A travers le Bayou

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La première chose qui me frappe, en mettant le nez hors de l'appareil, c'est la chaleur humide qui fait l'ambiance de la Louisiane.

-Bienvenue en Nouvelle-Orléans ! Lancé-je gaiement alors que Haruto et moi faisons nos premiers pas sur le tarmac.

Celui-ci grommelle vaguement en se frottant les cheveux, puis il se dirige vers les valises pour récupérer les nôtres. Je pars un peu en avant pour chercher des informations à l'accueil, et dégote l'adresse d'un hôtel, ainsi qu'une petite liste d'activités sympathiques à faire dans la ville.

Le Bed's Stop est un petit motel qui ne paye pas de mine au premier abord, mais se révèle être un établissement haut-de-gamme agréable et bien situé, à mi-chemin entre le centre-ville et le lieu de notre mission. Le petit appartement que nous louons possède un charme désuet qui fait aussitôt son effet. La porte d'entrée donne directement sur le salon, qui dispose d'un canapé, d'un fauteuil et d'une télévision posée sur un petit meuble et séparés par un table basse. Derrière se trouve une cuisine américaine toute équipée. La porte sur la gauche donne sur la chambre, et celle sur la droite amène à la salle de bain. Je tombe aussitôt sous le charme de la baignoire, un grande cuve ronde avec un effet cuivré, que je suis la première à inaugurer. La chambre contient un grand lit double au draps foncés, encadré par des petits guéridons en bois et surmonté par les lumières murales. Haruto ouvre les tiroirs, et me montre avec un petit rire le livre rouge qu'il tire de l'un d'eux.

-Amen ! S'exclame-t-il en le remettant à sa place et en faisant claquer le tiroir d'un mouvement de hanche.

Je me contente de lever les yeux au ciel, mais le petit sourire qui étire mes lèvres trahit mon amusement. En ouvrant la fenêtre, je jette un œil à l'extérieur et regarde la vie qui anime la rue pendant un moment.

-On va faire un tour en ville cet après-midi ? Propose Haruto en s'installant à côté de moi. Et dans la soirée, on ira en reconnaissance ?

-Ça marche pour moi, soufflé-je en m'étirant.

Nous sortons de la chambre après avoir déposés nos valises dans un coin. Par curiosité, je jette un œil dans le réfrigérateur, et constate avec plaisir qu'il contient de quoi préparer un repas.

-J'espère que t'as faim ! Lancé-je à mon frère, qui s'est vautré dans le canapé.

Un grondement d'estomac me répond, et j'en souris en remontant mes manches. Au boulot, donc ! Il s'installe à table une dizaine de minutes plus tard, et je dépose devant lui une assiette d’œufs brouillés, de tranches de bacon fumé et des toasts grillés tartinés de beurre. Le tout accompagné de grands verres de jus de fruits. Un repas typiquement américain qui fait saliver Haruto de bonheur.

Après le casse-croûte, nous enfilons nos vestes et descendons dans la rue. Nous passons l'après-midi à flâner dans les rues de la Nouvelle-Orléans. Des rues vivantes et remplies de gens que nous prenons un vrai plaisir à visiter et à découvrir. Durant près de trois heures, je m'émerveille sur les boutiques d’antiquités et les librairies, pendant que mon frère me traîne dans différents magasins d'armes, d'où il ressort avec un Colt rutilant qu'il s'amuse pendant quelques secondes à faire briller au soleil.

-Au fait, qu'as-tu acheté ? Questionne-t-il en se retournant finalement vers moi.

-Chez les antiquaires, rien. Mais dans les librairies, j'ai trouvé la première édition de Gatsby le Magnifique, et un cahier vierge à la couverture absolument magnifique !

-Encore un ? Qu'est-ce que tu as fais de l'autre ?

-Pour l'instant rien, répliquai-je en plissant les yeux sous un reflet de soleil. Mais je le donnerai à Bennett quand j'aurais fini de le recopier ! Terminé-je en rebroussant chemin en direction du motel.

-Pourquoi ? S'étonne Haruto en me rejoignant.

-Parce que ce cahier est important, et qu'il en a besoin. Notre frère ne pourra pas toujours compter sur nous, et ce livre contient tout ce que nous avons besoin de savoir pour notre boulot ; les incantations, les formules, toutes les méthodes de captures et d’annihilations...

-Tu t'emballes frangine, souffle mon jumeau en me prenant le bras pour m'arrêter. Je comprends parfaitement, mais tu lui mâches le travail.

-C'est faux ! M'exclame-je en reprenant la route. C'est Wayatt qui nous as donné nos cahiers, je donnerais le sien à Bennett, il y marquera ses propres remarques, en fera une copie qu'il confiera à Eva...

-... Ou Evan, coupe Haruto. Tout comme les autres générations de notre famille l'ont fait... Mais déstresse, tu veux ? Pourquoi tu veux lui donner Ton livre, et pas la copie ?

-Parce que je peux pas confier au Benêt celui que je viens de trouver... Il est beaucoup trop beau pour qu'il le laisse traîner partout sans en prendre soin... Et j'espère que ce sera Eva, ajoute-je. J'en ai marre d'être la seule fille de notre génération !

La conversation s'éteint sur cette phrase, comme mon frère s'étouffe de rire, ne pouvant répondre. Une fois de retour dans notre chambre de motel, je m'installe à la table de la cuisine pour commencer ma séance de recopiage, alors que Haruto s'allonge sur le canapé, allumant la télévision au passage. Il s'endort devant une émission de Talk-show que j'écoute d'une oreille distraite, jusqu'à ce que son alarme sonne.

C'est la fin d'après-midi quand Haruto et moi prenons la direction du bayou. Il est assez tard pour que les touristes laissent tomber l'idée d'une ballade dans les eaux boueuses du marécage, mais encore assez tôt pour ne pas se faire attaquer par nos cibles. Une partie de notre avancée se fait dans un bateau à moteur que nous louons. Lorsque que nous atteignons la zone de découverte des corps, un zone bordée de terre et praticable à pieds, nous attachons notre embarcation à un arbre et continuons en pataugeant dans la boue. Très vite, notre environnement se referme sur nous, et malgré le fait que nous marchons le long de la berge, nous nous retrouvons rapidement à avancer avec de l'eau à mi-mollet. Rapidement, la preuve flagrante que nous nous trouvons au bon endroit nous arrive aux narines.

-Bon sang... Cette odeur ! M'exclamé-je en me pinçant le nez.

-Cadavres en décomposition, commente sobrement Haruto en plaçant son foulard sur le sien.

Ma botte s'enfonce dans la vase, et il y a un énorme bruit de succion quand j'arrive à la sortir de là. Au pas suivant, mon pied bute contre quelque chose, et je finis à quatre pattes dans l'eau. Mes mains, en avant pour amortir ma chute, entrent en contact avec un objet relativement mou. Haruto m'aide à me relever, et, alors que je termine de me redresser, un visage perce la surface de l'eau, suivi du corps auquel il est rattaché. Comme ceux que nous avions déjà vu auparavant, un peu plus de la moitié du corps a été rongé, laissant un orbite vide qui nous fixe, alors que l'autre œil nous lorgne, terne et sans paupière. Il ne reste qu'un moignon de la jambe droite, et il manque des morceaux sur les trois autres membres. Son torse est grand ouvert, laissant voir ses organes. Mon frère s'accroupit juste assez pour que ses fesses frôlent la surface du Bayou et pousse le cadavre du doigt.

-Difficile de voir avec l'eau, mais il semble qu'il manque les poumons et le cœur... L'estomac aussi, visiblement.

Il se redresse en rajustant la lanière de son sac sur son épaule. Ses yeux clairs balayent les environs et s'arrêtent sur une ligne d'écailles qui ride la surface un peu plus loin.

-Des sirènes et des alligators... Super ! Soupire-t-il.

Moi, je fouille la vase du pied, et constate que ce qui m'a fait trébucher il y a cinq minutes n'est plus là.

-Bougeons, tu veux ?

Je l’attrape par le poignet et le traîne sur la rive malgré ses protestations. Je secoue les jambes pour me débarrasser du surplus d'eau que contient mon pantalon.

-Ça devient trop profond après... On va avoir besoin du bateau pour continuer... T'as pas vu une trouée tout à l'heure pour l'amener jusqu'ici ? Questionné-je.

-Il va être trop tard, intervient Haruto. Et on est pas équipés. Retournons en ville...

-Et qu'est-ce qu'on fait pour lui ? Rétorqué-je en désignant le macchabée encore en train de flotter. On ne peut pas le laisser ici ! Il y en a d'autres dans la zone à qui on peut éviter cet état, je suis sûre !

Il m'attrape par les épaules, et me secoue légèrement pour me remettre les idées en place.

-On ne peut rien faire pour les morts, me rappelle-t-il gravement. Préparons-nous pour sauver les vivants.

Des mots que Père n'avait de cesse de répéter lors de nos entraînements... Je sais qu'il a raison, mais de nombreuses personnes ont été portées disparues, et l'envie de les retrouver en bon état prend le pas sur la prudence. Ses yeux bleus m'exhortent au calme, et la raison finit par reprendre sa place dans mon esprit. Nous faisons demi-tour et quittons la zone, au profit d'un endroit beaucoup plus animé.

Le pub est bondé de jeunes en mal de fêtes et de plus vieux en mal d'aventures, mais Haruto et moi trouvons néanmoins une petite place dans un coin de la salle pour poser nos fesses, après avoir tant bien que mal commandé des bières au comptoir.

-Tu n'aimes pas les bières, affirme mon frère, une fois que nous sommes installés.

-Grosse émotion, indiqué-je en prenant une gorgée du liquide ambrée.

Le goût du houblon roule sur ma langue, et me fait grimacer, alors qu'un petit frisson me parcourt les bras. Je fais glisser mon verre vers Haruto, qui a déjà descendu la moitié du sien en une seule gorgée.

-Je pense qu'on a failli y passer, ajouté-je devant son sourcil haussé. Quand je suis tombée... J'avais trébuché sur quelque chose... Et quand j'ai fouillé un peu la vase après, ça n'y étais plu...

-A ton avis, c'était... ?

-Aucune idée... Quoi qu'il en soit, après ce qu'on a vu, faut se préparer... On peut pas laisser passer ce massacre, chuchoté-je.

-Je sais Gala. Et on le fera ! On a réussi à trouver le nid du premier coup, on a pas besoin de se lancer dans de grosses recherches, c'est un bon point, non ?

Je souris. Il n'a pas tord. Pas de masques à mettre pour obtenir des informations sur la situations... Wayatt a bien fait son travail. Si ce n'est qu'à part le nom de notre ennemi, nous ne savons rien sur lui... Haruto termine son verre, et s'attaque tranquillement au mien en laissant son regard vagabonder sur ce qui nous entoure. Mais je sais qu'à l’intérieur, il réfléchit autant que moi à un plan d'attaque.

Nous passons encore quelques jours à préparer le terrain avant de passer à l'action. Haruto commence par vérifier que personne ne peut voir l’intérieur de l’appartement à partir de l'extérieur, puis sort nos armes pour les aligner sur la table basse. Elles ne vont évidemment pas toutes servir, et nous commençons par tirer du tas nos dagues. Mon frère place son arbalète à côté des deux lames, et je dépose à mon tour un pistolet et un silencieux, avant de ranger les autres et de nettoyer celles que nous avons sélectionnées.

Nous nous sommes changés, et avons passé la tenue que nous appelons « de chasse ». Composée d'un pantalon, d'un T-shirt et d'une veste à capuche de teintes très sombres et près du corps afin d'éviter que notre environnement ou nos ennemis ne nous accrochent, des gants en cuir pour ne laisser aucune empreintes. Dans un sac à dos, nous mettons une lampe torche chacun, l'arbalète de Haruto, le revolver et le silencieux pour moi et nos lunettes de vision nocturne. J'accroche une dague à mon mollet, avant d'enfiler mes bottes, et seule la garde dépasse du cuir souple.

Après quelques derniers ajustements, nous quittons le petit appartement et prenons la direction du Bayou. Il est presque vingt-trois heure, et nous ne croisons plus grand monde dans les rues. Nous atteignons sans encombres l'embarcation que nous avons loué pour cette sortie -le propriétaire ne voulait d'ailleurs pas nous la confier, mais l'odeur de l'argent lui a rapidement fait changer d'avis- et naviguons dans les eaux boueuses du Bayou, Haruto à la barre, et moi éclairant les chemin avec les lampes torches. Je guette le moindre mouvement à la surface de l'eau qui pourrait signifier une attaque des sirènes, mais seuls les yeux des alligators reflètent la lumière que je braque sur eux. La trouée qui mène au nid des créatures que nous chassons est à peine assez grand pour que la barque ne passe. Je range les lampes torches et nous passons les lunettes de vision nocturnes pour continuer le chemin. Nous progressons lentement, à la rame, en guettant aux alentours.

Finalement, mon jumeau nous immobilise, et s'installe à côté de moi, mais me tournant le dos, pour surveiller mes arrières. Ses doigts se serrent et se desserrent sur le manche de son arme, cherchant instinctivement la prise parfaite. Et c'est en silence que nous attendons, épiant dans la nuit, cherchant les moindre mouvement dans les nuances de vert qu'affichent nos lunettes. Pendant un très long moment... Et finalement...

-On a de la compagnie, me chuchote Haruto.

Je me retourne, et il me désigne un paquet de bulles qui crèvent la surface, à quelques centimètres sur notre droite.

-Elle va sauter sur le bateau ? Soufflai-je à mon tour, un peu inquiète à cette idée.

Mon frère rajuste ses lunettes de vision nocturne sur son nez puis s'accroupit sur le bord de la barque, son arbalète posé sur son genou et visant la forme qui émerge avec une lenteur impressionnante. Un crâne s'élève, recouvert de cheveux filasses qui semblent avoir l'aspect des algues. Deux yeux étrécis sans paupières font ensuite leurs apparitions, et le fait que la créature prenne une grande inspiration par le trou qui devrait être son nez me fait penser qu'elle est aveugle. Dans mes lunettes, ses pupilles sont d'une pâleur lunaire. Sa peau a l'air écaillée, et sa bouche sans lèvres s'ouvre et se referme sur le cliquetis régulier de ses dents pointues qui s'entrechoquent. Cela forme une sorte de mélodie qui me glace le sang.

Une main aux doigts osseux attrape le bord de notre embarcation, en même temps que l'arbalète tombe des mains de Haruto. Celui-ci semble dans une sorte de transe, paupières mi-closes et bouche à demi-ouverte. Il se penche en avant, vers le bras rachitique et la main tendue, prête à l'attraper et l'entraîner dans les profondeurs du bayou. J'attrape mon frère par le col de sa veste, et le tire en arrière tout en sortant la dague de l'étui accroché à mon mollet.

D'un mouvement large, je tente de la planter dans le bras de la créature, mais la lame ripe le long des écailles. D'autres mouvements autour de moi me font tourner la tête, et je remarque que mon frère et moi sommes encerclés par une demi-douzaine de sirènes, semblables à la première, exception faite de quelques orbites vides tournés vers nous. L'une d'elle a attrapé à deux mains le bord de la barque, et utilise des muscles absolument inexistants pour se hisser à bord. D'un même mouvement, je la percute à la tempe avec le talon de ma botte, et, du bout du pied, j'allume le moteur du bateau.

Un cri suraigu me vrille les tympans, et une multitude de bras sortent de l'eau pour tenter de me saisir. Je me couche au fond de l'embarcation, ramenant Haruto contre moi, alors que celle-ci file à tout allure. Mais les sirènes nous suivent, à en juger aux battements de leurs corps contre le bois et leurs cris qui nous entourent toujours. Haruto se redresse juste assez pour voir notre direction mais il se penche aussitôt pour me crier à l'oreille des mots que les hurlements couvrent largement. Comme il se couche sur moi, j'en déduis qu'il va y avoir un choc. Et choc il y a. Rude, lorsque nous heurtons la berge à pleine vitesse, mais plus encore lorsque l'on atterrit sur le sol, après un bref vol plané.

Haruto me maintient contre lui jusqu'à ce que l'on s'arrête totalement. Nous nous redressons en vitesse, et, après avoir fouillé un instant dans nos sacs à dos, éclairons les alentours grâce à nos lampes torches. Les faisceaux lumineux balayent la boue de la berge, effleurent les contours de la barque et survolent les eaux soudainement calmes du Bayou. Nous finissons par nous tourner l'un vers l'autre, en évitant de nous éblouir, et Haruto, les cheveux en bataille et les yeux écarquillés de frayeur, vient me serrer contre lui. Je ne doute pas un instant d'être dans le même état, et je me sens trembler entre ses bras. Nous nous frictionnons le dos mutuellement, et nous remettons de l'ordre dans les cheveux avant qu'il ne fasse un rapide tour de terrain pour récupérer son arme et nos lunettes, tombées lors de la chute. Lorsqu'il met enfin la main dessus, il les range rapidement, et nous nous hâtons de sortir de l'endroit.

Nous atteignons le motel environ quarante-cinq minutes plus tard, toujours aussi trempés et boueux.

-Visio ? Questionne-je.

-Préviens Wayatt. Mais une douche d'abord !

Une heure plus tard, la neige tombe sur l'écran pendant que Haruto branche l'ordinateur et fixe la webcam à la télévision de notre hôtel et que je me connecte en ligne pour parler avec Missy. Son visage apparaît presque immédiatement. Elle est accompagnée de Père et Wayatt.

-Comment s'est passé votre essai sur le terrain ? Questionne-t-elle aussitôt les salutations terminées. Avez-vous ramené un spécimen à étudier ?

-Non, réponds-je. Mais j'ai failli perdre Haruto. Il s'est laissé prendre par... Je sais même pas ce qu'elle faisait ! Continué-je en me tournant vers lui.

-Un chant, répond-il alors en s'installant à côté de moi. Ce truc avec ses dents, c'était un chant. Elle attire ses victimes à elle en les hypnotisant.

-Ça marche bien, continué-je. Sans moi tu étais mort ! Wayatt, je vais t'envoyer les vidéos de nos lunettes, indiqué-je ensuite à l'intention de mon frère aîné.

Une dizaine de minutes plus tard, la première réaction se fait entendre. Un gémissement de dégoût de la part de notre informaticien, qui se sent obligé de rajouter :

-On dirait des zombies des eaux tellement elles sont affreuses…

L’interjection me fait sourire, tandis que je regarde ma tante écrire les détails sur son bloc-note.

-Et toi Galadyell, tu ne t’es pas senti hypnotisée par la sirène ? Demande-t-elle en relevant le nez de ses papiers.

-Absolument pas, expliqué-je. Elle était fixée sur Haruto et ne m’a prêté attention que lorsque je l’ai soustrait à son emprise, et j’étais moi-même trop occupée par elle pour remarquer que nous étions entourés....

-Peut-on en déduire qu’elles ne peuvent hypnotiser qu’une personne à la fois, et qu’elles vivent en groupe pour cette raison ? Se questionne Missy à voix haute.

-Avez-vous besoin de renfort ? Interroge Père avec un sérieux de plomb.

Haruto et moi nous consultons du regard, pesant silencieusement les différentes options qui s’offrent à nous. Partir seuls vers l’inconnu, au risque d’y laisser la vie, ou admettre que nous ne sommes certainement pas prêts pour ce combat, et attendre tranquillement l’arrivée d’un aîné plus expérimenté…

-Non, répondons-nous finalement. Nous avons vu de quoi elles étaient capables, nous savons à quoi nous attendre désormais.

-On ne se fera plus avoir, promet mon jumeau.

Père hoche la tête avec un sourire satisfait.

-Très bien, dit-il alors. Je compte sur vous pour régler cette affaire proprement.

-Bien Chef ! Nous écrions nous d’une seule voix en mimant un salut militaire qui le fait rire.

Nous discutons encore une grosse demi-heure, nous interrogeons sur le véritable nombre de victimes faite par les sirènes. Sans celles déjà mortes à leurs arrivées dans le Bayou. Et comme nous ignorons le nombre exact de victimes tout court, notre question reste sans réponse.

Il reste encore l'analyse des vidéos à faire, mais Haruto et moi sommes trop fatigués par l'expérience que fut cette rencontre avec les sirènes pour la démarrer après la visioconférence. Nous prenons à peine le temps de ranger le matériel avant de nous effondrés de sommeil, moi sur le lit, et lui sur le canapé, n'aillant pas envie de marcher jusqu'à la chambre.

Mon frère est déjà sur l'ordi, tasse de café en main, lorsque je me lève le lendemain matin, me lançant un « Hello ! » retentissant à l'accent très américain dès mon entrée dans le petit salon.

-Hi Bro, réponds-je en me servant un grand bol de café. Ça donne quoi, l'étude ?

-Ne déjeune pas devant, me conseille-t-il sobrement. C'est pas beau à voir, direct au réveil.

-Appelle-moi si tu trouve quelque chose d’intéressant ! M'exclame-je en me détournant vers la cuisine.

Assise sur le rebord de la fenêtre, le regard plongé dans la rue en contrebas, je dresse la liste de nos connaissances sur mon cahier. J'en ai déjà une page entière et note la phrase suivante quand mon frère m'interrompt : La peau écailleuse a l'air trop épaisse pour que l'on puisse la couper, malgré la fragilité apparente des membres...

-Viens voir ça ! Me crie-t-il depuis le salon.

Je le rejoint devant l'écran où passe en boucle la même seconde. Celle où ma lame glisse le long des écailles du bras de la sirène. Au moment où la caméra tourne sur la gauche, la bande recommence.

-Là, indique Haruto en me désignant le bord droit de l'ordinateur.

La boucle repasse plusieurs fois avant que je ne repère le détail qui excite mon jumeau comme un gamin. Le bout de ma dague entaillant le cou de la créature.

-Bien joué frangin ! Félicité-je

Il semble réellement ravi d'avoir vu ce détail, lui qui n'a généralement pas le temps d'en relever un seul lorsque nous regardons les vidéos en même temps. Je lui flatte gentillement la tête, ce qui le fait grogner, et m'assois sur la chaise en face de lui.

-Malgré cette grande découverte, continué-je finalement, nous ne sommes pas sûrs des zones qui nous permettrons de les abattre...

-Il semble possible de les décapiter, fait remarquer mon frère. C'est déjà pas mal.

-La boite crânienne semblait relativement molle, maintenant que j'y repense ! Fais voir quand je lui donne le coup de pied ?

Il ne faut qu'un seul visionnage pour remarquer le détail qui nous ouvre une deuxième piste : Mon talon s'enfonce d'à peu près cinq centimètres dans la tempe de la sirène. Nous passons une grande partie de la matinée à passer les vidéos au crible, relevant le moindre détail susceptible de nous aider. L'autre partie de la journée, nous la passons à réunir les armes, tout en discutant en visioconférence avec notre tante et notre père.

-Je ne sais pas si le type de lame compte forcément, réfléchis-je à haute voix en vérifiant le coupant des dagues que j'ai en main. Mais celle en acier fonctionne, la mienne a entaillé la sirène hier soir.

-On pense aussi pouvoir utiliser l'arbalète et l'arc, continue Haruto. La structure osseuse du crâne semble assez molle pour qu'une flèche ou un carreau passe au travers.

Missy note frénétiquement nos indications, alors que Père ponctue nos phrases de hochements de têtes qui montrent que nos résultats sont appréciés, et la fierté que nous lui inspirons. Nous prenons des nouvelles de Oncle Alexander et de Bennett, et apprenons qu'ils sont rentrés la veille, leur mission accomplie. Après avoir coupé la caméra, une fois la conversation finie, mon frère et moi terminons de préparer notre matériel et nous-même pour la sortie prévue le soir-même.

L'air est frais, nos pas, pressants. Nous nous déplaçons comme deux ombres, à la lumières des réverbères qui éclairent les rues.

-Ça fait déjà une semaine que nous sommes là, soufflé-je dans la nuit. Il faut qu'on mette un terme à cette affaire.

-Je sais Gala, répond simplement Haruto en pressant le pas.

J'allonge mes foulées pour être à sa hauteur, et nous continuons notre route en silence. Une fois au port, nous montons à bord d'un petit bateau que nous avions repéré quelques jours auparavant. La personne à qui il appartient semble avoir foi en l'humanité, ayant accroché les clés juste à côté de la porte de la cabine, et je me sens un peu mal de le voler de la sorte. Moins de dix minutes après, nous remontons le Bayou en direction du nid visité la veille, cette fois bel et bien prêt à nous battre. Nous passons devant la barque que nous avions utilisé. Logée entre les branches d'une mangrove, irrécupérable.

Nous arrivons à destination, et balayons la surface de l'eau avec nos lampes pour les attirer plus vite. Et ça marche, une première tête se montre. Mais nous n'attendons pas qu'elle vienne jusqu'à nous, tirant tous les deux sur cette nouvelle cible. Ma flèche se plante en travers de sa gorge, le carreau, en plein milieu du front. L'être en face de nous s'effondre dans une grande éclaboussure, flotte un instant sans bouger, et est subitement tiré sous la surface. Ça semble être la débâcle, là-dessous, à voir comme l'eau s'agite. Nous apercevons le bout d'un aileron, ici et là, puis, soudain, le calme plat. La surface se fait aussi lisse que possible, seulement dérangée par les mouvements de notre bateau. Je me sens brutalement happée en arrière, et un réflexe de ninja de la part de mon frère me sauve la vie ; d'un mouvement rapide et précis, il plante sa dague au creux du coude de la sirène qui m'a agrippé. Un craquement sec et un bruit de succion indiquent que l'avant-bras est parti du corps, et le poids qui tombe dans mon dos, que les doigts sont fermement accrochés à ma capuche.

-J'ai un bras accroché à ma capuche !! Crié-je malgré moi. Enlève-moi ça Haru !! Enlève-le !!!

-On a plus important, déclare sombrement celui-ci en tirant d'un coup sec dessus pour le décrocher.

Je n'avais pas fait attention à cause de ma crise, mais un cri perçant me vrille les tympans, auquel de nombreux autres font échos, et nous sommes encerclés de toutes parts. J'encoche une nouvelle flèche, prête à tirer au moindre mouvement. A mon côté, Haruto est aussi tendu que moi, le doigt posé sur la détente de son arbalète. Mais les sirènes ne bougent pas, continuant simplement de déchirer l'air de leurs voix suraiguë. L'une d'elles s'élance en avant, mais je la stoppe aussitôt d'une flèche dans la tête. Cela ressemble à un signal de départ, et elles se jettent toutes contre la coque de notre embarcation pour la renverser. Calés dos à dos, mon frère et moi réussissons à maintenir notre équilibre, tirant le plus rapidement possible sur celles qui tentent de se hisser à bord. J'arrive rapidement à cours de flèche, et laisse tomber mon arc pour m'emparer du pistolet accroché à ma ceinture. La balle part en sifflant quand j'appuie sur la détente, et va exploser la boite crânienne de la cible, qui m'avait agrippé au genou et commençait à tirer dessus. J'enchaîne sur quelques autres sans prendre le temps de vérifier que ça marche. Je regarde la dernière sur laquelle j'ai tiré flotter pendant quelques secondes, et reviens à la réalité en sentant Haruto agripper mon bras. Je me rends compte en me retournant vers lui que la tension est retombée. Plus aucun bruit ne perturbe le silence qui a envahi les lieux, le nid entier flotte à la surface des eaux boueuses du Bayou, mort. Mon frère est à genoux, le visage un peu griffé, et je l'examine pour m'assurer que ce n'est rien. Sa main se pose sur mon épaule, alors qu'il lâche :

-Père va être fier de nous.

Je souris en m'asseyant, et reprend calmement mon souffle. Je laisse mon regard dériver sur mon environnement. Les alligators se sont joints à la partie, et commencent à entraîner quelques cadavres sous l'eau pour les manger. Haruto et moi en gardons un, pour pouvoir l'examiner.

-Comment on va ramener ça ? Questionnai-je finalement. Il va nous falloir un congélateur...

-Tu crois pas si bien dire, rit mon frère avant de se pencher sur la créature.

Je fais de même, et détaille la queue écaillée couleur de boue qui part des hanches de la sirène et se termine par un aileron caudal vertical tirant sur le noir. Un aileron dorsal très clair est situé juste en bas du dos. En quelques minutes à peine, le corps est déjà aussi sec que celui d’une momie. La rangée de dents aiguisée et les yeux aveugles et sans paupières qui nous fixent continuent de me donner la chair de poule. Haruto s'arrache de sa contemplation pour aller prendre la barre de notre petit navire et nous sortir de cette endroit. Il nous cale dans un coin tranquille pour le nettoyage ; j'enferme le corps de la sirène dans un sac mortuaire, puis nous renversons de grands sauts d'eau sur le pont pour enlever les traces. Nous ne le ramenons pas au port, mais le laissons finalement sur une rive qui, en plus d'être proche de l'hôtel, et fréquentée.

Mon frère hisse le sac sur son épaule, puis saute dans l'eau avant de rejoindre la rive. Je l'y rejoins, transportant le matériel. Nous ne perdons pas de temps et rejoignons notre appartement pour prévenir de notre réussite. Le tout en évitant clairement la moindre raie de lumière. Notre tante semble ravie du spécimen que nous lui présentons, prête à l'examiner sous toutes les coutures. Vautré sur le canapé, les cheveux gouttant sur la serviette passé autour de son cou, Haruto babille simplement sur le super voyage de retour, tranquille dans notre jet, quand Père le coupe :

-Votre tante a besoin d'aide, vous partez directement pour le Pérou. Izabelle a à faire à une sorcière puissante là-bas qui requiert de l'aide. Le jet vous déposera directement à Lima avant de revenir ici ramener la sirène.

-Tante Izabelle a des soucis ? Questionné-je, inquiète. C'est pourtant l'experte de la famille, en ce qui concerne les sorcières.

Père ne répond pas, et j'échange un regard anxieux avec mon frère.

-Elle ne répond plus depuis quelques jours, nous fait savoir Wayatt. J'ai envoyé le dossier pour lequel elle est partie travailler là-bas. Jetez-y un œil, mais vous, vous y aller pour la retrouver.

C'est sur cette nouvelle qu'ils nous laissent, après nous avoir indiquer l'heure de notre départ du lendemain, et que quelqu'un viendrait chercher la morte que nous avons actuellement sur les bras. Je mets des heures à m'endormir, ressassant la conversation, et Haruto n'en mène pas large à côté de moi, se tournant et se retournant dans le lit.

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