement, son regard balayant chaque recoin du salon comme s’il pouvait déjà sentir que quelque chose n’allait pas.

Zoé l’accueillit avec un sourire crispé. Il posa une main sur son épaule, grave, presque solennel.

— Si vous sentez que quelque chose… vous oppresse, parlez-moi, dit-il simplement.

Ils commencèrent la cérémonie dans l’entrée. Le prêtre lisait des versets en latin, traçant des croix sur les murs, aspergeant les encadrements de porte d’eau bénite. Au début, tout resta calme, silencieux. Trop silencieux. Pas même un craquement de planche.

Mais lorsqu’ils approchèrent de la pièce du fond – celle où Zoé avait trouvé les lettres – l’ambiance changea brutalement. Un souffle glacé traversa le couloir, comme si la maison elle-même expirait lentement.

Le père Morel s’arrêta net.

— Avez-vous senti cela ?

Zoé hocha la tête, blême. Son cœur battait à tout rompre.

— Continuez, murmura-t-elle. S’il vous plaît.

Ils pénétrèrent dans la pièce.

Les murs, auparavant couverts d’inscriptions enfantines, portaient maintenant d’autres messages. Certains gribouillis étaient devenus nets, lisibles. Des suppliques. Des menaces.

« Laissez-nous sortir. »
« Elle ment. »
« Je suis encore ici. »
« Tu m’as oublié, maman. »

Le père Morel recula d’un pas, ses mains tremblant légèrement. Il ouvrit son missel avec plus de hâte et reprit la prière, la voix plus forte, mais moins assurée.

À cet instant, un bruit sec retentit — une chaise qui tombait seule dans un coin de la pièce. Puis une autre, à l’autre bout de la maison. Des pas, ou plutôt… des griffures, sur les murs.

Le prêtre accéléra la cadence, élevant sa voix au-dessus du vacarme. Mais alors qu’il traçait une croix devant une inscription — « Emile est à moi » — la lumière vacilla.

Un hurlement déchira l’air, ni tout à fait humain ni entièrement enfantin. Le père Morel recula brusquement, plaquant son dos contre le mur.

— Ce n’est pas... ce n’est pas une simple présence, balbutia-t-il. C’est... c’est ancien. Très ancien.

Zoé, en larmes, attrapa son bras.

— Vous pouvez le chasser, n’est-ce pas ? Vous avez dit que la lumière… que la foi…

Mais le prêtre, blême, secoua lentement la tête.

— Je peux l’affaiblir. Mais quelque chose… ou quelqu’un, ici, l’a laissé entrer. Il s’est enraciné. Et il ne partira pas sans se battre.

Un long silence tomba, seulement rompu par le bourdonnement d’une ampoule qui menaçait d’exploser.

— Vous devez protéger Clara, dit-il en rangeant ses affaires à la hâte. Cette chose… elle n’a pas fini. Elle veut quelque chose. Et elle sait maintenant que vous le savez.

Il s’arrêta à la porte.

— Je reviendrai, avec d’autres. Mais surtout, Zoé... ne restez jamais seule trop longtemps dans cette pièce.

Puis il s’éloigna dans la brume du matin, laissant derrière lui une maison plus lourde encore qu’avant.

La maison était redevenue silencieuse.

Mais ce silence-là, Zoé le connaissait désormais. Ce n’était pas un calme apaisant, mais un silence tendu, écrasant, comme si les murs retenaient leur souffle, attendant qu’elle baisse sa garde.

Depuis le départ du père Morel, elle n’osait plus franchir le seuil de la pièce du fond. Elle passait devant en évitant de tourner la tête, comme si croiser du regard cette porte entrouverte pouvait réveiller quelque chose. L’eau bénite avait laissé des marques pâles sur les murs, mais rien ne semblait avoir vraiment changé.

Clara n’était pas encore rentrée. Et Zoé, seule dans la cuisine, avait du mal à respirer. Le tic-tac de l’horloge au mur était devenu une obsession. Il lui semblait changer de rythme parfois, s’accélérer, puis ralentir sans raison.

Elle ouvrit la boîte où elle avait enfermé les lettres. Elles étaient toujours là, mais plus froissées qu’avant. Une d’elles s’était mystérieusement dépliée, montrant un mot unique, griffonné maladroitement par une main d’enfant : "Encore."

Ses mains tremblaient. Elle remit rapidement le couvercle et recula, les yeux fixés sur le bois comme s’il pouvait bouger d’un instant à l’autre.

Zoé se laissa tomber dans le vieux fauteuil du salon, les bras le long du corps, vidée. Elle tenta de se raisonner : tout cela pouvait être le fruit du stress, de la fatigue, de l’angoisse pour Clara.

Mais au fond, elle savait. Quelque chose rôdait. Quelque chose regardait.

Elle se leva brusquement et alla vérifier la chambre de Clara. Vide. Rangée. Les jouets à leur place. Mais la poupée en chiffon que sa fille détestait tant — celle qu’elle avait jetée à la cave il y a des semaines — était là, sur l’oreiller.

Posée. Dressée. Comme si quelqu’un l’y avait ramenée.

Zoé sentit un frisson la traverser tout le long du dos. Elle recula lentement, referma la porte sans bruit.

Elle ne savait pas quoi faire. Appeler Antoine ? Mais que pourrait-il dire, sinon lui répéter ce qu’elle savait déjà ? Elle se sentait prise au piège dans sa propre maison, dans sa propre vie. Et l’absence de Clara, même brève, la rendait folle.

Alors elle s’assit de nouveau, cette fois au pied de l’escalier, et attendit. Le regard fixé sur la porte du fond. L’oreille tendue vers le moindre craquement.

Quelque chose lui soufflait que la bénédiction n’avait pas calmé l’esprit.

Elle l’avait réveillé.

Zoé attendait toujours, le dos contre la rambarde de l’escalier, les yeux fixés sur l’ombre qui filtrait sous la porte de la pièce du fond.

C’est là qu’elle l’entendit.

D’abord un léger bruissement, comme un courant d’air glissant sous une porte, puis… des chuchotements. Faibles. Enfantins. Comme une cour de récréation lointaine, des voix aiguës, certaines rieuses, d’autres presque pleurantes.

— « Donne-la-moi… c’est à moi… »
— « Tu l’as encore cassé… »
— « Chut, elle va venir… »

Zoé retint sa respiration. Elle se leva lentement, s’approcha de la porte avec la précaution d’un animal traqué. Les voix étaient juste derrière. Elles se chevauchaient. Parfois une montait dans les aigus, presque hystérique, puis retombait en un murmure inquiet. Elle entendait des prénoms, répétés comme des comptines :
— « Jeanne… Jeanne… Émile… Jeanne… »

Puis tout s’arrêta. Un silence pesant, étouffant.

Jusqu’à ce qu’une voix plus grave se détache. Une voix de femme, sèche, froide. Sans la moindre trace d’humanité. Elle claqua comme une gifle dans l’air figé.

— « Taisez-vous. Ce n’est pas l’heure de jouer. »

Zoé recula brusquement, les mains plaquées contre sa bouche.

— « On recommencera demain. Vous le savez. Vous devez payer. »

Un bruit sourd résonna, comme si quelqu’un avait frappé contre le mur de l’intérieur. Une plainte. Étouffée. Puis des pleurs.

Zoé recula jusqu’à trébucher contre la dernière marche. Le son se coupa net. Comme si rien ne s’était jamais passé. Le calme revint, mais il n’était pas naturel. Il était tendu, artificiel, comme suspendu dans une attente.

La porte restait fermée. Aucun courant d’air. Aucune lumière. Rien.

Zoé serrait les bras contre elle, tremblante.

Puis, lentement, une feuille glissa sous la porte. Un vieux papier jauni. Froissé.

Elle l’approcha à contre-cœur.

Un dessin d’enfant. Un soleil noir, des traits rouges. Et dessous, griffonné à la hâte, une phrase :

"On est encore là."

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