L’ombre sur la République

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La République française, au matin du XXIᵉ siècle, ressemble à un navire qui flotte encore, mais dont les cales sont percées. Elle se pare toujours de ses grands mots , Liberté, Égalité, Fraternité, mais chacun, dans la rue, sait qu’ils sonnent creux. Liberté ? Oui, de consommer, de s’endetter, de courir après un travail qui use plus qu’il n’élève. Égalité ? Les chiffres le prouvent : jamais depuis l’après-guerre l’écart n’a été aussi grand entre ceux qui héritent et ceux qui n’auront rien. Fraternité ? Un mot qui agonise sous les cris de haine sur les réseaux, les murs dressés aux frontières, les quartiers où l’on s’évite plus qu’on ne se parle.

La démocratie elle-même est fatiguée. Jadis on croyait qu’une élection pouvait changer la vie ; désormais, on n’y voit plus qu’un rouage de plus dans une machine dont les engrenages grincent. Les partis se succèdent, mais les politiques se ressemblent : mêmes promesses, mêmes renoncements, mêmes compromis imposés par la "réalité des marchés". Car le véritable pouvoir n’est plus dans les mains du peuple, ni même de ses représentants : il se tient dans les bilans comptables des multinationales, dans les flux invisibles de capitaux qui traversent les continents plus vite qu’un décret ne peut être signé.

Et pourtant, la France n’est pas seule à vaciller. Partout dans le monde, le même dilemme s’impose : comment continuer à croître dans un monde aux ressources limitées ? Comment protéger ses industries quand la concurrence planétaire nivelle les salaires et déracine les emplois ? Comment exiger la vertu écologique de populations qui n’ont même pas de quoi nourrir leurs enfants, alors que les pays riches continuent de brûler du pétrole pour leurs loisirs ?

Il serait facile de peindre un tableau caricatural, d’opposer un "mal présent" à un "bien futur". Mais ce serait un mensonge. Le mal est réel, concret, palpable — et le bien n’est pas donné d’avance. Tout projet politique doit composer avec les inerties, les compromis, les résistances. Le bonheur collectif ne s’impose pas comme une formule magique : il se construit dans la friction entre l’idéal et la contrainte.

Voilà pourquoi il faut écrire. Non pas pour flatter les illusions, mais pour dresser une route. Non pas pour abolir d’un trait de plume les lois du marché, mais pour rappeler qu’un marché n’est qu’un outil, et qu’un outil peut être détourné. Non pas pour promettre la fin des crises, mais pour inventer une société capable de les traverser sans se briser.

Car si l’Histoire nous enseigne une chose, c’est bien cela : les civilisations qui survivent ne sont pas les plus fortes, mais les plus capables de transformer leurs faiblesses en énergie. La République française est aujourd’hui une ombre d’elle-même ; mais dans son ombre couve encore la possibilité d’une lumière.

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