Chapitre III - La Maison des Sages

3 minutes de lecture


Le lendemain de son arrivée, Gabriel suivit Mira par un sentier pavé de dalles irrégulières. L’air avait cette netteté des matins insulaires, où chaque odeur semble avoir été lavée dans la mer avant de revenir vers la terre : pin chauffé, pain encore tiède, parfum d’herbes sèches.

— Tu voulais comprendre ce que nous faisons des enfants, dit Mira. Tu verras aujourd’hui la Maison des Sages.

Ils passèrent devant des jardins en terrasses où des adolescents maniaient des bêches et des tablettes numériques dans un même geste. L’un mesurait l’humidité du sol avec un capteur, une autre traçait une carte des racines sur une tablette. Un garçon lança à Gabriel :

— Vous êtes le naufragé ! Bienvenue !
Il rit, un peu gêné, et poursuivit derrière Mira.

La Maison des Sages apparaissait au bout d’un verger : un bâtiment bas, blanc, aux larges baies ouvertes. Pas de clôtures. Sur les murs extérieurs, des fresques colorées représentaient des arbres, des constellations, des silhouettes humaines tendant la main à des oiseaux.

À l’intérieur, pas de couloirs sombres ni de cloches sonores. Les salles s’ouvraient les unes sur les autres, séparées par des bibliothèques ou de simples rideaux. Des groupes d’enfants travaillaient : certains lisaient en cercle, d’autres construisaient une maquette de pont, d’autres encore débattaient debout autour d’un tableau couvert de schémas.

Mira salua une femme aux cheveux blancs relevés en chignon.

— Voici Sophia, l’une des gardiennes.
— On dit “gardienne”, expliqua Sophia en serrant la main de Gabriel, parce qu’ici un adulte garde avant d’enseigner. On garde la curiosité, on garde l’élan, on garde aussi la règle quand il faut.

Elle conduisit Gabriel vers un panneau accroché dans le hall. On pouvait y lire :


Objectifs éducatifs (année en cours)

Lecture fonctionnelle à 12 ans ≥ 95 %

Décrochage scolaire < 5 %

Satisfaction des élèves : 80 % déclarent “j’ai trouvé ma voie” à 18 ans

Indicateurs publics


Lecture 2023 : 92 % (alerte si < 90 %)

Décrochage : 4,7 % (stable)

Satisfaction : 74 % (en hausse)

Déclencheurs automatiques


Si lecture < 90 % → déclenchement ateliers intensifs avec mentorat citoyen

Si décrochage > 5 % → convocation Conseil des Voies Alternatives

Si satisfaction < 70 % → ouverture de nouveaux modules d’exploration


Gabriel resta interdit.
— Vous affichez vos chiffres aux yeux des enfants ?
— Bien sûr, répondit Sophia. Comment pourraient-ils croire que l’école est pour eux si nous leur cachons nos propres résultats ? Ici, la transparence commence à dix ans.

Un adolescent entra en riant, un carnet de croquis à la main. Sophia le désigna.
— Lui, c’est Nadir. Il déteste les équations. Alors il suit une voie alternative : arts visuels + écologie. Mais il a quand même son socle : lire, écrire, débattre, coder un minimum, comprendre la Terre. Pas de fuite, pas de dérogation. Seulement une adaptation.

Gabriel hocha la tête. Dans son ancienne vie, il avait vu des adolescents qu’on abandonnait, étiquetés “inadaptés”. Ici, on ne les abandonnait pas : on leur ouvrait une autre porte, mais sur la même maison.

Au fond d’une salle, une vingtaine d’enfants présentaient un projet : un système de récupération d’eau de pluie pour les terrasses. L’un expliquait le schéma hydraulique, une autre lisait un poème qu’elle avait écrit sur “l’eau qui revient”. Le jury était composé de deux enseignants, d’une apicultrice de l’île et d’un citoyen tiré au sort pour l’année.

— Pas de notes ? demanda Gabriel.
— Pas de notes, répondit Mira. Mais des évaluations publiques, orales et écrites. Un projet est validé ou à refaire, et les raisons sont dites clairement. Ici, la médiocrité ne se cache pas derrière un chiffre, et l’excellence ne se prend pas pour un privilège.

Gabriel s’approcha du tableau final du projet. En bas, une phrase simple était gravée :

“Apprendre, c’est contribuer. Contribuer, c’est apprendre.”

À la sortie, un enfant de dix ans vint lui tendre un fruit.
— Pour toi, étranger. Tu as survécu à la mer. Tu dois avoir faim.
Gabriel prit la figue, surpris. L’enfant sourit :
— Ici, on apprend d’abord à donner. Le reste vient après.

En marchant de nouveau sous le soleil, Gabriel sentit une émotion étrange lui traverser la poitrine.
— Chez nous, murmura-t-il, nous parlons d’éducation comme d’une dépense. Ici, vous en parlez comme d’une richesse.
Mira lui répondit doucement :
— Parce que c’est la seule richesse qui grandit quand on la partage.

Annotations

Vous aimez lire OLIVIER DELGUEY ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0