Chapitre 57 (samedi 6 mai 2017)

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– Putain ! Julie, tu fais chier ! Tu pourrais me répondre ou au moins m'envoyer un message. Je veux juste avoir des nouvelles de Lucas.

Je jette de rage mon téléphone sur le lit et je me retourne pour sortir de la chambre. Kieran est là, je ne l'ai pas entendu entrer.

– Je suis désolé, je ne pensais pas que tu étais au téléphone.

Il y a une semaine de ça je l'aurais envoyé balader sans hésiter, mais maintenant les choses sont différentes. Je crois qu'on peut dire qu'en quelques jours nous sommes devenus amis. Et la discussion que nous avons eue hier soir, nous a définitivement rapprochés. Kieran s'est livré à moi comme il ne l'avait sans doute jamais fait avec qui que ce soit. Il m'a raconté la maladie de sa mère. Sa détresse et celle de son père. Sa décision d'aller en pension au lycée militaire, alors que son père voulait quitter l'armée pour s'occuper de lui. Sa solitude pendant son année de seconde. Incapable de communiquer avec les autres, il s'était isolé du reste des élèves. Les vacances d'été qui avait suivi, pendant lesquelles ils étaient partis en vélo avec son père, longeant toute la côte jusqu'au Pays basque. Ce voyage les avait rapprochés, et leur avait permis à tous les deux de reprendre le cours de leur vie.

Mon ami n'a pas bougé d'un centimètre. Il m'observe, hésitant visiblement entre effectuer un repli stratégique ou reprendre la parole.

Je décide de mettre fin au silence pesant qui s'est installé dans la pièce.

– C'est pas grave. Tu ne pouvais pas savoir. De toute façon, ça n'était même pas vraiment une conversation, puisqu'elle ne prend jamais mes appels. Je vais prendre ma douche.

J'attrape un caleçon et un tee-shirt pour la nuit et je rejoins la salle de bain.

Nous étions rentrés du restaurant depuis presque deux heures, et après avoir joué pendant plus d'une heure au poker tous les trois, nous avions convenu qu'il était l'heure d'aller se coucher. Kieran venait de se doucher lorsqu'il était entré dans la chambre. De mon côté, j'avais échangé quelques messages avec Corentin et Florian. Puis j'avais essayé d'appeler Lucas, mais comme pour Julie ensuite, j'étais tombé directement sur sa messagerie. Les quinze jours qui avaient suivi l'accident je n'avais pas osé l'appeler, je culpabilisais trop. Et depuis, impossible de le joindre. En fait, c'est impossible de joindre qui que ce soit : ni lui, ni ses parents, ni Julie. Quant à Coco et Flo, ils n'ont pas réussi à avoir d'informations. Ils ont harcelé Julie au lycée mais la seule chose qu'elle a bien voulu leur dire, c'est que Lucas avait bien été amputé d'une jambe. Rien que d'y repenser, j'ai la nausée et des frissons.

J'entre vite sous la douche pour essayer de me réchauffer, et j'essaie de penser à autre chose. Connaissant Kieran, il ne va pas pouvoir tenir sa langue lorsque je vais revenir dans la chambre. Je crois que je devrais lui parler. Je ne risque rien à me confier à lui et je vais devenir fou à ressasser tout ça dans ma tête sans pouvoir en discuter avec qui que ce soit. Je me sèche rapidement et je le rejoins.

Kieran est assis sur le lit que nous partageons, avec son ordi sur les genoux. Il fait semblant d'être absorbé par quelque chose, mais je suis certain qu'en fait il réfléchit à la façon dont il va engager la conversation. Je parie qu'il va y aller cash.

– C'est ta petite copine Julie ?

– Gagné !

Il me regarde bizarrement, d'autant plus que je rigole bêtement.

– Gagné quoi ? C'est ta petite copine ? Ou t'as parié un truc débile avec mon père ?

– Avec moi-même. J'ai parié un truc dans ma tête ! OK, c'est un peu bizarre. Non ?

– Si !

– Mais non !... Non, c'est ma réponse à ta question, dis-je en rigolant encore plus.

– Ah ! OK.

– Je n'ai pas de petite copine mais j'ai Lucas, mon boyfriend... Ouais, il me semblait que ça passait mieux en anglais.

– T'es gay ?!

Mon ami m'observe comme s'il avait besoin d'être sûr que je n'étais pas en train de lui faire une blague.

– Pour être franc, je ne sais pas vraiment. Je crois que si quelqu'un m'avait posé cette question il y a encore deux mois, je lui aurais sans doute mis mon poing dans la gueule. Par contre, il y a une chose dont je suis certain à cent pour cent, c'est que je suis amoureux de Lucas. Ça fait peut-être de moi un homo... ou alors je suis une espèce d'hybride, qui fonctionne aussi bien au diesel qu'a l'énergie solaire.

Kieran ne dit rien et semble réfléchir. Je profite de cette pause dans la conversation pour venir m'installer dans le lit à côté de lui. Il s'écarte légèrement. Pour me faire de la place ou bien pour éviter que je le touche ?

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