Chapitre IV — Les Voies Alternatives
Le troisième jour, Gabriel suivit Níkos vers un quartier à l’écart du village. La lumière était plus douce, les chemins bordés d’arbustes taillés. Ici, point de fresques colorées ni de vergers riants : l’architecture devenait plus sobre, presque austère.
— C’est ici que nous accueillons ceux qui, ailleurs, seraient exclus, dit Níkos. Nous les appelons les déviants positifs. Pas parce qu’ils dérangent, mais parce qu’ils ouvrent une autre route.
Le premier bâtiment portait une inscription en lettres gravées : Maison de la Contribution. À l’intérieur, des adolescents fabriquaient des panneaux solaires miniatures. Un homme aux bras noueux corrigeait un plan.
— Ici, expliqua Níkos, ce sont les Écoles de Contribution. Pour les enfants qui ne supportent pas les cours classiques mais qui ont des mains, une énergie, un besoin de concret. Cinquante pour cent pratique, trente pour cent missions réelles, vingt pour cent socle de savoirs. Ils apprennent en réparant, en construisant, en aidant la communauté.
Un peu plus loin, ils entrèrent dans un espace plus calme, presque un cloître ouvert. De petites salles blanches, quelques plantes, des bancs circulaires. Des adolescents parlaient en groupe autour d’une femme à la voix douce.
— Les Maisons de l’Équilibre, dit Níkos. Ici, nous recevons ceux qui portent des blessures intérieures : anxiété, violence rentrée, douleurs de famille. Des psychologues, des éducateurs, mais aussi des citoyens volontaires. Le groupe parle, et le silence compte autant que les mots.
Un jeune garçon leva les yeux vers Gabriel, puis dit :
— Ici, on ne me punit pas quand je crie. On me demande pourquoi je crie. Et après, on me montre comment réparer.
Gabriel sentit une chaleur lui serrer la gorge.
Le chemin bifurqua vers une enceinte plus stricte. Des adolescents couraient, encadrés par deux adultes. Ils portaient des uniformes simples, gris. Les visages étaient tendus mais concentrés.
— Les Ateliers de Résilience, expliqua Níkos. Pour ceux qui dépassent les bornes : vols, coups, agressions. Ici, la règle est stricte, presque militaire : lever à six heures, activité physique, missions communautaires obligatoires. Mais chaque faute est suivie d’une réparation réelle : construire, nettoyer, restaurer, servir. Pas d’humiliation, pas de brutalité. Mais pas de laxisme non plus.
Un jeune lança à Gabriel en courant :
— Ici, si tu casses, tu répares ! Sinon, tu recommences !
Plus loin encore, au sommet d’une petite colline, une bâtisse circulaire aux larges fenêtres s’ouvrait sur la mer. Des rires s’en échappaient, des odeurs de peinture et de bois.
— Les Cités de l’Essai, dit Níkos. L’ultime voie. Quand un enfant ne trouve sa place nulle part, alors on lui donne un espace pour inventer la sienne. Ici, les projets sont choisis par eux, encadrés par des adultes. Un groupe construit un théâtre de plein air, un autre programme une application, un troisième élève des abeilles.
Gabriel observa une adolescente en train de sculpter une grande pièce de bois. Ses gestes étaient sûrs, précis.
— Et si ça échoue ? demanda-t-il.
— Alors ils recommencent, dit Níkos. Ici, l’échec n’est pas une faute : c’est une donnée. La seule règle, c’est de tirer une leçon et de la partager.
En redescendant, Gabriel remarqua une pierre gravée à l’entrée du quartier. On y lisait :
“Nul ne sort d’Elythria inutile.”
Níkos posa la main sur l’épaule de Gabriel.
— Voilà pourquoi nous ne parlons jamais de “perdus” ou de “ratés”. Ici, tout le monde travaille, mais pas de la même manière. L’important n’est pas de marcher droit, mais de marcher vers quelque chose.
Le soir, autour du platane, Gabriel raconta ce qu’il avait vu. Mira l’écouta, puis dit :
— Tu comprends maintenant ? Elythria ne sauve pas tout le monde. Certains refusent, certains fuient, certains s’enfoncent. Mais nous donnons à chacun une chance équitable. Pas une promesse. Une chance.
Gabriel hocha la tête.
— Dans mon pays, murmura-t-il, j’ai vu des jeunes disparaître entre deux rapports. On écrivait “décrocheur” et on passait à autre chose. Ici, vous écrivez une histoire différente.
— Oui, dit Mira. Parce qu’ici, nous croyons que la liberté n’est pas donnée : elle s’apprend. Et parfois, elle s’apprend mieux au bord du précipice.
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