11. Aladji

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 Ce soir, Aladji ne se sent plus fort du tout. Plus du tout indestructible. Il erre dans l’appartement, passe d’une pièce à l’autre sans véritable but autre que celui de déceler des traces de la présence de Lila, des stigmates qui lui rappellent le temps d’avant, avant son départ. Il est déjà allé dans la salle de bain, a respiré Lila en sentant l’un de ses parfums, qu’elle a laissé là, en évidence, comme pour atténuer la peine qu’elle lui faisait en le quittant. Il s’est aussi rendu dans la chambre, a ouvert la penderie, a caressé la robe blanche de Lila, celle qui est échancrée dans le dos, celle qu’il préfère parce qu’il a l’habitude de passer sa main sur sa peau nue. Elle ne l’a pas emportée non plus. C’est peut-être le signe qu’elle n’est partie que temporairement, se dit Aladji avant de s’apercevoir de l’inanité de son espoir : on ne quitte pas quelqu’un temporairement. Une rupture est une porte qu’on ferme à clé.

 Aladji ne comprend pas ce qui a pu se passer, c’est arrivé si vite. Il n’a pas vu les prémices de l’orage, l’éclair l’a traversé d’un coup. Il se demande ce qu’il a fait, ce qu’il n’a pas fait, ce qu’il aurait dû faire pour éviter la foudre de s’abattre sur lui. Maintenant, dans la cuisine, il grignote des céréales en plongeant sa main directement dans le paquet. Ce sont celles que Lila prend tous les matins – prenait tous les matins –, il aime la regarder préparer son bol avec minutie, deux cuillerées de céréales, un peu de lait jusqu’à recouvrir les céréales, elle mélange, elle ajoute une autre cuillerée : elle aime que certaines céréales croquent sous son palais tandis que d’autres sont plus tendres, celles que le lait a ramollies. Le rituel est immuable. Mais c’est ailleurs qu’elle le fera désormais. Devant un autre que lui.

 Elle n’a pris, pour le moment, que des affaires de première nécessité. Elle lui a dit en partant je prendrai le reste plus tard si ça ne t’embête pas trop. Elle a ajouté je suis désolée, tu n’y es pour rien, ça m’est tombé dessus sans que j’y prenne garde. Il a demandé s’il le connaissait, elle a répondu non, il a demandé qui c’était, elle a dit à quoi ça te servirait de savoir son nom puisque tu ne le connais pas, il n'a pas su quoi répondre, c’était vrai, qu’est-ce que ça lui apporterait, un prénom et un nom, ça ne changeait rien, au fond, alors il n’a rien dit. Sur le pas de la porte, il l’a regardée s’éloigner avec son petit sac en bandoulière. Il a espéré qu’elle se retournerait avant de rentrer dans l’ascenseur ; elle ne s’est pas retournée.

 On est samedi soir, elle est partie ce matin, Aladji a tourné en rond toute la journée. Il prévoit que son dimanche ne sera guère plus reluisant.

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