Chapitre 59 (samedi 6 mai 2017)

4 minutes de lecture

– À voile ou à vapeur !

Kieran est hilare, mais réussit à compléter son information entre deux fous rires :

– C'est l'expression exacte, j'ai déjà entendu mon père l'utiliser plusieurs fois. Mais faut avouer, que tu l'as grave relookée.

Son rire est contagieux et pendant plusieurs minutes nous nous essayons à différentes expressions, toute plus bêtes les unes que les autres, ce qui ne nous aide pas à nous calmer :

– Au four ou à la poêle !

– À la moutarde ou au Ketchup !

– Au beurre ou à l'huile !...

Ces sont finalement les coups frappés à la porte, suivis de l'entrée quelques secondes plus tard d'Erwan, qui nous aident à nous apaiser un peu.

– On peut savoir ce qui vous fait rire les garçons ? Ça fait au moins dix minutes que je vous entends vous bidonner, et vous avez attisé ma curiosité !

– Euh !... C'est Arthur qui s'amuse à détourner des expressions.

Aucun de nous deux n'ose donner plus d'explication et Erwan décide de s'en contenter.

– OK, en tout cas essayez de faire un peu moins de bruit sinon je sens que je ne vais pas tarder à avoir Mme Carrot au téléphone. Tu sais comment elle est, Kéké ! Allez, bonne nuit.

Erwan sort, et finalement mon rire reprend.

– Kéké... c'est mignon ça... et pourquoi pas Kiki ?

Kieran fait semblant de bouder. Il est encore plus mignon comme ça. C'est étrange, je crois que c'est la première fois, Lucas mis à part, que je trouve un mec beau.

Est-ce que je lui dis ? Non, je crois qu'on va éviter. Avec ce que je viens de lui révéler ce n'est peut-être pas le moment. En attendant, ça doit faire une minute que je le fixe, il va finir par trouver ça étrange.

– Et qu'est-ce qui s'est passé du coup avec Lucas ?

Il me demande ça d'une toute petite voix. Il a bien compris qu'il s'aventure sur un terrain dangereux, mais de toute façon je crois qu'il était incapable de tenir plus longtemps sans parler.

– Putain Kéké ! Tu ne peux pas tenir ta langue deux minutes.

– Si tu ne veux pas en parler, c'est pas grave. Je comprends.

– C'est pas ça... c'est juste que c'est compliqué. Lucas, c'est... Ce jour-là, on avait piscine au lycée. Je le connaissais déjà, on était dans la même classe mais... je ne sais pas comment l'expliquer. On a été obligés de se changer dans la même cabine, et il s'est passé un truc... spécial... et je l'ai embrassé.

– Ouahou !

– Te moque pas !

– C'est pas le cas, je t'assure. Et ensuite ?

– Ben, je l'ai invité à un match de l'OL, mais honnêtement je ne savais pas trop où je m'aventurais. Et bizarrement ce soir-là, c'est lui, alors qu'il est largement plus timide que moi, qui a pris les devants en m'avouant qu'il était gay...

– Et alors, tu lui as dit quoi ?

– Pas moi !

– T'as rien dit ?

– Non, j'ai dit, pas moi.

– Merde, t'as pas assuré !

– Ouais, je sais. Mais il n'a pas lâché l'affaire. Le lendemain, il a insisté et m'a un peu bousculé. Et le soir même, j'acceptais de sortir avec lui. De toute façon je n'avais pas le choix, il m'obnubilait. Depuis notre baiser à la piscine je ne pensais qu'à lui et j'en rêvais toute les nuits.

– Quand même !

– Ce mec est... Il n'est pas simplement beau. Sous son aspect timide et coincé il y a un type génial, courageux et...

L'émotion commence à me gagner, et je fais une pause de quelques secondes avant de reprendre.

– Ça a été génial pendant presque trois semaines. Et puis, un vendredi on a un peu merdé à la piscine. Enfin, c'est surtout de ma faute. Lucas avait peur qu'on se fasse choper par le prof, et c'est moi qui ai insisté. Et c'est ce qui est arrivé. Il a ouvert le vestiaire alors qu'on s'embrassait et que j'étais en train de le... tu vois ?... avec ma main...

– Il a dit quoi ?

– Pas grand-chose au final, mais le mardi on était convoqués dans le bureau du directeur. Il y avait le prof de sport, notre prof principal, qui est le seul à nous avoir défendu, et les parents de Lucas.

– Et pas les tiens ?

– Non. Pour faire court, j'habitais tout seul. J'étais censé me démerder à cause des conneries que j'avais faites dans mon ancien lycée, et mon père m'avait expédié loin d'eux. En tout cas, on s'est fait descendre en flammes. Je ne dis pas qu'on ne le méritait pas, mais le directeur voulait tout faire pour éviter un conseil de discipline, pour pas faire de vagues, tu comprends ?

Kieran hoche la tête et je respire un grand coup, avant d'attaquer le plus dur de l'histoire. Je n'ai pas encore commencé mais je sens déjà mes yeux s'humidifiés.

– On s'était mis d'accord avant et on a même enregistré tout ce qui s'est dit. Du coup, l'un après l'autre on a quitté le bureau, et au final on s'est cassés en moto pour être tranquille un moment et réfléchir à la suite. Et à un feu... une voiture... j'ai rien pu faire...

Kieran se rapproche de moi et il attrape mes mains pour me soutenir. Je vois qu'il attend que je reprenne la parole, mais c'est compliqué. Cette fois, des larmes coulent le long de mes joues, dans un lourd silence.

– L'ambulance est arrivée rapidement... Lucas avait perdu connaissance et je voulais me battre avec tout le monde... Je pense qu'ils m'ont fait une piqure pour me calmer.

Cette fois, c'est moi qui réduis l'espace entre nous et je viens poser ma tête contre mon ami.

– Je ne l'ai jamais revu... Tout ce que je sais, c'est qu'ils ont dû l'amputer d'une jambe...

Kieran bouge un peu, m'obligeant à me décoller de lui. Il sanglote lui aussi. Je vois à travers le flou créé par mes pleurs, son visage se rapprocher du mien, et je sens la chaleur de ses lèvres sur les miennes.

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