Chapitre 10 - Antoine
Le matin était terne, couvert d’un voile brumeux qui s’étendait sur la route comme un drap usé. Antoine quitta la maison de Laurent vers 10h. Il avait mal dormi — ses yeux trahissaient la fatigue d’un esprit secoué par des images persistantes. Les lèvres cousues. Les hurlements étouffés. Émile, immobile au milieu des autres, muet comme un spectre.
Laurent lui avait désigné la vieille école, une bâtisse oubliée, située à mi-chemin entre leur village et Montelac. Une route départementale la longeait, sinueuse et bordée de grands arbres aux troncs moussus. Les pneus de la voiture glissaient doucement sur les feuilles mortes, humides de rosée. Une odeur de terre détrempée et de pin s’infiltrait par les fenêtres entrouvertes.
« Tu verras, elle a quelque chose de… malsain, » lui avait prévenu Laurent la veille, « mais c’est important. C’est là que tout a commencé. »
Antoine hocha la tête en silence, enfonçant ses mains dans les poches de sa veste.
Arrivé à l’école, il descendit de voiture et contempla la bâtisse délabrée. Le portail grinça quand il l’ouvrit.
— « C’est bien ici, » murmura-t-il pour lui-même.
Il traversa la cour envahie par les herbes folles, poussa la porte principale. Le bruit sec résonna dans le silence pesant.
À l’intérieur, des papiers, des dessins d’enfants étaient collés aux murs défraîchis.
Soudain, Laurent, qui l’avait suivi, se pencha pour examiner un message sur le tableau noir.
— « Elle revient chaque hiver. »
— « Et Émile reste calme, alors elle ne le touche pas… »
— « Oui, c’est ce que m’a dit maman, » répondit Laurent d’une voix basse, presque tremblante. « Cette femme… elle est comme un cauchemar éveillé. »
Antoine frissonna.
— « Tu penses que c’est elle qui a disparu avec les enfants ? » demanda-t-il.
Laurent hocha la tête.
— « Plus que ça. Elle les prend, les dévore lentement. C’est sa façon de rester jeune, de garder sa puissance. C’est… ésotérique, mais c’est réel. »
— « Comment peux-tu en être sûr ? »
— « Parce que maman, papa, ils l’ont vue. Cette dame en noir. Ils n’ont aucune photo d’elle, elle ne se laisse jamais capturer. Mais sa présence est là, partout. Elle cousait la bouche des enfants pour qu’ils ne parlent pas. »
Antoine avala difficilement.
— « Et Émile ? Pourquoi lui ne l’a-t-elle pas touché ? »
Laurent baissa la voix.
— « Parce qu’il ne parlait presque jamais. Il restait calme, silencieux… Comme s’il savait ce qui se passait. »
Dans la salle sombre, Antoine trouva la boîte métallique cabossée. Il ouvrit le carnet rouge.
— « Regarde ça… » dit-il en tendant le carnet à Laurent.
Celui-ci parcourut les pages, pâlit.
— « C’est Jeanne. Elle avait peur. Elle voulait rentrer chez elle. »
— « Tu crois qu’elle a menti ? » demanda Antoine.
— « Non. Mais elle savait que si elle parlait, ça empirerait. Cette femme, elle se nourrit du silence des enfants, » murmura Laurent.
Un frôlement derrière eux fit lever la tête à Antoine. Ils échangèrent un regard inquiet.
— « On ferait mieux de partir, » souffla Laurent.
Mais en quittant la salle, Antoine jura qu’un visage les observait depuis l’étage, derrière une vitre fendue.
— « Tu l’as vue, toi aussi ? » demanda-t-il à Laurent.
— « Oui, » répondit son hôte, le visage sombre. « Et elle ne partira pas tant qu’elle n’aura pas de nouveaux « jouets ».
Laurent posa doucement le carnet sur la table, son regard se perdit dans les flammes vacillantes de la bougie.
— « Elle cherche encore des enfants. Des nouveaux 'jouets', » souffla-t-il, la voix rauque. « Cette femme… elle les dévore lentement, et c’est ce qui la maintient jeune, presque immortelle. »
Antoine serra les poings, le poids de ces mots le glaçait.
— « Tu crois qu’on peut l’arrêter ? »
Laurent haussa les épaules, l’incertitude marquée sur son visage.
— « Je ne sais pas. Mais je refuse de rester là sans rien faire. C’est pour ça que je t’ai proposé de rester quatre jours. Pour voir si on peut comprendre, agir… »
Le silence s’installa un instant, épais, chargé d’angoisse.
— « On devra être prudents, » ajouta Antoine, d’une voix plus assurée. « Cette histoire est plus sombre qu’on ne le pensait. »
Laurent hocha la tête, sa main tremblante effleura le carnet.
— « Je crois qu’on tient quelque chose avec ce carnet. Si on arrive à déchiffrer ses secrets, peut-être qu’on aura une chance. »
Antoine inspira profondément, prêt à plonger plus profondément dans l’ombre.
— « On ne peut pas laisser cette femme continuer. Pour Émile, pour Jeanne… pour tous. »
Le regard de Laurent s’adoucit, mais l’ombre au fond de ses yeux ne disparut pas.
— « Quatre jours. On verra ce qu’on découvre. »
La pièce était plongée dans une lumière tamisée, seule la lueur de l’écran d’ordinateur éclairait leurs visages concentrés. Antoine tapotait sur le clavier tandis que Laurent scrutait les pages ouvertes devant eux, des notes griffonnées sur un carnet en équilibre sur ses genoux.
— « Regarde ça, » dit Antoine en pointant du doigt un forum ancien sur des disparitions similaires, « ça parle d’une ‘dame en noir’ qui rôderait dans la région depuis des décennies. Plusieurs témoignages évoquent des enfants qu’elle aurait enlevés, ou pire. »
Laurent fronça les sourcils, ses doigts tapotant nerveusement la table.
— « C’est exactement ce que ma mère racontait. Elle appelait ça ‘la dame du pallier’. Personne ne la voyait vraiment, mais tout le monde la redoutait. »
Antoine fit glisser des documents sur l’écran, passant d’un site d’archives locales à une vieille page de journal numérisée.
— « On a ici des articles sur des enfants disparus entre Montelac et ici. Les dates correspondent étrangement aux lettres et aux photos du carnet. On doit faire un tableau, organiser tout ça. »
Laurent acquiesça, son regard passant du carnet à l’écran.
— « Oui, classer par dates, lieux, noms. Et noter aussi les témoignages, même ceux qui semblent étranges. »
— « Je crée un tableau Excel, on pourra ajouter au fur et à mesure, » annonça Antoine. « On pourra faire des liens, des croisements. Ça nous aidera à ne rien oublier. »
Laurent soupira.
— « Il faut aussi que tu sois prudent avec Clara. Cette histoire, cette femme… je ne la sens pas. Protéger Clara, c’est ta priorité. »
Antoine le regarda droit dans les yeux.
— « Je sais. Je ferai tout pour elle. »
Les heures passèrent, ponctuées par les clics, les débats, les hypothèses échangées.
— « Tiens, » dit Laurent en pointant une photo vieille de plusieurs décennies, « regarde cette silhouette sur la droite. Tu crois que c’est elle ? »
— « Possible, » répondit Antoine, crispé. « Une ombre qui ne devrait pas être là. »
Le silence retomba, seulement brisé par le bruit des doigts qui écrivaient dans le carnet.
— « Si on arrive à relier tous ces faits, on pourra peut-être comprendre comment elle fonctionne, comment l’arrêter. »
Laurent releva la tête, résolu.
— « On le doit. Pour tous ces enfants. »
La pièce s’était peu à peu transformée en véritable centre d’enquête. Sur la table, outre l’ordinateur portable ouvert, trônait un grand cahier quadrillé où Laurent écrivait des notes, tandis qu’Antoine lançait un nouveau tableur.
— « Voilà, » annonça Antoine en faisant défiler la feuille Excel, « j’ai créé des colonnes : nom, date de disparition, lieu, témoignage, source, et commentaires. On peut ajouter des liens entre les entrées. »
Laurent se pencha pour lire.
— « Mets ici la disparition d’Émile Martelly : 1957, entre ici et Montelac, disparu sur le chemin de l’école. »
Antoine tapa rapidement.
— « OK. Et Jeanne Brisot, même année, même école, disparue quelques mois plus tard. »
Il ajouta les données, puis lança une recherche plus ciblée sur les forums et témoignages.
— « Là, sur ce forum, plusieurs témoignages parlent d’une femme en noir qui aurait cousu la bouche de certains enfants. On note aussi que personne ne semble pouvoir la photographier. »
Laurent hocha la tête, son visage sombre.
— « Oui, c’est la dame du pallier. Ma mère disait qu’elle cherchait de nouveaux enfants, de nouveaux ‘jouets’. Elle les dévorait lentement, c’est ça qui la gardait jeune, toujours aussi mystérieuse et terrifiante. »
Antoine regarda le tableau.
— « On peut aussi noter les dates où des phrases étranges ont été écrites dans la pièce de Zoé, les changements de l’écriture, les demandes d’aide. Il y a des motifs qui pourraient correspondre aux disparitions. »
Laurent prit un stylo et griffonna dans le cahier.
— « Attention à Clara, Antoine. La dame pourrait s’intéresser à elle. Ne la laisse pas seule. »
Antoine acquiesça, la mâchoire serrée.
— « Je ferai tout pour la protéger. »
Après plusieurs heures, ils croisèrent une piste : un témoignage ancien d’une voisine qui affirmait avoir vu une silhouette en robe noire près de la vieille école, quelques semaines avant la disparition d’Émile.
— « C’est notre première vraie piste, » dit Antoine, l’excitation dans la voix.
Laurent serra les poings.
— « Alors on continue, on fouille, on recoupe tout. Mais surtout, on veille sur Clara. »
Alors qu’ils poursuivaient leurs recherches tard dans la nuit, un post ancien sur un forum de passionnés du paranormal attira l’attention d’Antoine. Il cliqua, les sourcils froncés.
— « Écoute ça… » dit-il à Laurent. « Un certain “V.B.” raconte avoir vu “la dame en noir” dans les années 50, et affirme s’en être échappé. Il parle de “bouches cousues”, de cris d’enfants, d’un couloir souterrain sous l’école. »
Laurent s’approcha.
— « C’est signé comment ? »
— « Juste les initiales, et il dit avoir été interné en 1958 dans un hôpital psychiatrique à cause de ses récits. Le diagnostic : hallucinations, psychose traumatique. »
Antoine fit une recherche à partir de ces éléments, croisant les dates avec les hôpitaux psychiatriques des environs. Au bout d’un moment, il trouva une piste : Victor Béraud, ancien patient de l’hôpital de Saint-Alban, aujourd’hui âgé de 82 ans et toujours vivant dans un centre de soins à moins d’une heure de là.
— « Il est toujours en vie... » souffla Antoine.
Laurent blêmit légèrement.
— « Tu crois qu’il accepterait de nous parler ? »
— « S’il a gardé ça en lui pendant toutes ces années, peut-être qu’il attendait juste qu’on le croie. »
Laurent hocha lentement la tête.
— « On doit y aller. C’est pas juste une piste, Antoine. C’est peut-être la voix d’un survivant. »
Antoine, concentré, ajouta une nouvelle ligne à leur tableau :
Nom : Victor Béraud
Date : Disparu en 1957, réapparu traumatisé – interné à Saint-Alban.
Témoignage : A vu “la dame en noir”, mentionne des bouches cousues, des couloirs souterrains.
Statut : Vivant – résidence médicalisée à visiter.
Laurent posa sa main sur l’épaule d’Antoine.
— « Mais si ce qu’il a vu est vrai, ça veut dire que tout ce qu’on a trouvé jusqu’ici… c’est réel. Et que Clara est en danger maintenant. »
— « Alors on doit se dépêcher, » répondit Antoine. « On part demain matin. »
Cette nuit-là, Antoine rêva.
Le sommeil avait été difficile à trouver, et lorsqu’il tomba enfin dans l’inconscience, ce ne fut pas le répit, mais un cauchemar brutal qui l’accueillit.
D’abord, il n’y eut que le silence.
Puis un claquement sourd.
Des couloirs sombres. Des murs qui suintaient. Des pas d’enfant, précipités, puis stoppés net. Antoine avançait sans pouvoir contrôler son corps. Il se trouvait dans une école délabrée, les fenêtres opaques, comme recouvertes de suie. Chaque pas résonnait, étouffé comme si le bâtiment avalait les sons.
Des hurlements d’enfants s’élevèrent soudain. Déchirants. Multiples. Trop proches.
Il vit une pièce. Antoine ouvrit la porte lentement.
À l’intérieur, des enfants aux visages brouillés par l’ombre. Certains tremblaient dans un coin. D’autres grattait les murs. Tous avaient la bouche cousue.
Tous… sauf un.
Émile.
L’enfant était assis au centre de la pièce, les mains sur les genoux, les yeux écarquillés. Il ne pleurait pas. Il ne criait pas. Il regardait Antoine, comme s’il le reconnaissait.
Puis la lumière vacilla.
Et dans l’ombre du plafond… elle apparut.
La dame en noir.
Sa silhouette glissait sans bruit. Sa robe était faite d’un tissu mouvant, presque vivant, et son visage était flou, indistinct, comme grignoté par l’obscurité elle-même. Seuls ses yeux luisaient, cruels et anciens.
Elle s’approcha d’un enfant, déchira le fil qui cousait sa bouche avec ses ongles, et murmura :
— « Tu n’as plus rien à dire… »
Antoine hurla.
Et se réveilla en sursaut, trempé de sueur.
Le lendemain, ils partirent tôt.
Laurent conduisait. Antoine, encore troublé par le rêve, fixait les paysages défiler. La campagne était baignée d’un gris mat, humide. Les sapins bordaient la route, et par moment, une brume basse flottait au-dessus des champs. L’air sentait la mousse, la terre, et quelque chose de métallique.
Après une heure, ils virent les premiers panneaux indiquant Saint-Alban.
La résidence où vivait Victor Béraud ressemblait à une ancienne bâtisse transformée en centre médical. Ils furent accueillis par une infirmière aimable, mais méfiante, jusqu’à ce qu’Antoine dise :
— « Nous enquêtons sur une vieille affaire. Il a parlé d’événements dans les années 50… Des enfants disparus. Il est peut-être notre seul témoin. »
Elle les mena dans un jardin intérieur. Un vieil homme était assis là, sur un banc, regardant un arbre nu.
— « Victor ? » murmura l’infirmière. « Vous avez de la visite. »
Il tourna lentement la tête.
Son regard était vif, malgré l’âge.
— « Vous êtes les premiers à venir pour ça, » dit-il d’une voix rauque. « J’attendais ce moment. »
Laurent échangea un regard avec Antoine.
— « Vous vous souvenez ? » demanda doucement Antoine.
— « Je ne peux pas oublier, » répondit Victor. « J’ai été l’un des leurs… Pendant trois jours. Puis je me suis enfui. Mais j’ai vu… J’ai vu tout ce que les autres n’ont pas pu raconter. Parce qu’ils ne sont jamais revenus. »
Il baissa les yeux, ses doigts tremblants crispés sur sa canne.
— « Et je sais pourquoi Émile ne parlait pas. Elle n’avait pas besoin de lui coudre la bouche. Elle l’aimait bien, lui. Il était… silencieux. Et elle aime le silence. »
— « Qui est-elle ? » demanda Laurent, la gorge serrée.
Victor leva les yeux, et dans ses pupilles fanées, une peur intacte brillait encore.
— « Elle n’a pas de nom. Mais nous, les enfants, on l’appelait : la Mère des Bouches. »
Victor resta silencieux un instant, le regard perdu dans les branches dénudées du jardin. Puis, d’une voix brisée, presque étranglée, il reprit :
— « J’avais huit ans. On jouait dans la cour de l’école, un matin de novembre. Il faisait froid… Et le brouillard était si épais qu’on ne voyait pas à trois mètres. J’ai suivi un ballon. Rouge. Je me souviens de sa couleur. Il n’appartenait à personne. Il roulait lentement… comme s’il m’attirait. »
Il passa sa langue sur ses lèvres desséchées, ses mains tremblaient plus fort.
— « J’ai quitté la cour. Personne ne m’a vu. Et puis… j’ai senti qu’on m’attrapait. Une main glaciale. Pas forte, mais ferme. Je n’ai pas crié. J’étais pétrifié. Elle m’a parlé. Sa voix était douce. Chaleureuse. Mais fausse. Fausse comme un sourire dans un miroir brisé. Elle m’a dit qu’elle allait prendre soin de moi. »
Il tourna lentement les yeux vers Antoine.
— « Elle vivait sous l’école. Littéralement. Un ancien souterrain, des murs en terre battue, en pierre froide. Il y avait des lits rouillés, des chaînes… et une odeur. Une odeur que je sens encore parfois, la nuit. Un mélange de sang, de moisi… et de lait caillé. »
Laurent déglutit.
— « Tu n’étais pas seul ? » demanda-t-il.
Victor secoua la tête.
— « Non. Il y avait déjà cinq enfants. Des petits. Un ou deux ans de moins que moi. Et Émile. Il ne parlait jamais. Restait assis dans un coin, à dessiner sur les murs. Elle ne l’a jamais frappé. Il était… son préféré. »
Antoine, blême, nota chaque mot dans son carnet, tremblant presque autant que Victor.
— « Les autres… Elle disait qu’ils parlaient trop. Qu’ils trahiraient ses secrets. Alors elle… elle les cousait. D’abord avec du fil de cuisine. Puis avec du fil de fer. Elle avait une aiguille immense, rouillée, qu’elle faisait chauffer avant de percer leur peau. Elle disait que la chaleur ‘purifiait le mensonge’. Je… je les ai vus se débattre. Elle les attachait avec des sangles. Les petits hurlaient. Enfin, tentaient de hurler… »
Il s’arrêta, ses yeux embués.
— « Un soir, elle en a pris un. Un garçon qui avait mordu le fil pour l’arracher. Elle a dit qu’il fallait le ‘vider du bruit’. Elle l’a emmené derrière un rideau de toile. On a entendu des bruits humides. Puis plus rien. Et après… elle est revenue… les bras rouges… les ongles brisés… Elle chantait. »
Laurent murmura, terrifié :
— « Elle les a… tués ? »
Victor répondit, d’une voix presque absente :
— « Non. Pire. Elle les a gardés. Elle les a transformés en poupées vivantes. Ceux qui ne mourraient pas, elle les mettait debout, attachés à des crochets. Ils ne bougeaient plus. Elle leur mettait des vêtements propres, les lavait, et leur parlait… comme si c’était ses enfants. »
Antoine ne pouvait plus écrire. Il fixait Victor avec une horreur croissante.
Victor reprit, en fermant les yeux :
— « Elle ne mange pas comme nous. Elle boit. Elle aspire… la peur. Elle la garde dans des bocaux. Elle m’a dit un jour que la peur des enfants avait un goût sucré. Qu’elle pouvait en vivre des années. »
Il tourna soudain la tête vers eux, comme réveillé d’une transe :
— « Mais elle vieillit. Elle doit se nourrir à nouveau. Et je sais qu’elle est encore là. Quelque part. Elle a dû changer de nom. Mais elle attend. Elle regarde. Elle cherche de nouveaux enfants. »
Un silence s’installa, glacial.
Victor chuchota :
— « Et Clara… elle est déjà à elle, n’est-ce pas ? Je le vois dans vos yeux. »
Antoine répondit d’une voix blanche :
— « On va la sauver. »
Victor, en hochant lentement la tête, murmura :
— « Alors vous devez être plus rapides qu’elle. Parce qu’elle… elle ne lâche jamais ses jouets. »
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