Famille de chasseurs

25 minutes de lecture

Un panneau coulisse sur ma droite, et la lumière inonde la pièce plongée, jusqu'alors, dans le noir.

-Quelle heure est-il ? Questionne une voix masculine dans mon dos.

Petit test, après m'avoir laissé seule ici pendant des heures... Je papillonne des yeux pour m'habituer à la luminosité grandissante, et dirige mes pupilles vers la direction supposée du soleil.

-L'heure d'aller en cours ? Taquine-je.

-Tu ne pourras pas répondre ça, en pleine traque, souffle la voix, à mon oreille, cette fois. Quelle heure est-il ? Répète-t-elle, insistante.

-A vue de nez, je dirais... Sept heure, sept heure et quart.

-Il est huit heure trente, petite tête ! Tu as des progrès à faire !

Il appuie sa tirade d'une tape sur l'arrière de mon crâne, et je me retourne vivement en l'entendant se reculer. Je fronce le nez, et le fusille du regard.

-Haruto... Gronde-je, la voix pleine de menaces.

-Galadyell, répond-il en fléchissant les genoux et en penchant la tête sur le côté.

Il plante ses yeux couleur de glace dans mes pupilles couleur émeraude, un sourire légèrement malsain plaqué sur ses lèvres rosées. Je serre les poings et m'élance sur lui, l'attrapant à la taille. Il recule de quelques pas, avant de passer ses bras autour de moi et de me faire basculer sur le côté. Nous nous écroulons l'un sur l'autre, lui sur moi, et le choc me vide les poumons. Il me maintient par terre, mais, en me tortillant, j'arrive à passer une jambe entre nos deux corps. D'une grande poussée, je le projette au-dessus de ma tête, et l'entends atterrir lourdement. Il se met à rire, puis roule sur le ventre avant de poser sa main sur mes cheveux. Je me dégage d'un mouvement de tête, me redresse en position assise et me tourne vers lui, mes yeux parcourant les lignes de son visage.

Sa peau pâle et ses traits fins sont encadrés par une chevelure aussi blonde que la mienne est noire. Ses lèvres pleines sont courbées en un sourire joueur qui fait briller ses yeux bleus. Après notre petit corps-à-corps, sa tignasse est en bataille et ses vêtements, défaits, et je ne doute pas d'être dans le même état.

La porte s'ouvre en grand, et un garçon d'une quinzaine d'années, de cinq ans mon cadet, entre. Il a des cheveux blonds qui lui tombent sur la nuque en épis, et ses yeux sont cachés par des lunettes de soleil à la teinte très sombre.

-Encore à vous battre, les jumeaux ? Demande-t-il d'une voix ennuyée en fourrant les mains au fond des poches de son jean noir.

-Bennett ! Souris-je en m'approchant.

Je passe une main dans ses cheveux, et il se recule en râlant. Il se dégage vivement quand Haruto réitère mon geste.

-Qu'est-ce que tu fais là ? Questionne mon jumeau avec un demi-sourire amusé.

-Père et Wayatt vous cherchent, répond-il simplement en se recoiffant d'un geste.

Toujours en s’aplatissant les cheveux sur le haut du crâne, il tourne les talons et nous le suivons dans les couloirs de la maison. Les murs clairs se succèdent dans un dédale de tournants et de portes, puis nous arrivons dans la tanière de mon frère aîné. Celui-ci fait aussitôt tourner son siège vers nous, nous incitant d'un geste à zigzaguer entre les câbles étalés par terre pour le rejoindre. Wayatt, de quatre ans notre aîné, à Haruto et moi, est un solide gaillard aux cheveux noirs, aux yeux bleus clairs et au sourire charmeur toujours collé sur la trogne. Un pur beau gosse bâti comme Père, dont il est le sosie, doublé d'un génie de l'informatique.

-Tiens ? Tu es là toi aussi, le benêt ? Lance-t-il au cadet de notre fratrie.

Celui-ci répond par un grognement et va s'installer dans un coin qui n'est pas éclairé par la multitude d'écrans que possède Wayatt. Son boulot, à celui-ci, est de relever des traces d'actions de ces créatures dont les hommes ignorent l'existence, et qui se traduisent généralement sous formes de meurtres ou d’enlèvements de masse inexpliqués. Wayatt adore se surnommer « L'Oeil de Dieu », car il sait pirater tous les systèmes informatiques et trouver les moindres petites informations, même les plus confidentielles... Ce qui en fait un hors-la-loi, vu sous cet angle... Jusqu'à ce que Haruto et moi commencions les missions, il y a huit ans, mon frère aîné partait sur le terrain avec Père.

Quelques secondes après nous rentre Missy, ma tante. Elle est l'aînée de la génération de mon père. C'est une grande femme à la silhouette très élancée, et à la tenue décontractée. Ses cheveux noirs sont retenus par une pince de couleur vive, et ses yeux noisettes sont encadrés par une monture rouge. Elle aussi a abandonné les missions sur le terrain, au profit de recherches plus poussées sur les créatures que nous sommes amenés à chasser, le tout en étroite collaboration avec Wayatt. Elle tient d'ailleurs entre ses bras quelques dossiers qu'elle pose sur la table pour venir nous saluer.

-Vous vous êtes encore battus, constate-t-elle en remettant nos coiffures en ordre. William, Alexander et Izabelle se battaient souvent aussi, à votre âge, continue-t-elle pour elle-même. Il y a vraiment un lien spécial entre les enfants nés d'une même portée...

-Portée ? Répète mon frère d'une voix sourde. On est pas des animaux !

Missy nous adresse un sourire, à nous et à Père, puis se détourne vers ses papiers.

-Bien, reprend-elle alors. L'affaire qui nous amène ici... Wayatt, si tu veux bien afficher la photo, s'il te plaît.

L'écran géant à notre gauche s'allume. Il y a un cri, puis un bruit de chute.

-Bennett ! Tu es là, toi aussi ! S'étonne ma tante alors que mon frère se rassoit sur sa chaise en boudant de plus belle.

Haruto et moi nous concentrons sur l'image qui nous fait face. Un homme, d’après ce qu'il en reste... La jambe gauche est totalement arrachée, la droite, juste en dessous du genou. Plusieurs bouts de chair ont été enlevés sur les bras et le visage, dont il manque là-aussi une partie, et révèlent les os à nu. Le pire reste le thorax. Ouvert de la gorge au nombril, le torse n'est plus qu'un grand trou, où l'on peut voir les pointes saillantes de la cage thoracique, brisée par un coup visiblement puissant, et compter les organes manquants. Cœur, poumons, estomac... Je me force à déglutir et à inspirer profondément pour ne pas vomir, et je sens Haruto en faire autant à côté de moi.

Bruit de touche, et d'autre photos du même genre s'alignent sur l'écran. Des hommes, des femmes et des enfants aux corps mutilés et gonflés par un séjour prolongé dans l'eau.

-Qu'est-ce que c'est que ça ? S'étrangle Bennett dans mon dos.

-Que s'est-il passé ? Questionne en même temps mon jumeau.

Mais les questions restent pour l'instant sans réponses, car Missy nous fait passer de petits feuillets contenant les informations dont nous disposons à l'heure actuelle. Photos et descriptions des victimes, lieu des découvertes des corps, un vrai dossier de séries policières ! C'est la première page qui attire mon attention.

-La Nouvelle-Orléans ? On va en Amérique ?

-Effectivement, confirme ma tante. Ces corps ont été retrouvés dans le bayou de la Nouvelle-Orléans, une à trois semaines après la signalisation de leurs disparitions.

-Trois semaines ? S'étonne Bennett en s'approchant dans mon dos.

-On sait ce qui pourrait être à l'origine de... Ça ? Demande Haruto, alors que mon frère cadet se penche au-dessus de mon bras pour lire en même temps que moi

Missy soupire et s’appuie contre le bureau de Wayatt en enlevant ses lunettes. Puis elle se gratte le front à l'aide d'une branche de celles-ci.

-Les gens du coin parlent d'attaques d'alligators. Le dernier cas similaire d'un tel acte, explique-t-elle, remonte à plus de deux cent ans, et en Amazonie. Les seules créatures, à notre connaissance, capable de faire ça sont les sirènes. Ce n'est qu'une supposition, ajoute-t-elle ensuite devant nos sourcils froncés d'incompréhension. Il n'y a pas eu de traces d'activités depuis quatre générations. J'ai dû fouiller dans les archives pour être sûre.

-On doit comprendre quoi par là ? Qu'on a pas d'infos sur elles ?

-Pas beaucoup, admet ma tante. Nous comptons aussi sur votre missions pour obtenir de plus amples détails sur ces créatures.

Haruto hausse un sourcil alors que je tourne les feuilles de mon livret jusqu'à la dernière page, celles des informations sur la ou les créatures à traquer lors des missions., mais il n'y a que deux pauvres phrases. La première indiquant une principale activité nocturne des sirènes, et la deuxième qu'elles se dessèchent en moins de dix minutes lorsqu'elles se trouvent hors de l'eau. Aucune indication sur le physique ou les capacités. Une mission à l'aveugle. Mes yeux croisent les prunelles bleues d'Haruto, et nous poussons le même petit soupir.

-Vous partirez tous les deux demain matin, nous dit Père en nous désignant, lui qui était resté silencieux jusque là, adossé au mur et les bras croisés sur la poitrine.

-Et moi ? S'exclame Bennett, en colère de ne pas être sur la mission. J'ai l'impression de rouiller.

-Tu pars ce soir avec ton oncle sur une autre affaire, ne t’énerve donc pas, sourit Père.

Je finis par quitter la pièce, alors que ma tante, Père, Wayatt et Bennett attendent Oncle Alexander pour parler des détails de la prochaine affaire.

-Aucune info, grommelle Haruto aussitôt la porte fermée, tout en balançant un coup de pied dans le vide.

-On a toute la journée pour en trouver, tenté-je.

-Missy n'a rien, lâche-t-il, bougon.

-Notre tante ne sait pas tout, fais-je remarquer. Je vais aller faire un tour aux archives pour trouver les fameux documents de l'époque, elle a peut-être loupé un détail. Toi, tu n'as qu'à t'occuper des armes.

-Ça m'étonnerai, murmure-t-il. Mais si tu veux...

Je lui presse gentillement l'épaule, puis le laisse dans le couloir, me dirigeant vers le sous-sol. Il me faut une dizaine de minutes pour y arriver, et j'en profite pour lire plus en détails les profils des victimes. Pas mal d'habitants, quelques touristes... Tous des gens qui avaient choisi le Bayou en guise de lieu d'escapades nocturnes, et qui n'en étaient jamais revenues. La personne la moins amochée a été retrouvé une semaine après la signalisation de sa disparition, et celle qui a perdu le plus de morceaux, à peine plus de trois semaines. Au vue de la situation, je suis plutôt contente que Bennett ne nous accompagne pas...

Un chuintement me fait lever la tête, et je croise les yeux noisettes rieurs d'Alexander. Il est l'aîné des triplés que sont Père, Izabelle et lui, et ils se distinguent les uns des autres par la couleurs de leurs yeux, aillant la même chevelure noire et presque le même gabarit ; bleus pour Père et Izabelle et noisettes pour Alexander.

-Tu m'as l'air un peu pressée, me sourit-il gentillement.

-Et toi, pas assez ! Tout le monde t'attend en salle info, répliqué-je sur le même ton.

Il hausse les épaules avec un éclat de rire, m'ébouriffe les cheveux et commence à partir.

-Au fait, me lance-t-il avant de disparaître du couloir. Il y a un problème avec le système informatique en bas. J'espère que tu n'avais pas l'intention de chercher quelque chose dans les archives.

-Quel problème ?! M'exclamé-je en me retournant vers lui.

Mais Alexander a disparu, me laissant seule avec mes futures galères. Avec un grand soupir, j'appuie sur un bouton à côté de la double porte, et celle-ci s'ouvre en coulissant. J'entre alors dans un petit ascenseur ne possédant rien d'autre qu'une petite encoche sur ma gauche, à hauteur de hanches. Les portes se referment, et je place mon auriculaire dans la cavité. C'est un système de reconnaissance digitale personnalisé, où chaque membre de la famille s'est enregistré dans la base de données par le doigt de son choix. Bennett, par exemple, en homme classe et distingué, a choisi le majeur, et Haruto, son annulaire.

Une petite lumière verte s'allume sur ma main et l’ascenseur commence sa descente vers le sous-sol. Moins d'une minute plus tard, ce sont les portes en face de moi qui s'ouvrent, et une lumière tamisée révèle une pièce grande comme trois hangars où repose, sur des centaines d'étagères, le trésor familial. Des générations de rapports de missions effectuées par les Chasseurs de notre famille. Notre base de données sur les créatures contre lesquelles nous pourrions être amenés à faire face.

Je pianote un instant sur le PC près des premières bibliothèques, et découvre le fameux « problème ». Une maintenance faite par Wayatt pour mettre à jour les archives numériques qui ne s'est pas encore terminée. Je me retrouve donc à vagabonder dans les étagères pour chercher les documents qui m’intéressent. Et ceux-ci sont peu nombreux. C'est en fouillant un peu au pif que je tombe sur le premier rapport mentionnant les sirènes, datant de 1775 et parlant du même type d'attaques dans les eaux de Venise que celles observées dans le Bayou. Mais celui qui a écrit le rapport n'a pas jugé bon pour les générations futures de mettre une description physique, les décrivant simplement comme des êtres abominables mais enchanteurs.

Le deuxième rapport que je trouve semble contenir mon Graal. Après deux énormes paragraphes sur l'extinction de masse dans les eaux de l'Amazonie, menée par mon arrière-arrière-arrière-grand-père, le troisième paragraphe, au bas de la page, commence par : « Physiquement, les sirènes ont un corps semblable à celui d'un... ». Je me hâte de passer à la page suivante pour continuer ma lecture, mais les textes ne concordent pas. Il me faut plusieurs secondes pour comprendre que la page qui m’intéresse n'est absolument pas à sa place ! Remplacée par une autre, ou tout simplement perdue. Je laisse échapper un cri de rage qui va se perdre dans le silence des archives, puis sors après quelques nouvelles recherches infructueuses.

En consultant ma montre, je constate que j'ai quand même passé presque deux heures au sous-sol, entourée de ces papiers, et mon ventre vide me rappelle que je n'ai rien avalé depuis la veille. Je prend donc la direction de la cuisine pour un casse-croûte, l'heure n'étant plus au petit-déjeuner, et pas encore au déjeuner. C'est donc avec un croissant et une tasse de café que je rentre dans le salon, où je trouve ma mère. Assise sur le canapé beige en face de l'écran plasma où défilent les images d'un film historique, elle caresse d'un geste aimant son ventre rebondi. En m'apercevant, elle me fait signe de m'approcher, et de m'installer à côté d'elle en tapotant la place à sa gauche.

Elizabeth est, de mon point de vue, une très belle femme, blonde aux yeux verts -dont j'ai hérité- que la grossesse rend magnifique. Elle passe dans mes cheveux une main aux longs doigts manucurés, entortillant une mèche sombre autour de ses phalanges pâles.

-Faîtes attention, là-bas, me souffle-t-elle de sa voix douce.

-Comme d'hab' ! Rassuré-je. Rien d'inconsidéré, récité-je ensuite machinalement. Observation et investigation dans un premier temps, terrain ensuite. Repli en cas de pro...

-Je sais, je sais, me coupe-t-elle en levant une main pour m'intimer le silence.

Je pose ma tasse sur la table basse en verre et lui embrasse la tempe pour la rassurer. Puis je me penche pour poser l'oreille contre son ventre. Pile à l'instant où le bébé donne un coup qui forme une bosse contre ma joue. Je souris, puis écoute les battements de cœur en fermant les yeux, pendant que Mère caresse mes mèches noires à intervalle régulier.

Une demi-heure plus tard, je retrouve Haruto dans la Salle des Armes, sa salle fétiche. Entrepôt de poignards, pistolets et autres machines à tuer en tout genre qui font la panoplie du Parfait Petit Chasseur, et dont il connaît les moindres détails. J'observe la petite pile d'armes qu'il a sorti pour nous, et dont il me dresse la liste à voix haute tout en les rangeant dans leurs étuis, puis en les alignant sur une table.

-Dagues, 9mm, arbalète pour moi,arc pour toi, commence-t-il gaiement.

-Je n'ai rien trouvé, balancé-je alors.

Il perd son sourire, et me dévisage un instant, douché.

-T'es sérieuse là ? Questionne-t-il d'une voix un peu froide.

Avec un soupir, je lui rapporte rapidement mes trouvailles, et l'observe ensuite se mordiller la lèvre inférieure avec anxiété.

-C'est du suicide, souffle-t-il.

-Père nous confie cette mission, il nous fait confiance, dis-je en le prenant pas les épaules. Et c'est toi le mec, c'est moi qui devrait flipper, et toi me montrer à quel point tu es fort pour me réconforter !

Il finit par sourire à ma réplique et passe un bras autour de mes épaules en m'embrassant sur le front.

-Tu as raison... Mais admets que tu es inquiètes aussi.

-Je ne peux pas ! Tu as inversé les rôles !

Il a un petit rire, et se détourne vers la malle pour en tirer son arbalète.

-Je vais m'entraîner, ça va me changer les idées.

Il attrape son carquois et passe dans la salle attenante. Voilà un moment que Haruto et moi ne nous sommes pas entraînés ensemble ! Je prends donc mon arc et mon propre carquois, et le suis. Il s'est installé au fond, plaçant sa cible en silence, et je me place à son côté après être allé en chercher une pour moi. Haruto a déjà commencé à tirer -deux carreaux dans le cœur et un dans la tête- quand je place la première flèche sur mon arc. J'expire et ferme les yeux en tirant la corde, inspire et les ouvre en plaçant mon bras correctement, et bloque ma respiration en visant. La pointe de la flèche, dans l'alignement de mon œil gauche, est pointée sur le cœur. Haruto appuie sur la détente au moment même où je lâche la corde, et le carreau et la flèche se fichent en même temps au milieu de la tête peinte, côte à côte.

-Tu as changé d'endroit, me reproche mon frère.

-Tu as carrément changé de cible, rétorquai-je en armant à nouveau.

La flèche se plante dans le cœur en s'enfonçant dans la paille jusqu'aux plumes.

-Corde trop tendue ? Se moque Haruto.

-L'arc de chasse est trop puissant pour ce genre de cible, et la flèche trop petite...

D'un coup de carreau, il termine d’enfoncer la flèche, qui tinte de l'autre côté de la paille, et se met à rire en observant les plumes tomber au sol. Le tout pendant que je l'engueule de foutre mon matos en l'air. Je passe le temps qu'il reste avant le repas de midi à recoller les plumes sur l’empennage de la flèche.

Haruto et moi passons une partie de l'après-midi à donner à Bennett toutes les informations dont nous disposons pour sa prochaine mission.

-Les vampires ? La base ! Commence mon jumeau.

-On a commencé par ça, indiqué-je à mon cadet. Un pieu dans le cœur...

-... Recouvert de sang de mort, c'est très important pour l'affaiblir, complète Haruto.

-... Tu démembres et t'y fiches au feu avant qu'il se régénère !

-Ça a l'air vachement facile dit comme ça, fait remarquer Bennett.

-C'est comme ça que Wayatt nous l'avait expliqué, rit Haruto. Mais les vampires sont puissants et rapides. Ne les sous-estime surtout pas, et sois toujours prêt à contre-attaquer.

-Tu es avec Oncle Alexander, il n'y a aucune raison que ça se passe mal ! Souris-je.

Bennett ne semble pas convaincu par nos paroles, mais il finit par se détendre, et nous sortons pour préparer nos affaires. La chambre d'Haruto est en face de la mienne, et j'essaye de ne pas faire grand cas du bordel qui règne sur le parquet lorsqu'il en ouvre la porte.

-Bien, récapitule-t-il. Une valise d'habits normaux, et une avec l'uniforme et les armes.

-Tu m'as prise pour une bleue ? M'énervé-je légèrement.

-Tu emmène toujours deux fois trop d'affaires, réplique-t-il aussitôt.

-Ben voyons ! C'est pourtant toujours toi qui n'arrive jamais à fermer ta valise il me semble !

Nous nous fixons en chiens de faïence pendant une dizaine de secondes, puis tournons les talons en même temps. Nos portes claquent au même moment, puis le silence reprend sa place dans le couloir. Sur mon lit se trouvent deux piles de vêtements dont l'odeur de lessive flotte doucement dans l'air. Je soupçonne Mère d'avoir passer sa journée à préparer nos affaires, à mes frères et moi. J'attrape les valises dans le dressing adjacent, et place les habits dedans, après avoir observé chacun d'eux un instant. Un coup résonne derrière moi, et je me retourne juste à temps pour voir Haruto faire son entrée dans la pièce.

-A toi aussi, Mère a... ?

-Ouais, coupe-je en bouclant la deuxième des valises, une noire à gros ronds rouges.

Il me sourit, et je lui rends une grimace en plaçant mes bagages dans un coin de la chambre.

-T'inquiètes pas, pour la mission, reprend-il. Y'a pas de raison pour qu'on ne la réussisse pas !

-Ça y est, t'as retrouvé tes parties ? Questionné-je d'un air narquois.

-On sera les premiers à ramener des descriptions précises, et le premier spécimen pour qu'on puisse l'étudier comme il faut, continue-t-il sans répondre à ma pique.

-Père sera fier de nous si nous y arrivons.

-On va le faire, décrète-t-il en me saisissant par les épaules.

-Quelle belle assurance ! Toi qui a flippé toute la journée...

Il toussote, hausse les épaules, et quitte la pièce en marmonnant un vague « C'est moi, l'homme. » qui me fait lever les yeux aux ciel. Je récupère un livre dans ma bibliothèque et m'allonge sur mon lit pour le bouquiner, jusqu'à l'heure du repas.

Je retrouve ma famille dans le grand salon, installée autour d'une table croulant sous les mets. Wayatt arrive juste derrière moi.

-Mère, se lance Bennett. Nous serons revenus bientôt, pas la peine de nous faire un repas d'adieu.

-Mon bébé, rétorque Mère. Vous partez tous les quatre, et votre tante Izabelle n'est toujours pas rentrée. La maison va être vide pendant un moment. Et je prépare les repas que je veux !

-Il n'y a pas un gramme de logique dans cette argumentation, Mère, fait remarquer Wayatt. Enfin, ça a un sens, dans le fond, mais ça ne donne rien sur la forme...

-Et je ne suis plus un bébé, râle le plus jeune de la famille. Arrête de m'appeler comme ça.

Il y a un rire de nez, dont je soupçonne Oncle Alexander d'être à l'origine, mais son visage ne trahit pas le moindre amusement, fixé qu'il est sur son assiette. Bennett lance un regard courroucé à la ronde, et finit son plat dans un silence boudeur.

-Alexander, interpelle Père alors que nous entamons le dessert. Le jet est prêt à décoller quand tu le voudras.

-Parfait ! Répond mon oncle avec un sourire immense. Alors nous ne...

-Attendez ! S'écrie Haruto. Attendez ! Si Oncle Alexander et le Benêt prennent le jet ce soir, comment on part demain, Gala et moi ?

-Par un vol long-courrier, répond Wayatt. Je suis allé mettre vos billets sur vos lits avant le repas. Par contre, vous ne serez pas en première classe, avertit-il.

Le visage de mon jumeau se décompose. S'il y a bien quelque chose qu'il ne supporte pas, ce sont les longs vols où l'on ne peut pas bouger d'un millimètre !

-Le trajet va être long, soufflé-je pour moi-même, en baissant le nez sur le bout de tarte encore présent dans mon assiette.

La fin du repas se passe dans une ambiance bon enfant, où mon jumeau se fait charrier par notre aîné sur ses goûts de luxe. Avec une lenteur exagérée, Oncle Alexander se moque à son tour en se tamponnant la bouche avec le coin de sa serviette, qu'il plie proprement avant de la poser sur la table. Puis il se lève.

-Bennett, nous allons partir, indique-t-il, tout sérieux retrouvé. Va chercher tes affaires.

-Elles sont déjà dans l'entrée, répond alors celui-ci en repoussant son assiette.

Alexander quitte la pièce, partant chercher ses propres valises dans sa chambre.

-Où partez vous ? Questionné-je lorsqu'il revient.

-Afrique du Sud ! Annonce fièrement mon frère cadet.

-Un vampire en Afrique du Sud ? Pouffe Haruto. On dirait le début d'une mauvaise blague...

Bennett se contente de lever les yeux au ciel en le bousculant. Mère s'avance, et serre le petit blondinet dans ses bras.

-Sois prudent, ordonne-t-elle.

Mais sa voix supplie un peu,comme à chaque fois que l'un de nous part. Elle lui embrasse le front après qu'il ai promis, puis se recule. Père, qui chargeait leurs bagages dans la voiture, fait son apparition à côté d'elle et indique que tout est prêt. Cinq minutes plus tard, et après une dernière embrassade, le moteur démarre et le véhicule s'éloigne dans l'allée. Le visage inquiet, les bras protégeant son ventre arrondi, ma mère les regarde disparaître. Je pose ma tête contre son épaule.

-Bennett est avec Oncle Alexander, il ne lui arrivera rien, chuchotai-je pour la rassurer.

-Tu as raison, admet-elle au bout d'un petit instant.

Elle passe un bras autour de moi et me frictionne l'épaule, les yeux perdus dans la nuit mais un sourire apaisé aux lèvres.

-Gala ! S'écrie-t-on dans notre dos.

La voix est désespérée, et je me retourne juste à temps pour que Haruto m'attrape par les bras et me secoue comme un prunier.

-Wayatt vient de me dire que le vol est à cinq heure demain matin ! C'est bien trop tôt !!!

L'éclat de rire qui résonne dans le hall me laisse penser que mon aîné n'a pris ce vol uniquement que pour voir cette réaction.

-T'es vraiment sûr que t'es pas une fille ? Me contenté-je de demander à mon jumeau lorsqu’il consent enfin à me lâcher.

Il me fixe un instant d'un œil noir, puis tourne les talons en ronchonnant que le monde entier est contre lui.

-Il est tard, tu devrais aller te coucher, me conseille Mère en me caressant la joue.

Je lui embrasse la pommette comme elle me serre dans ses bras, puis me dirige dans ma chambre. La porte donnant sur celle de Haruto est grande ouverte, et je l'observe un instant alors qu'il se prépare un petit sac pour le voyage. Je lance un vague « Bonne nuit » auquel il répond sans lever la tête. Ma porte se ferme dans un claquement étouffé, et j'attrape mon sac à bandoulière, où je fourre mes deux livres de chevet du moment, et de quoi faire passer le trajet plus vite. Puis j'enfile rapidement le grand T-shirt et le short qui me servent de pyjama, me glisse entre mes draps et m'endors après m'être tournée deux ou trois fois.

C'est Haruto qui me réveille le lendemain matin. Je me redresse en baillant, et me frotte les yeux.

-Quelle heure est-il ? Questionné-je d'une voix pâteuse.

-Devine, me provoque-t-il.

-Je dirais... Trois heure trente ?

-Pas mal, abdique mon frère.

Et je sens un petit rire dans sa voix. J'allume ma lampe de chevet, et découvre mon jumeau dans toute sa splendeur ; les cheveux en bataille, les yeux fermés à cause de la lumière soudaine, un bras ballant et l'autre en chemin vers son torse, habillé seulement d'un caleçon rouge-orangé. Sa musculature, fine, est mise en avant par le jeu d'ombre et de lumière de ma lampe. Il se gratte le pectoral d'un geste distrait, tout en papillonnant des paupières.

-Quoi qu'il en soit, baîlle-t-il finalement. Prépare-toi, on part bientôt.

C'est un peu hagarde que je me change, après une douche rapide, et je prends mon petit-déjeuner dans le brouillard. Comme la veille au soir, Mère vient sur le perron pour nous souhaiter un bon voyage, et nous faire promettre d'être prudent. Père nous amène à l'aéroport. Le trajet se fait en silence, et je me rappelle qu'il nous édictait les règles de sécurité, les premières fois où nous partions, Haruto et moi. Celui-ci termine d'ailleurs tranquillement sa nuit, allongé sur la banquette arrière, et je lui grattouille les cheveux pour le réveiller, quand notre destination se montre à nous. Malgré l'heure, la foule est dense, et le brouhaha, incessant. L'enregistrement des bagages prend un peu de temps, et, après avoir regardé nos valises disparaître sur le tapis roulant, nous nous dirigeons vers la porte d'embarquement d'un pas rapide.

-Pas d'imprudence, nous dit Père. Appelez-nous au moindre problème.

-Il n'y en aura pas, promet Haruto, et j’acquiesce d'un mouvement de tête.

Un dernier câlin lorsqu'une voix au-dessus de nos têtes nous conseille gentillement de nous dépêcher si nous ne voulons pas regarder l'avion partir sans nous, et nous nous séparons. Haruto et moi passons le portique de sécurité, la pièce cachée au fin fond de la poche de mon jean le fait sonner. Nous patientons une vingtaine de minutes avant d'avoir accès à l'avion, et pendant ce temps, j'observe l'activité sur le tarmac, le front appuyé sur la vitre. A côté de moi, Haruto surveille l'intérieur de la salle. Il m'indique, d'une tape sur le bras, qu'il est temps d'y aller. Je le suis dans le sas d'embarquement, puis jusqu'à nos places, le regardant se décomposer au fur et à mesure que nous nous éloignons de la classe Business en avançant dans la rangée. Je m'installe du côté du hublot, et sort le dossier que nous a donné hier notre tante. Certains détails m'avaient chiffonnée, lors de ma première lecture, et je n'ai pas eu le temps d'y revenir avant d'aller me coucher. Appuyée sur l'accoudoir, éclairée par la petite lampe au-dessus de moi, je me plonge dans les premiers rapports d'autopsie. Une oreille distraite tournée vers mon frère, je suis étonnée de ne pas l'entendre râler. Mais je n'ai pas longtemps à attendre...

-On aurait pu prendre notre jet, bougonne Haruto en se tortillant sur son siège.

-Au retour, lui promis-je en m'installant confortablement.

Inutile de lui rappeler qu'il est déjà utilisé.

-Pourquoi une classe aussi basse ? Râle-t-il toujours. On ne peux même pas croiser les jambes !

-Mon cher frère, tu es beaucoup trop porté sur le confort, soupiré-je en tournant une page du dossier dans lequel je suis plongée. Et cesses de gigoter, tu gênes le monsieur à côté de toi...

Il se stoppe aussitôt, et je sens son regard courroucé se poser sur moi. Une dizaine de minutes plus tard, je lui propose un chewing-gum, sans pouvoir m'empêcher de me moquer :

-Pour que tes tympans délicats ne souffrent pas lors du décollage.

-Très drôle, marmonne-t-il.

Il le prend néanmoins, et le mastique avec beaucoup trop d'énervement pour que ce ne soit pas forcé. Ce qui me fait sourire alors que je reporte mon attention sur le rapport.

-Qu'est-ce que tu fais ? Demande-t-il, deux films plus tard. Ça fait cinq heures que t'as ce dossier devant les yeux.

-Il y a un truc dans les rapports qui cloche, lui chuchoté-je. Certains d'entre eux indiquent que des cadavres n'ont pas été tués par les sirènes, mais juste boulottés par elles...

-Ils étaient morts avant?

- « Marques de coups mortels », « Couteaux », « Balles »... Ils ont été assassinés avant d’atterrir dans le Bayou.

-Donc quelqu'un savait que les sirènes effaceraient les corps ? Questionne-t-il, tout son sérieux retrouvé.

-Je pense plutôt qu'il pensait aux alligators pour ce job... Ils sont connus pour ça...

-Et... Les sirènes n'auraient tué personne ?

-Si, beaucoup de touristes et de locaux... Mais je ne saurais pas te dire le nombre exact... J'étais en train de compter avant que tu ne m'en fasse perdre le fil.

-T'en étais à combien ? S'enquit-il sans se soucier une seule seconde de mon reproche.

-Sur la trentaine de corps découverts, j'en suis à une dizaine de dévorés post-mortem.

Haruto tapote sa cuisse du bout de ses doigts, la tête penchée en arrière, alors qu'il plonge dans ses réflexions.

-Une vingtaine de victimes directes, et d'autres qui s'ajoutent certainement pendant que nous parlons... C'est bien assez pour que nous nous déplacions, conclut-il après un instant de silence.

En baillant, je hoche la tête et retourne à ma lecture. Quand il me ferme le dossier sous le nez.

-Repose-toi, m'enjoint-il. Je prends la relève.

-Alors que tu es sur le point de t'endormir ?

-Je terminerai ton boulot en me réveillant, me sourit-il.

Il range le feuillet dans son sac, puis s'installe pour dormir. Mes doigts trouvent les siens, pendants à l'accoudoir, alors que je tourne les yeux vers le hublot, dont je ferme le volet. Haruto met moins de cinq minutes à trouver le sommeil, et j'écoute sa respiration régulière pendant un moment. La tête posée sur son épaule, je finis par m'endormir à mon tour.

La secousse est douce, accompagnée de quelques mots lointains :

-Gala, debout.

Je m'étire en regardant autour de moi avec hébétement, et observe mon frère récupérer nos bagages à main dans le porte-bagage au-dessus de nous.

-Quessquisspass ? Marmonné-je.

-On est à New York, il faut qu'on aille chercher notre prochain avion. Aller la dormeuse !

-Pourquoi tu ne m'as pas réveillé avant qu'on amorce la descente vers la ville ? Demandé-je en le suivant vers la porte.

-Parce que tu as besoin de sommeil visiblement, déclare-t-il en se retournant pour me mettre une pichenette sur le front. T'arrives même pas à éviter ça...

Nous continuons à marcher dans le couloir jusqu'à la zone d'accueil, et le brouhaha nous entoure. L'aéroport new-yorkais est grand. Assez pour que j'arrive à perdre Haruto dans la foule, alors que je m'étais arrêté pour observer les environs.Je le retrouve une dizaine de minutes plus tard, où il me fait la leçon.

-Je ne suis pas ta nourrice Galadyell, me sermonne-t-il après que l'on se soit perdu l'un l'autre une seconde fois. Arrête de t'arrêter et de te perdre, je vais tout de même pas te prendre par la main !

-C'est l'air américain qui te stresse comme ça ? Questionnai-je en rajustant la bandoulière de mon sac sur mon épaule. Notre avion est dans deux heures, on se serait retrouvé dans le hall d'embarquement, au pire.

Il soupire longuement en secouant la tête, puis laisse finalement tomber. Il tourne les talons et me laisse en plan, et je laisse un distance se mettre entre nous avant de lui emboîter le pas, juste pour le bonheur de le voir criser une troisième fois. Et ça ne loupe pas, il se retourne au bout de vingt mètres, et revient en arrière pour passer son bras autour de mon cou et que l'on fasse ensemble le tour des magasins que propose l'aéroport en attendant notre vol.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire P.M. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0